Burkina Faso : le monde du livre fait sa révolution
Bien qu’une majeure partie de la population burkinabè soit analphabète et que la minorité sachant lire pratique des langues différentes, les acteurs du livre donnent un nouveau souffle à l’univers de l’écrit.
Quel chemin la littérature peut-elle se frayer dans un pays où le taux d’alphabétisation (pourcentage de personnes de 15 ans et plus sachant lire et écrire) n’est que de 36 % ? Quels bouquets de mots peuvent engendrer des contrées traversées par une soixantaine de langues ? Quel espace de plume conquérir, quand les priorités vitales sont multiples et les contenus audiovisuels démocratisés ? La contrainte étant un ferment des disciplines artistiques les plus arides, la Haute-Volta n’a pas manqué de grands écrivains.
Lune et soleil
Au firmament des lettres, comme lune et soleil, luisent notamment deux auteurs qui furent tout autant écrivains qu’acteurs de la grande Histoire. En 1962, Crépuscule des temps anciens épinglait au plastron de l’ancien élu du Parlement français Nazi Boni la réputation de premier écrivain de Haute-Volta. Dix ans plus tard, Histoire de l’Afrique noire conférait au socialiste Joseph Ki-Zerbo une envergure continentale.
En 2021, les universités Jospeh-Ki-Zerbo de Ouagadougou et Nazi-Boni de Bobo-Dioulasso ne font qu’une ombre bienveillante aux auteurs du Burkina Faso.
La liste des femmes et hommes de plume est longue : l’avocat Frédéric Titinga Pacéré, le romancier Ansomwin Ignace Hien, le poète Jacques Prosper Bazié, le dramaturge Jean-Pierre Guingané, la militante Monique Ilboudo, la multi-primée Sophie Heidi Kam ou encore Bernadette Sanou Dao, première ministre de la Culture du Faso.
Le Faso contemporain enfante des œuvres inscrites dans toutes les disciplines que peut abriter le livre. Athanase Kabré publie des textes pour théâtre de marionnettes dans Triade I. Téguewindé Sawadogo, Bernard Zongo et Mahamadi Kaboré s’essaient à l’essai à travers Penser et agir pour l’Afrique. Grégory Dabilougou, alias El Marto, illustre Made in Germany : un massacre au Congo. Et, l’union faisant la force, des collectifs d’auteurs portent des projets comme Regards croisés sur le coronavirus ou Ouaga Émoi, somptueux livre de table basse.
Bien sûr, les bougons – même les moins nationalistes – remarqueront que Monique Ilboudo est éditée au Congo, El Marto en Allemagne ou le collectif de « corona-auteurs » au Bénin. Même Ouaga Émoi, pourtant consacré à Ouagadougou, est publié par la maison d’édition sénégalaise Vives voix.
Face à la concurrence des « librairies par terre »
Ces dernières décennies, les éditeurs du Faso se sont heurtés à des gageures prévisibles : en amont, l’importance des coûts d’impression dans un pays enclavé où le papier est cher et, en aval, la distribution concurrencée par des « librairies par terre » volontaires mais qui sont source d’acculturation. En effet, comment vendre en librairie climatisée une bande dessinée burkinabè neuve au coût de revient de 6 000 F CFA (environ 9,15 euros), quand des exemplaires amortis d’un Blek le Roc occidental inondent le parvis de ladite librairie ?
Un livre incarcéré dans un tiroir est un cri étouffé
Un livre incarcéré dans un tiroir étant un cri étouffé, des acteurs installés ou émergents tentent de braver la tempête économique sahélienne, au moment où l’impression numérique permet d’envisager des coûts unitaires raisonnables.
Côté édition, l’ancien directeur de l’antenne africaine du groupe Bayard, le Burkinabè Lionel Bilgo, promet de révolutionner le secteur avec sa jeune société Teminiyis Média. Comme les auteurs, certains éditeurs font le pari du collectif et du transfrontalier, ainsi les éditions Sankofa, qui appartiennent à l’Alliance internationale des éditeurs indépendants.
Côté diffusion, l’ancienne et chrétienne librairie Jeunesse d’Afrique cohabite avec les librairies « Diacfa », Livres et loisirs, Mercury, mais aussi quelques bibliothèques communautaires comme l’espace de lecture Gabriel-Nacoulma de Cissin (quartier de Ouaga). Pour transformer l’essai, les entrepreneurs culturels attendent davantage des autorités. « Avec un soutien moral, on n’achète pas un livre », ironise le promoteur de la bibliothèque de Cissin…
Profil militant
Le gouvernement affirme déployer les outils dont il dispose pour éviter notamment l’édition sauvage. Avec les maigres ressources de son département de la Culture, il décerne tant qu’il peut les Grand Prix nationaux des arts et des lettres (GPNAL) et promeut – hors pandémie – la Foire du livre de Ouagadougou (Filo). En novembre 2019, les députés adoptaient une loi portant orientation de la filière du livre et de la lecture publique. Le Bureau burkinabè du droit d’auteur (BBDA), lui, forme les écrivains et exhorte tous les acteurs de la chaîne à miser sur la synergie d’action.
« Collectif » : le mot qui finira d’inscrire le secteur du livre dans la modernité
« Collectif » : le mot prononcé par des familles d’auteurs, des pools d’éditeurs ou des responsables politiques sera peut-être la clef corporatiste qui finira d’inscrire le secteur du livre dans la modernité. Après des regroupements comme l’Union des gens de lettres (Ugel) ou la Mutuelle pour l’union et la solidarité des écrivains (Muse), la Société des auteurs, gens de l’écrit et du savoir (Sages) et l’Association des éditeurs du Burkina Faso (Assedif) tentent de peser sur les débats littéraires.
Si un écrivain est souvent, par nature, un être à la quête solitaire, le profil militant des auteurs du Faso promet un poids croissant aux groupes de pression…
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