Entre guerre et paix

La rébellion est loin d’avoir déposé les armes. Mais dans la capitale, la population préfère rester sourde aux bruits de bottes et vaque à ses occupations.

Publié le 12 juin 2006 Lecture : 5 minutes.

Une large bande sableuse s’étire sur le flanc méridional de N’Djamena, la capitale tchadienne : c’est le Chari, aux deux tiers asséché, malgré la saison des pluies. Non loin de là, sur les routes de Gaoui et de Lignia, le 13 avril dernier les rebelles du Front uni pour le changement démocratique (FUC), une coalition de huit mouvements politico-militaires, ont lancé une offensive d’envergure pour tenter de renverser le régime du président Idriss Déby Itno (IDI).
Les habitants de Ndjari, Diguel et Boutal-bagar, quartiers situés à l’est de la capitale, ont fait les frais des violents combats qui ont opposé les rebelles à l’Armée nationale tchadienne (ANT). Aujourd’hui, la vie semble avoir repris son cours normal. Comme pour minimiser les menaces du FUC – qui promet de refaire le coup de feu à l’occasion de l’investiture du chef de l’État prévue le 8 août prochain -, IDI n’a pas cru bon de renforcer la présence militaire dans les lieux stratégiques de la ville. Aux abords du palais présidentiel, le nombre de soldats en faction est le même que d’habitude.
Pour montrer qu’il n’y a pas péril en la demeure, certaines défections dans les rangs de la rébellion sont médiatisées à outrance, histoire de montrer que les départs ne concernent pas que le camp loyaliste. Certains officiers de l’armée ainsi que des proches d’IDI abandonnent effectivement le navire depuis décembre 2005, au fur et à mesure des difficultés rencontrées par le régime. Le colonel Souleymane Kardaya, qui avait fait défection il y a seulement un mois pour rejoindre le Rassemblement pour le progrès et la justice (RPJ) d’Abakar Tollimi, a regagné les rangs : « Nous nous sommes laissé berner par les leaders rebelles, explique-t-il. On nous a dit que notre vie était en danger et qu’il était urgent de quitter le régime en place pour rejoindre la rébellion afin de s’organiser pour contribuer au changement. »
Et, comme preuve de l’implication du Soudan et de la Chine populaire, l’officier révèle avoir « rencontré chez les rebelles des étrangers, notamment soudanais et centrafricains, décidés à déstabiliser le Tchad », ainsi qu’un armement fourni par Pékin. Trente-huit « repentis » sont ainsi revenus au bercail, en ramenant avec eux trois véhicules équipés d’armes lourdes. Même scénario en avril dernier avec quelques dizaines de déserteurs qui avaient rejoint le Rassemblement pour la démocratie et les libertés (RDL) de Mahamat Nour Abdelkerim, également président du FUC. « C’est de l’intox, s’insurge un jeune partisan de Tollimi. C’est Déby Itno qui organise tout ça ! »
Difficile de savoir qui dit vrai dans ce climat de suspicion généralisée. Ce qui est sûr, en revanche, ce sont les difficultés actuelles rencontrées par la coalition du FUC, face à la contestation qui monte contre le leadership de Mahamat Nour. Des huit groupes constituant le mouvement au départ, il n’en reste plus que cinq, trois ayant décidé de faire cavalier seul, dont le Socle pour le changement, l’unité nationale et la démocratie (Scud) de Yaya Dilo, un Zaghawa, ancien proche du président tchadien. Après avoir tenté de prendre sans succès le contrôle du FUC, le Scud porterait, selon l’état-major des rebelles, la signature de l’attaque perpétrée le 3 juin dernier à Tiné, à la frontière soudanaise, puis repoussée par l’ANT. Le gouvernement pour sa part pointe du doigt Timan Erdimi du Rassemblement des forces armées démocratiques (RFAD). Cette reprise des hostilités est bien le signe que, malgré le début de la saison des pluies, il n’y aura pas de trêve sur le front des combats.
Mais personne ne semble y prêter attention. S’il ne s’agit que d’un bluff de plus, il pourrait en coûter cher à la crédibilité du FUC et renforcer d’autant la position d’IDI, qui aurait le beau rôle au cas où les parties en conflit négocieraient la paix. C’est peut-être aussi pour cela que le chef de l’État encourage et favorise les défections dans les rangs de l’opposition. Et se satisfait du soutien de ses principaux partenaires – France et États-Unis en tête, qui se sont empressés de saluer sa réélection. Mais ces félicitations seraient, dit-on dans les chancelleries, destinées à rassurer le président tchadien afin d’obtenir plus facilement de lui les concessions nécessaires à une sortie de crise.
Donald Yamamoto, le sous-secrétaire d’État américain chargé des Affaires africaines, s’est personnellement rendu à N’Djamena le 30 mai. Au menu de l’entretien avec Idriss Déby Itno : la crise du Darfour, bien sûr. Mais les deux hommes ont également beaucoup parlé de politique intérieure et d’économie. Les Américains souhaitent que Déby Itno lance rapidement le processus de normalisation et ont même l’intention de proposer leurs bons offices. Sans doute parce que Washington reste persuadé que la résolution de la crise à N’Djamena permettra de sortir du bourbier au Darfour, et vice versa.
Une position partagée par la France. Les deux pays sont favorables à l’ouverture des négociations, IDI jouissant de toutes ses prérogatives de chef de l’État et d’une légitimité fraîchement sortie des urnes. L’ONG de prévention des conflits Crisis Group ne pense pas différemment en affirmant dans son dernier rapport sur le Tchad qu’« un changement de régime par les armes, dans un tel contexte, n’apporterait aucune garantie de stabilisation et d’ouverture démocratique ».
En attendant, fidèles à leurs habitudes, les Américains ne se sont pas fait prier pour renforcer leur présence dans le pays. Déjà présents sur le champ pétrolier du bassin de Doba (200 000 barils/j de brut) avec la firme américaine ExxonMobil, qui détient 40 % du consortium d’exploitation, c’est dans la foulée de la visite de Donald Yamamoto qu’un accord dit à ciel ouvert a été signé le 31 mai. Il favorisera les échanges de toutes natures entre les deux pays : commerce, investissements, culture et tourisme, droits de trafic aérien, etc.
En ouvrant le grenier de son pays aux Américains, Déby Itno cherche un abri sous leur toit, ainsi que leur soutien face à sa rébellion. Au risque d’agacer le partenaire historique français, qui, pour l’heure, appuie, sans broncher, l’homme fort de N’Djamena.

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