Le temps des politiques
Essentiellement composé de technocrates, son gouvernement peinait à convaincre l’opinion. Un an après son arrivée au pouvoir,Sidi Ould Cheikh Abdallahi a donc décidé d’en changer. Et de promouvoir l’un de ses proches.
Les Mauritaniens n’osaient pas imaginer que Sidi Ould Cheikh Abdallahi, toujours si mesuré, irait jusqu’à remercier Zeine Ould Zeidane. C’est pourtant ce qu’il a fait. De manière nette et sans bavure.
Le 6 mai en début d’après-midi, le chef de l’État rentre de Rosso, sur la rive du fleuve Sénégal, où il vient de lancer la campagne agricole 2008. Quelques heures plus tard, il convoque son Premier ministre. Ce dernier ne se doute de rien. La veille, il a très normalement rendu compte au président de sa participation au Forum de Beyrouth sur les économies arabes Pourtant, moins d’une minute après avoir pénétré dans le bureau présidentiel, Zeine Ould Zeidane en ressort : il n’est plus le chef du gouvernement. Dans la foulée, deux communiqués sont publiés. L’un pour annoncer sa démission, l’autre pour révéler le nom de son successeur : Yahya Ould Ahmed el-Waghf. Ministre-secrétaire général de la présidence, celui-ci est un fidèle de « Sidi ». À preuve, il préside le Pacte national pour la démocratie et le développement (PNDD), le parti de la majorité créé au mois de janvier afin de « fixer » les députés et responsables politiques ayant soutenu le chef de l’État durant sa campagne électorale.
Le soir même, Zeine Ould Zeidane annule une réunion prévue avec ses collaborateurs, tandis que les salons de la capitale bruissent de spéculations en tout genre. Quels seront les vainqueurs de ce jeu de chaises musicales ? À l’heure où nous mettions sous presse, la réponse n’était pas connue. Mais, de sources proches de la primature, il semblait probable que la majorité des ministres ne serait pas reconduite.
Promesses tenues
La rumeur d’un possible remaniement est apparue en mars, à l’approche de l’anniversaire de l’investiture du chef de l’État, le 19 avril 2007. L’heure d’un premier bilan Depuis un an, la vie politique a été marquée par de profonds changements : l’opposition est désormais consultée, l’exécutif n’intervient pas au Parlement, et le népotisme, même s’il n’a pas disparu, n’est plus la règle. Les promesses de campagne ont été tenues. Les Négro-Mauritaniens qui avaient dû fuir au Sénégal et au Mali à la fin des années 1980 ont commencé de rentrer au pays, et l’esclavage a été criminalisé par une loi. Mieux, le tabou sur les exactions commises à l’encontre de ces mêmes Négro-Mauritaniens a été levé lors de « journées de concertation ».
Pourtant, Mamadou, 51 ans, commerçant à Nouakchott, n’en finit pas de pester derrière ses petites lunettes : « Le bilan de la première année de Sidi, c’est zéro », tranche-t-il. Écrasée par la hausse des cours du pétrole brut et celle des prix des produits de base – plus 100 % pour le blé entre janvier 2007 et avril 2008 -, la population ne fait manifestement pas des avancées de la démocratie l’une de ses priorités.
Sa confiance s’étiole à mesure que la situation sécuritaire se détériore. Le 2 avril, les forces de l’ordre ont laissé s’évader l’un des détenus les plus dangereux du pays, Sidi Ould Sidina, l’un des auteurs présumés de l’assassinat de quatre touristes français, en décembre 2007. Cinq jours plus tard, elles l’ont encore laissé filer après une fusillade qui a coûté la vie à deux djihadistes et à un policier. Certes, Ould Sidina a finalement été arrêté, le 30 avril, avec deux complices présumés. Mais le verdict de Moussa, écrivain de son état, n’en est pas moins sans appel : « Avec Ould Taya [le chef de l’État déchu en août 2005, NDLR], les terroristes auraient été maîtrisés. » Drôle de nostalgie.
Il y a un an, « Sidi » avait choisi de donner la priorité à la compétence plutôt qu’à l’ancrage politique en constituant un gouvernement de technocrates. Avant le 6 mai, seuls quatre ministres appartenaient à un parti, l’Alliance populaire progressiste (APP), dirigée par Messaoud Ould Boulkheir, le président de l’Assemblée nationale. Le problème est que les Mauritaniens peinent à se reconnaître dans cette nouvelle équipe constituée d’inconnus qui ne jouent pas toujours leur rôle de relais avec l’intérieur du pays, où, d’ailleurs, ils ne se rendent que rarement.
« Les courroies de transmission traditionnelles, fondées sur l’appartenance tribale et locale, ont été rompues et n’ont pas été remplacées », reconnaît un conseiller du président. Le « gouvernement des e-mails », comme certains l’ont baptisé, n’a décidément plus la cote. Pressé par ses proches, le chef de l’État a donc décidé de changer son fusil d’épaule et de remercier le plus technocrate de tous, l’économiste Zeine Ould Zeidane, ancien gouverneur de la Banque centrale. « Sidi » n’a pas de différend particulier avec ce dernier, qui, entre les deux tours de la présidentielle, appela à voter pour lui après avoir obtenu 15,23 % des voix. Mais il devenait urgent de prendre un virage politique.
Yahya Ould Ahmed el-Waghf (48 ans) incarne ce tournant. En dépit de son parcours classique de cadre supérieur – il a successivement dirigé le parc national du Banc d’Arguin et Air Mauritanie, aujourd’hui en liquidation -, ce statisticien de formation se révèle un habile politicien depuis qu’il a rejoint l’équipe de campagne de « Sidi ». C’est lui qui, avec succès, a battu le rappel des troupes pour gonfler les rangs du PNDD. Lui, aussi, qui a piloté la délicate opération du retour des réfugiés et coordonne aujourd’hui le Programme spécial d’intervention censé enrayer la crise alimentaire. Autant de signes de la confiance que lui manifeste le chef de l’État.
L’opposition réticente
Confirmant la volonté présidentielle de donner une couleur politique plus nette à la nouvelle équipe, « Yahya » a proposé aux leaders des cinq partis d’opposition de participer au gouvernement, aussitôt après la passation des pouvoirs, le 7 mai.
Aux dernières nouvelles, le Rassemblement des forces démocratiques (RFD), dirigé par Ahmed Ould Daddah, opposant historique à Maaouiya Ould Taya et chef de file de l’opposition, ne semblait pas enthousiaste à l’idée d’entrer dans la danse. Non plus que l’Alliance pour la justice et la démocratie (AJD), d’Ibrahima Sarr, le chantre des Négro-Mauritaniens, et Hatem, le parti de Saleh Ould Hanena. Apparemment, le trio voit plus d’avantages politiques à rester dans l’opposition qu’à saisir la main tendue par la majorité.
De leur côté, l’Union des forces de progrès (UFP), de Mohamed Ould Maouloud, et le Rassemblement national pour le renouveau et la démocratie (RNRD), le parti « à référentiel islamique » de Jemil Ould Mansour, autorisé le 3 août 2007, n’excluaient pas de franchir le pas. L’un et l’autre ont toutefois présenté des exigences : que le gouvernement s’assigne pour priorité « la lutte contre la pauvreté?et la consolidation de l’unité nationale », pour Ould Maouloud ; qu’il combatte « la mauvaise gestion » et entreprenne « au moins des démarches en vue de rompre avec Israël », pour Ould Mansour.
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