Ils font le Mali

Dirigeants politiques, chefs d’entreprise, artistes… par leurs initiatives, ils contribuent au rayonnement et au développement de leur pays.

Publié le 12 juin 2006 Lecture : 11 minutes.

Élus locaux ou nationaux, ministres ou militants, hommes d’affaires ou artistes, scientifiques ou commerçants, de nombreux Maliens contribuent, à leur manière et dans leur domaine, à l’essor d’un pays, qui, depuis 2002, fait face aux difficultés que lui imposent son enclavement géographique, l’instabilité de son voisin ivoirien et l’acharnement d’une nature qui alterne sécheresse et inondations. Pourtant, le Mali résiste. L’invasion de criquets pèlerins n’a pas provoqué la crise alimentaire qui a sévi au Niger voisin. De nouveaux axes routiers menant vers Dakar (Sénégal), Lomé (Togo) ou encore Takoradi (Ghana) ont permis à l’économie de traverser sans dommage les turbulences nées de la paralysie du port d’Abidjan, unique porte d’entrée et de sortie pour ses échanges commerciaux avec l’extérieur. La résistance aux chocs exogènes a été possible grâce à la stabilité politique et sociale, mais aussi grâce au volontarisme de ces hommes et de ces femmes. Qu’ils résident au pays ou qu’ils aient choisi de s’expatrier, tous, à leur manière, contribuent, par leur image et leurs initiatives, au rayonnement du Mali aujourd’hui.

Choguel Maïga
Ministre de l’Industrie et du Commerce
Sa simple présence au sein de l’équipe gouvernementale symbolise le Mali d’ATT. À 48 ans, cet ingénieur en télécommunications a eu le courage politique de se réclamer, au milieu des années 1990, de Moussa Traoré après que celui-ci eut été emporté par une révolution incitée par l’armée, alors dirigée par un certain colonel Amadou Toumani Touré. Renversé en mars 1991, l’ancien régime incarne alors la pensée unique, la répression et les atteintes aux libertés publiques. Choguel Maïga n’est pas de cet avis. Il crée le Mouvement patriotique pour le renouveau (MPR) pour défendre le bilan et les idées du président déchu. Il devient très vite le trublion de la scène politique. Il mobilise contre le président Alpha Oumar Konaré, fait appel à la rue qui s’embrase et, en 1997, est emprisonné pour avoir initié la création du Collectif de l’opposition.
En 2002, Choguel se lance dans la course présidentielle. Battu au premier tour, il fait partie des fondateurs d’Espoir 2002, une coalition qui, entre les deux tours, apporte son soutien à ATT. Mieux : il parvient à convaincre le candidat de rendre une visite de courtoisie à Moussa Traoré, libéré après dix ans de captivité. Membre du gouvernement, Choguel Maïga est l’un des ministres les plus dynamiques de l’équipe dirigée par Ousmane Issoufi Maïga. Parallèlement, Choguel dirige encore le MPR dont il prépare le congrès pour le mois de juillet prochain. À cette occasion, le secrétaire général espère convaincre les militants de renouveler leur confiance à ATT pour la présidentielle de 2007.

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Kassoum Tapo
Vice-président de l’Assemblée nationale
A 50 ans, cet ancien bâtonnier de l’ordre des avocats du Mali est tardivement entré en politique. C’était en 1997. Après de brillantes études juridiques à l’université de Nanterre, il ouvre un cabinet d’avocat à Paris, en 1980. Il y reste une dizaine d’années, le temps de garnir son carnet d’adresses dans le milieu des défenseurs des droits de l’homme européens. Il rentre au pays en 1989. Six ans plus tard, il est élu bâtonnier. C’est à ce titre que le président Alpha Oumar Konaré le sollicite pour diriger la Commission électorale nationale indépendante (Ceni). Un cadeau empoisonné, dans une atmosphère politique détestable : les partis d’opposition ont l’intention de boycotter les élections alors que la situation sociale est carrément explosive. Kassoum Tapo fait face aux attaques et organise, tant bien que mal, le scrutin présidentiel, puis les législatives, en 1997, et enfin les élections communales, un an plus tard.
Cette mission achevée, Kassoum Tapo retrouve le charme plus discret des prétoires. Mais l’homme est un boulimique, et ne peut se contenter de cette unique activité. Il participe en qualité d’observateur à plusieurs élections en Afrique et en Haïti, pour le compte de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) ou celui de l’Organisation de l’Unité africaine (OUA). En 1999, il est élu président de Juripool, une association internationale de juristes professionnels. L’année suivante, il fonde Malilex, un journal d’annonces légales.
En 2001, ATT fait appel à ses services. Il lui demande d’être coordinateur de sa campagne électorale dans la ville dont ils sont tous deux originaires, Mopti. Mais au Mali, sans doute plus qu’ailleurs, nul n’est prophète en son pays. Kassoum fait donc le forcing pour que son poulain obtienne le meilleur score possible. En 2003, il est élu député de Mopti. Son compagnonnage avec ATT lui permet de rêver du perchoir. Mais, au nom du consensus politique, la présidence de l’Assemblée échoit à Ibrahim Boubakar Keita (IBK), ancien Premier ministre, rival d’ATT au premier tour, rallié pour le second. Kassoum Tapo est déçu mais n’en tient pas rigueur à ATT. Ses activités professionnelles et parlementaires lui font oublier sa frustration. Aujourd’hui, son combat mêle droit et politique : il veut obtenir du Parlement l’abolition de la peine de mort, et propose d’amender le code pénal en ce sens. Débat prévu lors de la prochaine session parlementaire.

Moussa Badoulaye Traoré
Maire de Bamako
Né en 1947 à Niaréla, au cur de l’ancienne ville de Bamako, Moussa Badoulaye Traoré est, depuis 2003, membre de la direction nationale de l’Alliance pour la démocratie au Mali (Adéma), un mouvement dont l’histoire est fortement liée à celle de la lutte pour le multipartisme. À l’issue de sa scolarité, le jeune Moussa bénéficie en 1967 d’une bourse pour faire ses études supérieures à Dakar. Manque de chance, alors qu’un putsch militaire renverse Modibo Keita en 1968, son père le fait revenir à Bamako pour travailler. Son diplôme en mécanographie lui permet de décrocher, une année plus tard, une seconde bourse. Il entame alors en France une formation en informatique. Dénonçant les dérives sanguinaires du régime de Moussa Traoré, il refuse de rentrer au pays, sans pour autant s’en désintéresser. C’est ainsi qu’il fait son entrée dans la section française de l’Adéma, en première ligne dans la lutte pour la démocratisation au Mali. « Je dois avouer que nous avons été pleinement soutenus par le gouvernement de François Mitterrand », se souvient-il aujourd’hui. Après les événements de mars 1991, il rentre au pays, intègre les structures de base de l’Adéma, désormais au pouvoir, sous la houlette d’Alpha Oumar Konaré, et gravit un à un les échelons. En 1998, il est élu maire de la commune II, puis en 2003, il est désigné par ses pairs maire du district de Bamako. Depuis lors, il a contribué à l’embellissement de la capitale, travaillé à l’amélioration de la gestion des déchets et soutenu le boom de l’immobilier, qui a donné naissance à de nouveaux quartiers. « La population de Bamako a plus que doublé en moins de vingt ans. Nous avons commencé à avancer avec le premier mandat d’ATT. Il est nécessaire qu’il puisse bénéficier d’un second mandat pour parachever ce qu’il a commencé », affirme Moussa Badoulaye Traoré. Le maire de Bamako fait partie des dirigeants de l’Adéma qui ont provoqué la tenue d’une conférence en novembre 2005. Celle-ci était destinée à accorder le soutien du parti à ATT pour l’élection présidentielle de 2007. « Je suis fier d’être à la base de cette décision qui privilégie l’intérêt de la nation au détriment de celui du parti. » À quoi peut bien rêver le maire de Bamako ? « Je veux faire de ma ville natale la capitale la plus séduisante de la sous-région. »

Ousmane Sy
Dirigeant d’ONG
L’ancien ministre de l’Administration territoriale du gouvernement d’Alpha Oumar Konaré est considéré comme un des artisans de la démocratie du Mali. Membre fondateur de l’Adéma, il a été de tous les débats. Père de la politique de décentralisation, grand organisateur des élections de 2002 dont nul ne conteste la transparence, Ousmane Sy n’a pas totalement quitté la sphère politique depuis son départ du gouvernement, après l’alternance. Il a décidé de poursuivre son combat autrement, dans un espace élargi : le continent. En janvier 2003, Ousmane Sy crée le Centre d’expertises politiques et institutionnelles en Afrique (Cepia). Très vite, sa réputation aidant, l’ONG est sollicitée pour plusieurs études. D’abord par le Pnud, qui lui demande, en 2003, un document pour les programmes d’appui aux processus et institutions démocratiques (Apid). En juillet 2004, le Cepia élabore le schéma directeur de la décentralisation au Tchad. La même année, il effectue un travail similaire pour le Togo. Entre deux avions et trois colloques, Ousmane Sy trouve le temps d’organiser un forum sur la gouvernance pour le compte de l’Union africaine à Addis-Abeba, en novembre 2005.
Lauréat du Prix international du roi Baudouin pour le développement, Ousmane Sy a reçu cette distinction au palais royal à Bruxelles, le 3 mai 2005. Décerné tous les deux ans, ce prix couronne les efforts consentis par une personnalité ou une organisation dans des opérations concrètes de développement durable dans les pays du Sud. Ousmane Sy est un observateur averti de la scène politique malienne, mais il ne néglige en rien les expériences de ses voisins africains. L’enfant de Bandiagara, dans le pays dogon, suit avec attention l’actualité, l’évolution des crises, les réformes annoncées et appliquées ici et là. Bref, il s’informe, analyse et écrit. Toujours à mi-chemin entre société civile et politique.

Lansry Nana Haïdara
Commissaire à la Sécurité alimentaire
Native de Tombouctou, Nana Haïdara a 8 ans quand son père est élu à la présidence de la première Assemblée nationale du Mali. Quelques années plus tard, elle le rejoint à Bamako pour suivre des études secondaires. Le bac en poche, elle s’inscrit à l’Institut polytechnique rural de Katibougou. Elle partage alors son temps entre les amphis, la bibliothèque et le terrain de basket. Elle finit par devenir l’incontournable pivot de l’équipe nationale. Passionnée d’environnement, Nana ne se contente pas de son diplôme d’ingénieur agronome : parallèlement, elle prépare un DEA en aménagement pastoral intégré au Sahel. En 1983, elle entame un séjour de cinq ans aux États-Unis. Elle revient au Mali pour se consacrer exclusivement au développement durable : conception de programme, coordination de projets, etc.
Membre du staff de campagne d’ATT en 2002, elle est nommée conseiller technique à Koulouba au lendemain de la victoire électorale. En mai 2004, le chef de l’État la nomme à la tête du commissariat à la Sécurité alimentaire, une structure rattachée à la présidence en charge de la prévention des crises. À peine installée, elle doit faire face à une invasion de criquets pèlerins aggravée par une sécheresse qui ruine les récoltes de l’année. Elle réussit à éviter le pire avec une distribution d’aide alimentaire de 35 000 tonnes, soit l’équivalent du stock national de sécurité (SNS) tout en le reconstituant six mois plus tard.
Grâce à une bonne pluviosité, l’année agricole en cours promet d’être bonne. Nana Haïdara prendra-t-elle le temps de souffler ? Pas sûr. Il y a tant à faire : améliorer les mécanismes d’alerte précoce, élaborer un Plan national de réponse (PNR) à l’insécurité alimentaire, aider à la mise en place de plans communaux de sécurité alimentaire ?dans les régions pauvres du Nord (Tombouctou, Gao, Kidal).

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Sidibé Boukary
Entrepreneur
Enfant, il rêvait de voler. Adulte, il fait voler les autres. À 35 ans, Sidibé Boukary est un voyagiste heureux. Son entreprise, Azur Voyage, emploie une trentaine de personnes pour un chiffre d’affaires de plus de 3 milliards de F CFA. Boukary n’est pas peu fier quand il montre les distinctions qu’il a reçues. En 2003, 2004 et 2005, il a décroché le titre de meilleur manager d’agence Iata dans la zone Afrique de l’Ouest et centrale.
L’aventure Aigle Azur a débuté à son retour de Grande-Bretagne, en 1998, où il a obtenu un diplôme en tourisme. Cinq ans plus tard, il inaugure un second point de vente à Bamako, lance une filiale, l’Agence malienne de services aériens (Amsa), puis élargit ses activités à la location de voitures. Il est consultant auprès d’Air Mauritanie, organisateur de dessertes aériennes pour le pélerinage à La Mecque en collaboration avec Sudan Airways et Eritrean Airlines.
Boukary est persuadé que les autorités réussiront à transformer l’aéroport de Bamako en carrefour continental. « Il faut mobiliser 5 milliards de dollars. Certes, il s’agit du plus grand investissement de l’histoire du Mali. Mais les bénéfices seront considérables, affirme-t-il. Notre objectif est de rapprocher le Mali de sa diaspora dispersée sur les cinq continents, de désenclaver nos régions qui aspirent au développement local et de booster les échanges régionaux. » Sa parfaite connaissance du dossier du transport aérien lui a permis d’être retenu parmi les dirigeants potentiels de la Compagnie aérienne du Mali (CAM) qui devrait bientôt prendre son envol avec des dessertes nationales et sous-régionales (Abidjan, Dakar, Ouaga), ainsi qu’un vol sur Paris.

Malamine Koné
Créateur d’Airness
Avant de fonder Airness, la première marque française de sport qui équipe aujourd’hui plusieurs clubs de ligue 1 et plusieurs sélections nationales africaines, Malamine Koné a été berger au Mali. L’itinéraire de cet homme de 34 ans est une success story : depuis ses élégants bureaux du quartier des Champs-Élysées, à Paris, il peut savourer sa réussite. Né à Niéna, petit village situé à 600 kilomètres au sud de Bamako, il est élevé par sa grand-mère et garde les moutons dès l’âge de 4 ans. Lorsqu’il rejoint ses parents émigrés en France, il est âgé de 10 ans. Il n’est jamais allé à l’école et ne parle pas un mot de français.
Malamine grandit dans une cité de banlieue parisienne où il intègre une classe francophone et se révèle aussi doué pour les études que pour le sport, en particulier la boxe. Baccalauréat en poche, il étudie le droit à l’université tout en poursuivant ses entraînements de boxe avec une assiduité telle qu’il décroche un double titre de champion de France amateur. Il est même présélectionné pour les jeux Olympiques d’Atlanta de 1996. Mais un accident de la route met brutalement un terme à sa carrière sportive. Il subit une douzaine d’interventions chirurgicales et raccroche les gants.
C’est en 1999 que Malamine Koné décide de se lancer dans l’aventure Airness. Il dessine lui-même les premiers modèles de vêtements de sport, emprunte pour les confectionner, puis les place en dépôt-vente. Les jeunes sont conquis, la marque gagne en notoriété, et son créateur se lance dans le sponsoring en habillant les meilleurs footballeurs français et en équipant des clubs de première division. Drogba, Wiltord, Cissé arborent ses sweat-shirts et chaussures siglés Airness hors des stades et les joueurs de Boavista (Portugal) ou ceux de Fulham (Angleterre) adoptent désormais le logo à la panthère. Avec 120 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2005, Airness concurrence les géants Nike, Puma ou Adidas.
Malamine est très populaire, tant en France que sur le continent africain, où il équipe les sélections du Bénin, du Gabon, de Guinée et de RD Congo. Et, bien sûr, les Aigles du Mali. Partant du principe qu’« il faut savoir partager le succès », le jeune homme a financé en partie la construction d’une école à Niéna. « L’instruction est une chance qu’il faut donner à tous », déclare-t-il. Le jeune chef d’entreprise est aussi très sollicité par les politiques français. En pleine crise des banlieues, Dominique de Villepin et Nicolas Sarkozy le consultent. Il siège également à la commission Nouvelle génération du Medef qui travaille à une meilleure intégration professionnelle des jeunes – issus notamment de l’immigration.

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