Retour au chameau

Publié le 13 mai 2008 Lecture : 3 minutes.

Il y a des périodes où il n’y a que des mauvais points à distribuer. Celle que nous vivons est de celles-là.
Sont à blâmer, cette fois, non seulement les dirigeants politiques et, parmi eux, plus particulièrement ceux des pays du G8, qui se sont arrogé un pouvoir mondial qu’ils n’exercent pas ou mal, mais tout autant les dirigeants économiques de la planète.

L’un d’eux, Kemal Dervis, ancien ministre turc de l’Économie et actuel administrateur du Pnud (Programme des Nations unies pour le développement), a eu l’honnêteté de le reconnaître et de nous prévenir de ce qui nous attend :
« Nous n’avons rien vu venir. Nous sommes donc tous un peu coupables. Très peu de gens ont donné l’alerte, et pourtant, les tendances étaient là depuis l’an dernier.
Ce que l’économie mondiale subit est préoccupant :
La flambée des prix des produits alimentaires et de l’énergie a pratiquement absorbé la modeste augmentation des flux d’aide de la dernière décennie.
– Les marchés émergents auront beaucoup de mal à contrôler l’inflation et la masse monétaire en raison de la politique économique expansionniste des pays industrialisés.
– Les citadins les plus démunis des pays en développement affrontent un « tsunami inflationniste » des produits alimentaires et énergétiques qui les a déjà appauvris de 25 %.
– Nous nous trouvons devant un phénomène nouveau : l’envol des prix des produits de base en période de récession, ou à tout le moins de ralentissement, dans les pays avancésÂÂ Mais comment avoir une politique monétaire plus rigoureuse sur un marché émergent quand la Réserve fédérale américaine baisse ses taux d’intérêt ?
– Des pays comme la Turquie et le Brésil, qui combattent l’inflation depuis des années, se trouvent aujourd’hui confrontés à un véritable danger inflationniste créé par la nécessité de se porter au secours du secteur financier international. »

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Il est clair que nous devons nous attendre au retour en force de l’inflation, ainsi qu’aux souffrances et aux déséquilibres qu’elle nous occasionnera ; nous devons nous préparer à déployer pendant des années les efforts nécessaires pour nous débarrasser de ce fléau que nous croyions avoir terrassé.
Dans l’immédiat, plusieurs pays, où vivent des centaines de millions d’hommes, de femmes et d’enfants, découvrent ce qu’il en coûte d’être importateurs de pétrole et de produits alimentaires. L’un et les autres sont chaque mois plus chers et plus rares : comment les payer et jusqu’à quand les plus pauvres pourront-ils le faire pour simplement se nourrir, s’éclairer et se chauffer ?
Et comment ne pas trembler à la terrifiante perspective, très sérieusement envisagée, d’un pétrole dont le prix grimperait, d’ici à l’année prochaine, de ses 120 dollars actuels à 200 dollars ?
C’est ce dont nous menace Ayun Murtis, célèbre analyste de Goldman Sachs : « Il est désormais non seulement possible, mais vraisemblable, que dans les six à vingt-quatre mois qui viennent, le prix du baril de pétrole se situe dans une fourchette allant de 150 à 200 dollars. »

Signe des temps nouveaux, et dont je ne sais s’il faut le prendre pour un progrès – écologique à tout le moins – ou une régression, cette information venue de l’État indien du Rajasthan : ne pouvant plus faire face à la facture pétrolière, ni, par conséquent, utiliser leurs tracteurs, les paysans de cet État se sont avisés qu’ils avaient à leur disposition une force de traction silencieuse, sobre, très bon marché, qu’ils avaient eu tort de mettre au rebut : le chameau.
Leur État en compte quelques milliers et, depuis que ces bêtes ne fournissaient plus que leur viande, leur prix avait beaucoup baissé : un chameau coûtait quelques centaines de dollars, à peine plus qu’une chèvre. Et il a une espérance de vie supérieure à cinquante ans, bien plus grande donc que celle du plus résistant des tracteurs.

Le prix prohibitif de l’essence a ainsi conduit ces paysans indiens à réhabiliter leurs chameaux : depuis le début de cette année, leur prix s’est mis à augmenter.
Nul doute qu’il en sera de même sous d’autres cieux pour d’autres bêtes de trait et plus généralement pour les sources d’énergie qui permettent d’atténuer la dépendance à l’égard du pétrole.
La planète ne s’en portera pas plus malÂÂ

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