Géographie du septième art

Publié le 12 juin 2006 Lecture : 4 minutes.

Le dernier Festival de Cannes a permis de vérifier l’état actuel des diverses cinématographies dans le monde. Du moins en ce qui concerne le cinéma d’auteur. Car les cinéastes de toutes origines qui ont le moindre espoir de voir leur film projeté sur la Croisette souhaitent tous ardemment, sauf exception, participer à la plus grande manifestation mondiale dédiée au septième art. Les programmateurs des diverses « sections », et en particulier Thierry Frémaux, responsable de la « sélection officielle » et surtout du choix des vingt films en compétition pour la Palme d’or, peuvent donc retenir le meilleur de la production en avant-première chaque année autour du mois de mai.

Cannes 2006 a permis à cet égard de relever des tendances lourdes, mais aussi des changements notables sur la carte du cinéma mondial. Parmi ces derniers, le plus frappant semblait être le relatif recul de la représentation asiatique, en plein essor sur la Croisette ces dernières années. Si la Chine a pu encore participer à la quête de la Palme d’or, avec le film sulfureux de Lou Ye, Summer Palace, elle fut bien seule à représenter sa région. L’absence de la Corée du Sud, en particulier, dont le Festival avait accompagné régulièrement le renouveau cinématographique spectaculaire depuis une décennie, n’a pu qu’être remarquée. Mais, assure Thierry Frémaux, le cinéma asiatique continue malgré tout à se bien porter, et si on prête attention à son « déclin cannois », c’est parce qu’on s’est habitué à le voir continuellement au sommet.
Le Moyen-Orient était pour sa part fort peu visible sur la Croisette cette année, malgré l’exception heureuse de la Turquie, présente en compétition grâce au beau film de Nuri Bilge Ceylan, Les Climats. Le cas de l’Iran était sans appel : la République islamique n’avait aucun représentant ni dans la compétition, ni dans l’ensemble de la sélection officielle, ni même dans les sections dites « parallèles ». Une première depuis fort longtemps pour le pays d’Abbas Kiarostami, dont la production récente, de l’avis général, est effectivement peu excitante. Cette absence a été mal vécue par les autorités de Téhéran, qui, du coup, ont refusé de participer comme elles le faisaient habituellement au marché du film qui accompagne la manifestation.
L’Amérique latine, elle, a fait bonne figure en raison des deux films remarqués de réalisateurs mexicains (Babel de Alejandro Gonzalez Inarritu et Le Labyrinthe de Pan de Guillermo del Toro) et du film argentin (le décevant Cronica de una fuga) qui ont participé à la compétition. Mais cette belle présence dans la sélection reine cachait en fait un certain recul, après une période euphorique pour les cinémas brésilien et surtout argentin.

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Du côté des « gagnants », outre le cinéma américain indépendant, bien représenté mais qui n’a guère séduit les festivaliers, on peut surtout évoquer le cinéma européen, dont c’était le grand retour. Il a remporté la majorité des prix, à commencer par la Palme d’or (pour le film britannique de Ken Loach Le vent se lève) et le Grand Prix du jury (pour Flandres du Français Bruno Dumont). Il a démontré une nouvelle vitalité, grâce notamment au cinéma allemand (absent de la compétition mais bien représenté dans les autres sections) et aux nouveaux réalisateurs d’Europe de l’Est, Roumanie en tête.
Et l’Afrique ? Pour la neuvième année consécutive, aucun réalisateur d’Afrique noire et même aucun réalisateur 100 % africain – Rachid Bouchareb, présent en 2006 avec Indigènes, est généralement considéré comme un cinéaste français d’origine algérienne -, n’a pu bénéficier de l’extraordinaire tremplin de la compétition pour la Palme d’or. Une récompense qui n’a été obtenue qu’une seule fois, il y a plus d’un quart de siècle, par un cinéaste du continent, l’Algérien Lakhdar Hamina, pour Chronique des années de braise.
Faut-il en conclure que Cannes, après avoir suscité ou accompagné une certaine mode du cinéma d’Afrique noire pendant une dizaine d’années à partir du milieu des années 1980, à l’époque de la gloire de Souleymane Cissé ou Idrissa Ouédraogo, boycotte aujourd’hui les cinéastes du continent ? « Je déplore profondément la situation, nous a confié Thierry Frémaux. Mais cela signifie simplement que le cinéma africain, ces temps-ci, est en grande difficulté. Or nous refusons de pratiquer toute forme de discrimination positive. Mais en 2006, on peut cependant remarquer que, outre Bouchareb, dont le film représente surtout l’Afrique du Nord, plusieurs cinéastes africains ont pu quand même voir leurs films projetés dans le cadre de la sélection officielle. Comme le Mauritanien Sissako, l’Égyptienne Tahani Rached ou le Franco-Algérien Ameur-Zaïmèche. » Il rappelle que ces dernières années d’autres pays africains, en particulier le Maroc, ont vu certains de leurs films projetés à Cannes. Ne pouvait-on quand même pas trouver au moins un film d’Afrique du Sud à sélectionner alors que ce pays, après un Ours d’or au Festival de Berlin en 2005, vient d’obtenir l’oscar du meilleur film étranger ? « La production sud-africaine reste faible, assure Frémaux. Nous nous sommes rendus sur place pour la visionner et nous n’avons rien trouvé cette année. » Il ne reste donc qu’à espérer, sans trop d’illusions, une meilleure année 2006 pour le continent.

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