Lassiné Diawara
Tabac, banque et logistique, l’homme d’affaires dirige un véritable empire à l’échelle de son pays. En s’appuyant notamment sur les groupes internationaux.
Le silence est d’or et, plus que quiconque, Lassiné Diawara le sait. Qu’ils admirent sa réussite ou fustigent son omniprésence dans le paysage économique du Burkina, il est effectivement un point sur lequel tous ses concitoyens s’accordent : le célèbre patron, réputé proche du président Blaise Compaoré, est un homme fort discret. Est-ce parce que ce natif de Bobo-Dioulasso fait figure d’anomalie dans un pays où la plupart des hommes d’affaires qui ont réussi viennent du Nord, de la région de Ouahigouya ? Marié et père de quatre enfants, Lassiné Diawara est, quoi qu’il en soit, un opérateur économique incontournable. Depuis ses bureaux situés sur l’avenue Kwame-Nkrumah, la plus célèbre artère de la capitale burkinabè, il dirige plus d’une dizaine de sociétés et gère un important patrimoine immobilier à Ouagadougou et Abidjan, ainsi qu’en région parisienne.
« Lorsque je me suis lancé dans les affaires à la fin des années 1980, je me suis très vite rendu compte qu’il y avait un créneau délaissé dans le pays, explique celui qui est à présent à la tête d’un véritable empire industriel et financier. La plupart des entrepreneurs burkinabè rechignaient à mobiliser leur argent dans des partenariats où ils n’étaient pas maîtres du management. S’ils ne possédaient pas l’entreprise, ils ne voulaient pas s’engager. Je les ai alors pris à contre-pied, n’hésitant pas à travailler pour des filiales de grands groupes occidentaux qui cherchaient à diversifier leurs activités sur le continent. Et grâce à un système d’intéressement, j’ai progressivement réussi à entrer dans leur capital. »
Lassiné Diawara est aujourd’hui président du conseil d’administration de la Mabucig – la Manufacture burkinabè de cigarettes, qui appartient depuis 2001 au groupe britannique Imperial Tobacco -, de SDV Burkina (logistique) du groupe Bolloré, et de Bank of Africa Burkina Faso (BOA-BF). Il détient 5 % des parts des deux premières et 10 % de la troisième. Il est aussi vice-président de la Société africaine de produits phytosanitaires – la Saphyto, une filiale du groupe Arysta LifeScience France -, dont il est propriétaire à 17 %, et président-directeur général de la SCI Amila, une société immobilière qu’il a créée de toutes pièces. Dans la sous-région, l’homme d’affaires s’est également déployé. Avec le soutien du groupe Bolloré, il a fondé en Côte d’Ivoire la Société anonyme de gestion et d’investissement (Sageci), qui consacre l’essentiel de ses activités à des tâches de manutention dans le port d’Abidjan. Au Mali et au Niger enfin, il est actionnaire, respectivement à hauteur de 15 % et 20 %, de deux sociétés spécialisées dans la fabrication d’engrais et d’insecticides : Mali Protection des Cultures (MPC) et Agrimex. « J’ai eu la chance d’entrer très tôt en contact avec des investisseurs de renom », avance aujourd’hui l’intéressé pour expliquer son succès.
Repéré par Bolloré
« La réalité est un peu plus prosaïque, nuance toutefois un journaliste. Lassiné Diawara a été lancé au milieu des années 1970 par un certain André Aubaret, un Français proche des réseaux Foccart, qui était alors président de la Chambre de commerce, d’agriculture et d’industrie de Haute-Volta (CCAIHV). Diawara appartenait aux jeunes Burkinabè qu’Aubaret avait choisi de former. Il lui a rapidement ouvert les portes de l’institution qu’il dirigeait », poursuit-il. À peine titulaire d’une maîtrise de gestion obtenue à Lomé, Diawara est effectivement propulsé secrétaire général adjoint de la CCAIHV en 1974. Chargé, trois ans plus tard, de doter la Haute-Volta d’un débouché maritime à Lomé, c’est cette expérience qui, dit-il aujourd’hui, lui sert de « rampe de lancement » : « À 28 ans seulement, j’étais déjà, en quelque sorte, mon propre patron. » Le jeune homme parvient à organiser avec succès le commerce entre les deux pays, si bien que, quand il est rappelé à Ouaga en novembre 1980, il succède directement à celui qui lui avait mis le pied à l’étrier.
En 1983 toutefois, la carrière de Diawara dans l’administration connaît un brutal coup d’arrêt lorsque Thomas Sankara arrive au pouvoir. Après une courte traversée du désert, il se tourne vers la fonction publique sous-régionale et intègre la Communauté économique de l’Afrique de l’Ouest (CEAO) – l’ancêtre de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) – en 1985. Recruté comme économiste en charge de la promotion du secteur privé, il profite de ses nouvelles fonctions pour enrichir son carnet d’adresses, fréquentant régulièrement les dirigeants de grandes multinationales occidentales comme Castel, Saga, CFAO ou Bolloré. « C’est à cette époque que j’ai pris conscience des opportunités qu’il y avait à leur servir d’interface en Afrique », confie-t-il. Vincent Bolloré a été le premier à lui offrir sa chance en le nommant en 1990 à la tête de la Mabucig, alors filiale du groupe de l’homme d’affaires français.
Puissance intimidante
Simultanément, Diawara s’investit aussi dans les réformes libérales menées par son pays. Il est de ceux qui ont activement milité pour le développement du secteur privé et défendu les vertus de l’économie de marché. Il participe à la mise en place d’une nouvelle Chambre de commerce, d’industrie et d’artisanat (CCIA) débarrassée de la tutelle étatique. Un engagement dont il sera payé en retour : en 2001, il devient le premier vice-président de la CCIA, mais aussi président du Scimpex, le puissant Syndicat des commerçants importateurs et exportateurs. Deux fonctions qu’il cumule – ou a cumulées – avec celles, notamment, de premier vice-président du Conseil économique et social, de président d’honneur du Club des hommes d’affaires franco-burkinabè, et de vice-président du Conseil national du patronat. « C’est un homme posé, organisé et très rigoureux. Cela lui permet de suivre toutes ses affaires malgré un agenda très chargé », explique l’un de ses collaborateurs.
Si Diawara reconnaît « rester, aujourd’hui encore, très sollicité », son intrusion dans la plupart des domaines de l’économie nationale finit par agacer. Certains l’accusent, en particulier, d’empêcher l’émergence d’un tissu de PME-PMI dans le pays. « Fantasme, ou réalité ? Beaucoup d’entrepreneurs sont, en tout cas, persuadés que sans l’appui ou l’assentiment de Diawara, il est impossible de développer son business. Sa puissance est intimidante », constate un homme d’affaires de la place. « Faux, rétorque-t-il. Je ne suis ni dans le riz ni dans les carburants, qui sont des secteurs porteurs eux aussi Si j’avais eu une propension à la domination, j’aurais cherché à prendre des participations beaucoup plus élevées dans les sociétés où j’ai investi », poursuit celui-ci, avant d’enfoncer le clou : « Désormais, j’ai d’ailleurs tendance à dire non lorsque je reçois de nouvelles sollicitations. »
À bientôt 60 ans, Lassiné Diawara entend, dit-il, se recentrer sur les quelques secteurs d’activité qui ont fait sa notoriété : la banque, les cigarettes et la filière transport-logistique, même s’il reconnaît soutenir activement le développement de Pharma Plus, une petite société de distribution de produits pharmaceutiques née il y a cinq ans. L’homme d’affaires place ainsi beaucoup d’espoir dans le développement de l’activité minière, avec la reprise de l’extraction industrielle de l’or dans le pays l’an dernier. Six permis d’exploitation y ont été délivrés. Pour les autorités, l’objectif est de produire 10 tonnes de métal jaune par an à partir de 2010. Soit, pour Diawara, une quantité équivalente à transporterÂ
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