Un ministre dans la tourmente

Suspecté d’avoir autrefois favorisé un usage délictueux des fonds de l’Union européenne, Ahmed Sow a fait l’objet d’une enquête des instances communautaires chargées de la lutte antifraude. Les conclusions se font attendre.

Publié le 13 mai 2008 Lecture : 4 minutes.

Ahmed Sow est-il coupable ? Seules les conclusions de l’enquête administrative menée par l’Office européen de lutte antifraude (Olaf) permettront de savoir si le ministre malien des Mines a bel et bien favorisé l’usage délictueux de fonds communautaires. Reste à savoir si le rapport remis par l’Olaf à la Commission européenne, le 11 avril dernier, sera rendu publicÂ
Retour sur les faits. Nommé en février 2005 à la tête du Centre pour le développement de l’entreprise (CDE) – une institution consacrée à la coopération de l’Union européenne (UE) avec les pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP) -, Sow reçoit pour mission de moderniser des services jugés inefficaces : « En gros, on accusait le CDE d’être un repaire de fainéants, une coquille vide », affirme un proche du dossier.

Pressenti pour la primature
À la suite de diverses évaluations internes, Sow et son adjoint, Christian Claudon, décident en octobre 2006 de relever de ses fonctions l’expert en charge du service informatique, Terry Battersby. Dès lors, celui-ci recueille des fichiers informatiques à charge contre Sow, et les transmet à l’un de ses amis, le député européen britannique Brian Simpson, qui saisit l’Olaf. Le 26 mars 2007, une quinzaine d’enquêteurs débarquent par surprise au siège du CDE à Bruxelles, en plein conseil d’administration, et saisissent des informations extraites de l’ordinateur de Sow, entre autres.
Trois mois plus tard, celui-ci présente sa démission pour se mettre à la disposition d’Amadou Toumani Touré (ATT), qui vient d’être réélu le 29 avril à la présidence de la République du Mali. Un départ éventuel dont il avait informé le conseil d’administration du CDE dès sa nomination à la tête de ce dernier. Présenté comme l’un des principaux auteurs du Programme de développement économique et social (PDES) ?- le programme présidentiel -, il est fortement pressenti pour devenir le Premier ministre d’ATT. Mais, le 3 octobre, il est nommé ministre de l’Énergie, de l’Eau et des Mines dans le gouvernement de Modibo Sidibé. Déception ? Les adversaires politiques du président malien y voient surtout une marque de soutien condamnable d’ATT envers un proche soupçonné de fraude par la Commission européenne, le principal bailleur du pays.
Pendant ce temps, l’enquête de l’Olaf se poursuit. D’abord au Sénégal, puis au Mali. Sow est soupçonné d’y posséder des sociétés fictives et d’avoir détourné des millions d’euros. Des fuites relayées par la presse britannique se font l’écho d’allégations graves, mais souvent approximatives. Selon certains, Sow aurait perçu en 2001 un salaire de 315 000 livres – voire 395 000 selon les versions – de la filature malienne Fitina (Société de fils et tissus naturels d’Afrique) en rétribution de ses conseils. Pour d’autres, Sow aurait détenu entre 15 % et 20 % des actions de Fitina. Ce que dément catégoriquement l’intéressé, contacté par J.A. « Au début du projet, en 2001-2002, les promoteurs de Fitina m’ont demandé de revenir au Mali pour diriger la société. Les contrats du CDE étant de cinq ans à l’époque, j’ai envisagé cette possibilité. Mais la crise ivoirienne est arrivée en septembre 2002, remettant en cause la viabilité de l’entreprise, et j’ai préféré poursuivre ma carrière au CDE. » De fait, après avoir subi des délais et des coûts de construction dépassant toutes les prévisions, et après avoir perdu les marchés ivoirien et mauricien auxquels sa production était destinée, la filature ne fonctionnera vraiment que trois mois, entre juillet et octobre 2004.

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Procédure exceptionnelle
Mais ce n’est pas tout. À la suite de la remise du rapport de l’Olaf, le 11 avril dernier, la Banque européenne d’investissement (BEI), qui a contribué au financement de Fitina à hauteur de 3,7 millions d’euros, et la Commission européenne réclament – procédure exceptionnelle – la restitution de leurs fonds et envisagent des poursuites judiciaires. Les 25 et 26 avril, de nouvelles informations relayées par le Financial Times, RFI et l’AFP font état d’un possible « conflit d’intérêts » entre l’ex-directeur du CDE et Fitina. Les responsables de la filature, au premier rang desquels figure l’homme d’affaires malien Djibril Baba Tabouré, sont désormais soupçonnés d’avoir acquis des machines de seconde main auprès de la société Texway, implantée dans l’est de la France, au prix du neuf (environ 720 000 euros), afin d’empocher la différence. D’où la saisine du tribunal de Mulhouse, dont le procureur n’a, pour le moment, ouvert aucune instruction. « La procédure peut être longue et durer des années », confie-t-on au bureau du procureur.
Il n’en reste pas moins que Sow, face aux allégations de corruption, se défend de plus belle : « L’idée était justement d’amortir – grâce à Fitina – les équipements de filature d’une région atteinte de plein fouet par la crise du textile [l’Alsace, NDLR] en l’implantant dans un pays en développement. Le Mali a été choisi sur la recommandation d’études indépendantes. La BEI aurait-elle accordé un prêt sans étudier la nature de l’investissement ? S’il y a eu un problème d’évaluation, c’est de la BEI qu’il provient. Mais cette institution, notée AAA, ne veut pas le reconnaître. Enfin, comment, en qualité de fonctionnaire du CDE – que je ne dirigeais même pas en 2001 -, aurais-je pu influencer ce prêt ? » Sow serait-il une victime de l’emballement de la machinerie administrative ? C’est du moins la version que celui-ci défend. Et elle ne sera confirmée – ou infirmée – qu’avec la publication du rapport de l’Olaf par la Commission européenne. Si elle l’autoriseÂ

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