Rebondir malgré la crise

Qu’il s’agisse de garantir les besoins de la population ou d’exporter des produits à haute valeur commerciale, le premier atout de l’agriculture tunisienne est peut-être de savoir se remettre en question.

Publié le 13 mai 2008 Lecture : 5 minutes.

La Tunisie ne figure pas parmi les pays pauvres du Sud, mais elle est tout de même touchée par le « tsunami silencieux » provoqué par la montée des prix agricoles et, donc, des aliments de base au niveau mondial, selon la formule employée par Josette Sheeran, directrice du Programme alimentaire mondial (PAM). Sous l’effet de cette flambée des cours, en 2007, la facture des importations tunisiennes de céréales a doublé par rapport à 2006, passant de 599 millions à 1 194 millions de dinars. Résultat, la balance commerciale des produits alimentaires est passée, après trois années d’excédent (de 2004 à 2006), à un déficit préoccupant (voir infographie ci-contre). Déficit qui est venu alourdir la compensation budgétaire des prix publics des aliments de première nécessité. Qu’ils soient grands ou petits, presque tous les cultivateurs, les pêcheurs, mais aussi les industriels de l’agroalimentaire se plaignent de l’augmentation de leurs coûts de production. La crise alimentaire et la hausse des prix des intrants, liés à l’explosion des cours mondiaux du pétrole, ont fait valser les étiquettes, avec pour conséquence l’érosion du pouvoir d’achat des consommateurs et, notamment, des plus pauvres – que les statistiques officielles estiment à seulement 4 % de la population du pays.
Qu’il soit de nature conjoncturelle ou structurelle, le tsunami silencieux contrarie incontestablement la « révolution silencieuse » que connaît l’agriculture tunisienne. Mais nombreux sont ceux qui y voient aussi une motivation supplémentaire pour approfondir ou revoir la stratégie du pays en la matière, afin de tirer le meilleur parti des potentialités qu’il recèle.

Une stratégie révisée
Car même si nombre de commentateurs s’intéressent plus à la progression des filières industrielles « de pointe » et du tertiaire, l’agriculture?- heureusement – continue d’occuper une place prépondérante dans l’économie nationale. Le secteur emploie encore 16 % des actifs (contre 22 % en 1994), et 35 % de la population est toujours rurale. La structure de la production est dominée par l’élevage (37 %), l’arboriculture (26 %), le maraîchage (16 %), la céréaliculture (13 %), la pêche (5 %), les 3 % restants se répartissant entre diverses activités. Le taux de croissance moyen de la production agricole a atteint 2,6 % par an depuis 2002, sa valeur ajoutée représente 12 % du PIB, et les produits agricoles constituent 11 %, en moyenne, du total des biens exportés chaque année.
Malgré les aléas climatiques, l’agriculture tunisienne dispose de produits phares, de filières rentables et exportatrices. À commencer par celle de l’huile d’olive, dont le pays est l’un des plus grands producteurs et exportateurs mondiaux (voir pp. 72-73). Viennent ensuite les produits de la mer (plus de 100 000 tonnes, dont 21 000 exportées en 2007), les dattes (131 000 tonnes produites) – la Tunisie étant le premier exportateur mondial de la célèbre variété « Deglet Nour » -, ou encore les agrumes (300 000 tonnes produites) et le vin (350 000 hectolitres produits, dont 100 000 exportés). Les exemples de réussite d’entrepreneurs disposant de moyens financiers et recourant au marketing ont montré qu’il était possible de diversifier davantage et, dans chacune des filières, de produire plus et mieux.
Jadis réputée pour être le « grenier de Rome », la Tunisie est devenue un pays importateur de céréales. La ­production locale couvre, en moyenne, moins de la moitié des besoins annuels du pays, estimés à 3,1 millions de tonnes en 2007. Et si le tsunami silencieux pouvait avoir un premier effet positif, c’est bien sur ce plan. L’an dernier, dès les premiers signes de l’inflation des cours mondiaux des céréales, le gouvernement a décidé de revenir à une politique d’autosuffisance alimentaire. Celle-ci était passée aux oubliettes depuis de nombreuses années, sous le prétexte insensé, alors défendu par des experts de la Banque mondiale, qu’importer les céréales, la viande et le lait revenait moins cher que de les produire localement. « Il ne peut y avoir de sécurité alimentaire pour aucun pays, déclarait le président Zine el-Abidine Ben Ali en mai 2007, sans une agriculture développée et prospère, ni d’invulnérabilité pour aucun peuple, si la terre n’est pas la source essentielle de sa force et le symbole de son autosuffisance. » Ce qui implique de prendre à bras-le-corps le problème des prix payés aux producteurs – notamment aux céréaliers -, maintenus à un niveau bas, et qui ont démotivé nombre d’agriculteurs. Dont acte. Des mesures ont en effet été prises afin de rapprocher davantage les prix à la production des cours mondiaux et de susciter un regain d’intérêt pour la céréaliculture ; mesures par ailleurs assorties de dispositifs de rééchelonnement des dettes pour les agriculteurs et de l’augmentation des subventions pour l’achat d’équipements. C’est ainsi que le prix à la production du blé dur a augmenté de 22 % (40 dinars le quintal), celui du blé tendre de 15 % (35 dinars le quintal) et celui de l’orge de 50 % (30 dinars le quintal). La prochaine récolte, en juin-juillet, constituera le premier test des effets de cette politique.

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Le réveil des campagnes
« L’augmentation des prix à la production nous a donné des ailes, déclare un agriculteur de la région céréalière de Béja, dans le Nord-Ouest. Dans cette région, où la pluviométrie a été plus favorable, les agriculteurs ont mis le paquet, en choisissant de bonnes semences et en traitant leurs champs mieux que d’habitude. Pour l’irrigation d’appoint, un cultivateur a amené de l’eau puisée dans un lac collinaire distant d’une trentaine de kilomètres. Et, sauf accident, on devrait avoir un rendement à l’hectare bien plus important que par le passé. Dans les zones irriguées, certains parlent de ?6 tonnes à l’hectare cette année. » Du côté des organisations professionnelles, on table sur une récolte qui atteindrait les 2,7 millions de tonnes Une performance qui se rapproche du record historique enregistré en 2003. Il faudra cependant attendre quelques années pour qu’une véritable stratégie d’autosuffisance alimentaire permette à l’agriculture tunisienne de rebondir en se modernisant profondément.
Outre l’augmentation des prix à la production, il reste beaucoup à faire pour faciliter l’accès au crédit agricole à des taux qui ne soient pas prohibitifs. Il faut aussi parvenir à une organisation géographique des céréaliculteurs plus efficace, afin qu’ils mettent leurs moyens en commun et réduisent leurs coûts. Beaucoup à faire aussi pour trouver des substituts aux céréales importées pour l’alimentation animale et, enfin, pour une utilisation plus large des semences sélectionnées (voir pp. 70-71). Celles-ci permettent notamment un meilleur rendement et une meilleure qualité, mais leur taux d’utilisation ne dépasse pas, pour le moment, les 10 %.

Six nouveaux défis
Comme l’a récemment rappelé le gouvernement, le pays et son agriculture ont aujourd’hui six défis à relever, au premier rang desquels la garantie d’une sécurité alimentaire durable, qui repose essentiellement sur la production nationale, tout en respectant le principe de l’efficience économique. Deuxièmement, il s’agit de préserver les ressources naturelles contre toutes les formes de dégradation telle que l’érosion, la désertification mais aussi la surexploitation et, troisièmement, de faire face au phénomène du changement climatique, qui ira en s’accentuant. Le quatrième défi vise à pérenniser l’activité agricole dans un contexte d’instabilité des marchés extérieurs. Le cinquième consiste à préparer l’agriculture tunisienne à la libéralisation du commerce des produits agricoles, tant au niveau multilatéral (OMC) que bilatéral (Union européenne). Enfin, compte tenu des incertitudes qui accompagnent la crise alimentaire mondiale, l’ultime défi?- et non des moindres – est d’assurer le suivi des prix des produits agricoles de base sur le marché international, et de bien gérer leurs répercussions sur l’économie nationale.

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