Chauve qui peut !

Publié le 12 juin 2006 Lecture : 2 minutes.

Je m’en veux déjà de la suspicion que mes révélations vont instiller dans votre esprit, mais mon devoir est de vous avertir : méfiez-vous des invitations à dîner, surtout lorsqu’elles émanent de parfaits inconnus.
Pendant des décennies, je me suis attablée chez des intimes ou des connaissances récentes, la canine alerte et les babines frémissantes, réjouie à la perspective de faire bombance. Dernièrement, alors que je me trouvais à Praslin, des Seychellois avec qui j’avais sympathisé m’ont invitée à dîner. L’apéritif et l’entrée expédiés, ils ont annoncé le plat de résistance : une spécialité de l’île réservée aux jours de fête. La merveille est arrivée fumante dans une cocotte. « Devine ce que c’est », m’a dit l’hôtesse en me servant une portion gargantuesque. Puis on m’a regardée manger avec une anxiété de bachelier face à un jury impitoyable.
Pour être honnête, cette viande que je n’arrivais pas à identifier était loin d’être mauvaise. Fondante et onctueuse, elle avait la tendreté du poulet et le goût corsé du lièvre. Un ravissement céleste devait nimber ma face, car on m’a demandé avec impatience : « Comment trouves-tu notre spécialité ? » J’ai mastiqué avec énergie avant de répondre : « Excellente, qu’est-ce donc ? » On m’a pressée de deviner. « Un gibier de chez vous, une poule faisane ? » On s’est esclaffé comme si je venais d’en dire une bien bonne. « Perdu, c’est de la chauve-souris ! »

À ces mots, le branle effréné de mes mâchoires s’est arrêté net comme le moteur agonisant d’une vieille 2 CV. Impossible d’avaler une bouchée de plus alors que mes hôtes, eux, attaquaient la bête avec une joie féroce. « Comment capturez-vous ces vampi, pardon, ces animaux ? » ai-je dit dans un souffle. La technique ? Un filet tendu entre deux manguiers pour piéger les bêtes attirées par l’odeur des fruits. Leurs ailes crochues prises dans la nasse, il ne reste plus qu’à les cueillir comme des mangues mûres. « Un impératif : il faut les faire mariner vingt-quatre heures dans du vin rouge avant de déguster, m’a-t-on précisé. Vous voyez, malgré son physique difficile, la roussette des Seychelles, engraissée aux fruits, est aussi délicieuse que le lapin. »
Pour moi, c’était tout vu : plus question d’avaler un morceau de cette amie intime de Nosferatu ! J’ai donc rusé pour déposer en douce des morceaux de viande sur la serviette posée sur mes genoux. Puis, roulant celle-ci discrètement, je l’ai planquée dans mon sac à main. C’est ainsi que j’ai réussi à m’en tirer sans froisser mes nouveaux amis, ni faire affront à mon estomac. Quant à mes amphitryons, ils se demanderont sans doute pendant longtemps ce qu’il est advenu de leur serviette qui s’est volatilisée comme Dracula devant l’aube naissante ! Que cela leur serve de leçon. Après tout, lorsqu’on sert du vampire à ses invités, il ne faut pas s’étonner qu’ils soient subitement investis du pouvoir de faire disparaître les objets

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