Sombre anniversaire !

Un an après son arrivée à l’Élysée, Nicolas Sarkozy a largement dilapidé l’exceptionnel capital de popularité dont il disposait. Ce qui ne signifie pas qu’il soit désormais dans l’incapacité de mener à bien les réformes promises, explique le politologue Jean-Luc Parodi.

Publié le 13 mai 2008 Lecture : 9 minutes.

Pour le début de sa deuxième année à l’Élysée, les Français ont refusé à Nicolas Sarkozy le cadeau qui lui aurait été le plus agréable et le plus nécessaire : quelques points de confiance en plus. Après avoir magistralement illustré cette « rencontre d’un homme avec la nation » par laquelle Charles de Gaulle avait défini la nouvelle élection présidentielle au suffrage populaire, il a gaspillé en douze mois son exceptionnel capital de sympathie. « Un gâchis », résume dans l’entretien-bilan qu’on va lire le politologue Jean-Luc Parodi, qui l’estime cependant capable d’accomplir, dans l’impopularité, l’essentiel des réformes promises, dût-il les réviser à la baisse car il a fait tant de promesses qu’il ne peut les tenir toutes.

Jeune Afrique : Malgré deux heures de plaidoyer télévisé, le 24 avril, le président n’a pas réussi à redresser sa cote de popularité pour l’anniversaire de son arrivée au pouvoir. Risque-t-il d’atteindre un point de non-retour ?
Jean-Luc Parodi : Il est encore loin d’avoir atteint les records de la Ve République : François Mitterrand et Jacques Chirac étaient tombés en dessous de 30 %. Il a encore des marges pour descendre. Mais retrouver une cote majoritaire me paraît presque impossible. Nicolas Sarkozy subit le contrecoup des espoirs qu’il avait soulevés.

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Et qui, eux, étaient sans précédent ?
Tout à fait, comme l’a montré l’ampleur de la participation à la présidentielle. Ce sont les fortes illusions et les énormes espérances d’hier qui expliquent l’importance des déceptions d’aujourd’hui. Il n’y a plus qu’un gros tiers de Français satisfaits de son action.

Que disent les sondés quand ils motivent leurs réponses ?
Il y a trois grandes catégories de mécontents. D’abord, les opposants de toujours, allergiques dès l’origine à l’image du candidat. Ensuite, ces électeurs de gauche que j’appellerais les bienveillants du début, qui, bien qu’adversaires, prêtaient au nouvel élu une aptitude à améliorer les choses. Enfin, les modérés et une partie de l’électorat âgé de Sarkozy, qui subitement ne reconnaissent plus chez lui les attitudes et comportements auxquels ses prédécesseurs les avaient accoutumés.
À commencer par sa vie personnelle, avec une succession d’aveux amoureux excessifs, puis un divorce non moins affiché, enfin un remariage à peine plus discret et dont la soudaineté a jeté le trouble sur la force de ses sentiments pour sa précédente épouse. Les Français ont eu l’impression qu’il s’occupait davantage de ses malheurs que de leurs problèmes.
Sa deuxième faute est politique : Sarkozy accorde une surimportance au leadership du chef de l’État, allant jusqu’au pouvoir personnel. Il n’a visiblement pas compris le secret du pouvoir présidentiel sous la Ve République, à savoir que le président, quelles que soient ses prérogatives, s’appuie sur un Premier ministre et un gouvernement eux-mêmes soutenus par une majorité parlementaire. Qu’il s’agisse des propos qu’on lui prête, à juste titre, sur François Fillon, considéré par lui comme un simple « collaborateur », ou de l’annonce arrogante que les ministres seraient notés comme dans une classe, et que les mauvais élèves seraient remplacés au prochain « remodelage » gouvernemental, tout cela déplaît fort à une partie de ses électeurs habitués à un autre fonctionnement du régime.

Dans sa vie privée, bénéficie-t-il maintenant d’un effet Carla ?
Je dirais oui, pour une première raison négative : il n’est rien arrivé de ce qu’on avait pu craindre. Avec Carla Bruni, on est passé, au contraire, de l’affichage à la discrétion. J’ai trouvé dans nos sondages cette remarque significative d’une personne âgée qui nous disait avoir connu toutes les épouses de présidents de la Ve, et qui souhaitait que la France ait enfin une première dame. Le succès de la nouvelle épouse du président lors de la visite officielle du couple au Royaume-Uni a dû la satisfaire. Les sondages ont enregistré une diminution de 30 % à 40 % des personnes déplorant l’exposition excessive par Sarkozy de sa vie privée.

Le président a reconnu à plusieurs reprises ses erreurs et assuré que tout était « rentré dans l’ordre ». Reste à comprendre comment il a pu les commettre, lui qui avait montré pendant sa campagne une très sûre intuition des attentes de l’opinionÂ
Nous avons connu sous la Ve un certain nombre de grands animaux politiques, qui ont montré dans la conquête du pouvoir une intelligence, une astuce et un talent exceptionnels. Ce fut le cas de François Mitterrand et de Jacques Chirac. C’est aujourd’hui celui de Sarkozy. On peut se demander si le fait même d’être parvenu au sommet ne les a pas exposés à une sorte d’ivresse des hauteurs.

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Bien connue des alpinistesÂ
Il y avait déjà chez Sarkozy une tendance au « moi je » plus forte encore que chez ses prédécesseurs. Elle s’est accrue depuis son élection, avec le sentiment qu’au fond il avait eu raison sur tout et qu’en conséquence, quoi qu’il dise ou fasse, il suivait toujours la bonne intuition. Avec en plus, chez lui, une propension assez fascinante à reconstruire l’Histoire, avec un avant où tout était raté, mauvais, impuissant, bien qu’il y ait largement collaboré, et un après qui allait commencer avec lui. Ce langage était compréhensible quand il était candidat, il devient de plus en plus inaudible aujourd’hui.

Une crise de confiance personnelle s’ajoute-t-elle dans l’opinion au scepticisme sur sa politique ?
Je ne dirais pas cela. Une image se détruit très vite et se reconstruit avec une extrême lenteur. Le seul espoir de Sarkozy était de limiter l’ampleur de la baisse. Mais il s’est heurté à un paradoxe : les gens ont tant attendu de lui et restent tellement marqués par son volontarisme qu’à chaque entretien où il s’efforce de se montrer plus prudent et réaliste il aggrave le désenchantement. On voudrait tellement l’entendre redire que le bonheur est pour demain !

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En 1995, Jacques Chirac et Alain Juppé, victimes de leur impopularité, ont dû capituler parce que l’opinion soutenait contre eux les grévistes. Sarkozy et Fillon ne courent-ils pas le même risque en déclarant vouloir maintenir, et même accélérer, le rythme des réformes ?
Non, parce qu’à la différence de ses prédécesseurs Sarkozy a dit avant son élection ce qu’il fallait faire et ce qu’il allait faire. Même désavoué par l’opinion, il garde sa légitimité pour réaliser ce qu’on appelle, d’un mauvais terme, « les réformes ». J’ajoute que Juppé n’avait mené aucune négociation, alors qu’aussitôt élu le chef de l’État a engagé avec les syndicats un dialogue sans précédent. En même temps, et c’est là qu’on mesure le gâchis de cette première année, la perte du soutien de l’opinion, la déperdition de confiance et l’échec consécutif des élections municipales ont réduit ses capacités politiques et renforcé les risques de crispation sociale.

Pourquoi n’aimez-vous pas le mot de « réforme » ?
Parce qu’il traîne avec lui un complet contresens. Pour l’opinion, la réforme est un changement dont doit sortir un mieux. Or toutes celles dont on parle sont autant de mesures d’austérité dont doit sortir un « moins pire » à lointaine échéance. Quand les Français approuvent les réformes, cela veut dire qu’ils en attendent une vie meilleure, des fins de mois moins difficiles, de plus grandes facilités pour leurs enfants de trouver du travail à la fin de leurs études. Or voilà cinq ans qu’on leur fait entrevoir des changements douloureux, qu’on les justifie par la mondialisation et la démographie, et qu’on leur cite en exemple les pays qui les ont réalisés avant nous.

Vos enquêtes expliquent-elles pourquoi le changement est plus difficile en France qu’ailleurs ?
Les Français sont différents. Cela tient à leur histoire, particulièrement à l’importance de l’État dans la société, à cette habitude qu’ils ont de se tourner vers lui, même quand ils sont libéraux, pour sauver une entreprise, mettre fin à un conflit, échapper à toutes sortes de difficultés qu’acceptent plus facilement des pays comparables, où l’État n’est pas considéré comme la surpuissance tutélaire. Mais le temps est pédagogue. J’ai l’impression que l’opinion française accepte aujourd’hui mieux qu’il y a cinq ou dix ans à la fois les conséquences de l’évolution démographique pour les retraites et les contraintes de la mondialisation pour la concurrence.

Pour reprendre la thèse de Michel Crozier et d’Alain Peyrefitte, la ­France se débloqueÂ
Oui, et en même temps, la société reste fragile, souffrante, capable de s’enflammer pour un simple incident ou de se mobiliser de façon inattendue, comme on l’a vu lors du référendum sur l’Europe, à cause d’une accumulation d’espérances déçues. Mais le déblocage est évident au niveau des élites sociales.

Sarkozy n’a pas renoncé à être un président qui gouverne. Est-ce l’explication de la baisse de Fillon dans les sondages ?
C’est la fin d’une situation sans précédent dans la Ve République, où le président s’effondrait dans les enquêtes tandis que son Premier ministre ne cessait de grimper. Après la phase où Fillon disposait, grâce à son image, d’une sorte de popularité par contraste, il commence à être rattrapé par la perception des difficultés inhérentes à la politique que Sarkozy et lui ont choisie. L’écart entre eux ne va donc pas cesser de se réduire, ce qui n’est pas de bon augure pour l’exécutif.

Le plus étonnant est que cette commune impopularité s’aggrave alors que les réformes les plus impopulaires sont à venirÂ
Le gouvernement a tout de même gagné l’épreuve de force de la réforme des régimes spéciaux de retraite. On savait que le plus difficile l’attendait avec le financement du régime général, mais il est frappant de constater que, au moment même où le président se « dé­cote », l’idée perdure qu’il est le seul à pouvoir faire passer des réformes indispensables à la société française. Après tout, il a quatre ans devant lui et, apparemment, la volonté d’agir.
Même ses adversaires savent bien qu’il faudra bien en passer par là. Ils ont donc intérêt à ce que la droite règle les problèmes douloureux pour les en débarrasser lorsque l’alternance reviendra. Sarkozy devrait donc pouvoir mener à bien sa politique, dans l’impopularité.

Que reste-t-il de son électorat de la présidentielle ?
La déception a frappé les deux camps, mais plus fortement, bien sûr, la droite, notamment l’électorat lepéniste. Pour autant, on ne constate pas un mouvement important de la droite vers la gauche. On en veut à Sarkozy d’avoir fait croire qu’il réaliserait ce qu’il avait dit. Et en même temps, on garde un peu d’espoir qu’il le fera. Alors, on attend. La logique voudrait que sa cote se stabilise autour de 40 % d’opinions positives.

À quand situez-vous le décrochage ? Et à quoi rapportez-vous les chutes successives de sa popularité ?
Il y a eu des paliers. Après une brève période d’état de grâce – 60 % des personnes interrogées avaient, par exemple, bien accepté l’escapade sur le yacht de Bolloré -, le décrochage a commencé dès la rentrée 2007 ; l’opinion n’apercevant pas ce qu’elle avait cru qu’on verrait. La déception a touché ce que j’appellerais la frange indulgente de la gauche.
À la fin de l’automne sont intervenus divers épisodes de sa vie privée. Les indiscrétions de la presse ont révélé un président qui n’était pas celui qu’on s’était représenté. Le plongeon s’est accéléré après la conférence de presse du début du mois de janvier. Techniquement assez remarquable, celle-ci a politiquement aggravé l’effet de désillusion en confirmant le quasi-abandon de certains engagements de la campagne, en particulier en matière de pouvoir d’achat.
Directeur de la Revue française de sciences politiques, consultant ?à l’Ifop, Jean-Luc Parodi est une mémoire vivante de la Ve République, dont il continue d’ausculter les dirigeants et leurs chances à travers des centaines de sondages devenus indispensables à une gouvernance éclairée.

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