Macky Sall/Tidjane Thiam : comment trouver l’argent de l’émergence africaine
Alléger, voire annuler la dette, comme le prône le président sénégalais, ou flécher les capitaux vers les entreprises du continent, solution privilégiée par l’ancien patron franco-ivoirien de Credit Suisse ? Le débat sur la relance est ouvert.
« Il faut alléger notre dette », répète le président sénégalais Macky Sall. « Il faut porter les efforts sur la mobilisation interne en faveur de des entreprises africaines », lui répond en écho Tidjane Thiam, financier international. « Il faut mobiliser les recettes nationales », complète Abebe Aemro Sélassié, directeur Afrique du Fonds monétaire international (FMI).
Cette polyphonie financière s’est clairement fait entendre lors du 20e Forum économique international sur l’Afrique coorganisé le 22 février par le Centre de développement de l’OCDE, l’Union africaine et le Sénégal, afin de trouver les moyens d’investir « pour une relance durable en Afrique ».
Ces trois réponses – en partie contradictoires, en partie complémentaires – entendent trouver l’argent qui manque tellement pour faire face en même temps à la crise sanitaire et à la crise économique majeure que le coronavirus a provoquées sur le continent. Elles se dégagent de la quinzaine d’interventions qui ont mobilisé quelque 600 vidéo-spectateurs passionnés par cet enjeu.
Moratoire et droits de tirage spéciaux insuffisants, pour Macky Sall
Avec Macky Sall, c’est la grosse artillerie. À cause de leurs efforts pour combattre l’épidémie tout en protégeant le niveau de vie de leurs populations, les gouvernements africains n’ont plus l’argent qu’il faudrait pour relancer la machine économique de leurs pays en s’appuyant sur le numérique, l’énergie ou le tourisme, déplore-t-il.
La suspension des charges de la dette décidé par le G20 jusqu’en juin 2021, voire jusqu’à fin de 2021 ? Quelques milliards de dollars ou d’euros. La création de droits de tirage spéciaux (DTS) du FMI ? 18 milliards de dollars pour l’Afrique subsaharienne, c’est-à-dire un renfort à peine plus important.
Restent les 365 milliards de dollars de la dette africaine. Un fardeau colossal, mais à peine 2 % de la dette planétaire, selon le président sénégalais. « Nos pays plaident pour un allègement conséquent de cette dette », en conclut-il.
Tidjane Thiam pour des « champions domestiques »
À la différence de Macky Sall, Tidjane Thiam et Abebe Aemro Sélassié ne croient pas que les milliards nécessaires dépendent seulement de la bonne volonté internationale.
Ancien patron de Prudential et de Credit Suisse, aujourd’hui créateur d’un fonds d’investissement, Tidjane Thiam insiste sur la nécessité d’un volontarisme africain. Séduire les capitaux étrangers sans lesquels l’Afrique restera à l’écart des chaînes de création de valeur suppose qu’elle se mobilise pour ses entreprises.
« Avant de miser sur un pays, les investisseurs regardent sa croissance, mais aussi son tissu d’entreprises, analyse-t-il. S’ils n’y voient pas de PME dynamiques, ils ne viennent pas. Comme Pékin dans les années 1980, nos gouvernements doivent soutenir la naissance de champions domestiques qui donneront confiance aux investisseurs internationaux ».
Qu’on ne vienne pas lui dire que le secteur informel est un frein au développement. « Quand Bill Gates a fondé Microsoft dans un garage, c’était de l’informel ! » Qu’on ne vienne pas lui dire non plus qu’il faut consentir plus de prêts aux PME. « C’est de capitaux, et pas de prêts, dont elles ont besoin », assène-t-il avant de se dire tout de même optimiste, car « beaucoup d’argent circule dans le monde ». Il est possible de l’attirer avec un environnement « propice ».
Hausse des prélèvements et baisse des subventions, les conseils d’Abebe Sélassié
Abebe Aemro Sélassié exprime un peu la même exigence – aide-toi et le Ciel t’aidera – quand il insiste sur la nécessité de « mobiliser beaucoup plus de recettes nationales qu’avant la crise ». En clair, cela implique d’augmenter équitablement les prélèvements fiscaux et aussi de supprimer les subventions qui grèvent les budgets et profitent surtout aux plus riches.
La « mobilisation » suppose aussi de développer l’épargne de la classe moyenne africaine naissante et de la convaincre de s’investir dans des projets d’avenir pour compléter l’investissement public de plus en plus handicapé par le manque de moyens.
Mais le consentement à l’impôt comme la mobilisation de l’épargne nationale supposent, eux aussi, des vertus comme la bonne gouvernance et la transparence, seules capables d’inspirer la confiance sans laquelle les milliards indispensables à l’émergence ne seront pas au rendez-vous.
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