Avec Ekow Nimako, l’Afrique se construit en Lego

Avec de simples briques de Lego, l’artiste ghanéo-canadien Ekow Nimako crée des œuvres monumentales célébrant les civilisations noires. Le musée Aga Khan de Toronto vient d’acquérir une création comportant 100 000 pièces noires !

« Kumbi Saleh 3020CE », œuvre de Ekow Nimako, au musée de Toronto © Connie Tsang/Musée de Toronto

« Kumbi Saleh 3020CE », œuvre de Ekow Nimako, au musée de Toronto © Connie Tsang/Musée de Toronto

NICOLAS-MICHEL_2024

Publié le 28 février 2021 Lecture : 3 minutes.

Au IVème siècle, Koumbi Saleh était la flamboyante capitale du royaume du Ghana. Ville commerçante de la côte ouest, sur la route reliant l’Afrique du Nord à l’Afrique subsaharienne, elle aurait servi de dépôt de sel et d’or et aurait été détruite, en 1240, par l’empereur du Mali Soundiata Keïta. Des fouilles archéologiques ont permis de la localiser, au début du XXème siècle, dans le sud de l’actuelle Mauritanie.

Mais si l’on parle d’elle aujourd’hui, c’est parce qu’une représentation fantasmée de la ville, sous la forme d’une maquette de 3m2, vient d’être acquise par le musée Aga Khan de Toronto, au Canada. Une maquette ? Pas vraiment, en réalité. Une œuvre d’art plutôt. La création se nomme « Kumbi Saleh 3020 CE » et elle est l’œuvre d’un artiste ghanéo-canadien, Ekow Nimako. Sa particularité ? Avoir été entièrement réalisée avec quelque 100 000 pièces de Lego noires !

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La sculpture, commissionnée par le musée, faisait partie de l’exposition Building Black : Civilisations d’Ekow Nimako, et assurait le lien avec une autre exposition, archéologique celle-là, se tenant simultanément dans le même musée : Caravans of gold, fragments in time. Pour le conservateur Michael Chagnon, l’acquisition de la pièce « renforce la capacité du musée à raconter des histoires mondiales sur les contributions des civilisations islamiques à travers le temps ». Pour Ekow Nimako, c’est l’occasion de mieux faire connaître son travail sur l’identité et les civilisations noires.

Androïdes et cyborgs

Représentant la ville de Koumbi Saleh dans mille ans, l’œuvre acquise par le musée donne une première idée des motifs qui inspirent le plasticien. « Afrofuturiste » : le qualificatif convient à celui qui se dit fasciné par les robots, les androïdes, les cyborgs ! L’utilisation exclusive des pièces de Lego, une passion qui le poursuit depuis l’enfance, renforce bien entendu cette dimension : leurs formes de pavés ou de cubes rendent difficiles la restitution des courbes et confèrent aux créations un aspect robotique certain. Mais cela n’a en rien empêché Ekow Nimako de créer des oiseaux, des méduses, des masques ou même des personnages aux cheveux tressés.

Il crée sa propre mythologie africaine à partir d’un matériau typiquement occidental

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Parmi ses œuvres les plus célèbres, le Cavalier noir, une sculpture de plus de deux mètres, composée de 80 000 pièces de Lego, représente une jeune femme africaine chevauchant une licorne noire. Créée en 2018 à Scarborough, où l’artiste a grandi, cette œuvre était née d’une interrogation : « Si Scarbourough devait honorer ses propres héros, qui serait représenté ? » La réponse de l’artiste, et son choix de n’utiliser que des pièces noires, offre une piste de lecture évidente.

Trop souvent dans les villes d’Amérique du Nord et d’Europe, les statues rendent hommage à des hommes blancs à cheval, fussent-ils des esclavagistes notoires ou des colonisateurs sans scrupules. Sa cavalière est une héroïne noire, fière, digne.

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Wakanda Forever

Depuis 2013, Ekow Nimako se demande : « Qui sont nos héros ? » et il crée sa propre mythologie africaine à partir d’un matériau typiquement occidental et généralement connu pour sa polychromie. « Quand on évoque les Lego, l’inconscient collectif les associe au jeu, avec toutes ces couleurs mélangées, déclarait l’artiste au magazine Vice. (…) Les gens me disent souvent : ce ne sont pas des Lego ! Ou : c’est fabriqué avec quoi ? Et quand je réponds que ce sont bien des Lego, et il y a comme une surprise, un choc. Et cela me ravit, parce que cela évoque sur de nombreux plans la polarité culturelle des Lego, qui demeurent, bien qu’ayant tant de succès partout dans le monde, quelque chose qui n’est jamais associé à la culture ou à l’identité noire. »

Et d’ajouter : « C’est aussi simplement un moyen pour moi d’exprimer ce que je suis d’une manière… Je ne veux pas dire accessible, mais je crois que les Lego sont un medium qui permet de comprendre les choses immédiatement, et c’est un aspect que j’apprécie. »

Jetant des ponts entre futur et passé, rappelant souvent une esthétique très « Black Panther – le film », les créations d’Ekow Nimako gardent en outre une dimension très narrative : elles nous racontent des histoires, d’autres histoires. Comme à l’époque, désormais trop lointaine, où allongé sur la moquette, l’on s’imaginait toutes sortes d’aventures en assemblant des briques de plastique.

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