La rupture selon Boni Yayi

Déterminé à poursuivre les réformes, le chef de l’État veut avancer vite, quitte à être seul. Une méthode critiquée par la classe politique, qui déplore un grave manque de concertation.

Publié le 13 mai 2008 Lecture : 6 minutes.

« Il n’y a pas de politique qui vaille en dehors des réalités », avait coutume de dire le général de Gaulle. Mais au Bénin, depuis l’élection en mars 2006 de Boni Yayi à la tête de l’État, ce sont deux réalités qui s’affrontent. D’un côté, celle d’un ancien économiste, ex-patron de la Banque ouest-africaine de développement (BOAD), triomphalement élu avec 75 % des suffrages, et qui peut légitimement miser sur cet élan populaire pour mener à bien son train de réformes articulé autour du « changement », de la bonne gouvernance, de la lutte contre la corruption et de la relance économique. De l’autre, une classe politique traditionnelle, certes assommée par le désaveu des urnes, mais bien décidée à jouer les premiers rôles, et qui ne cesse de dénoncer la dérive autoritaire, voire dictatoriale, de l’exécutif. Entre les deux camps, le choc est violent, l’incompréhension permanente.
Les hauts responsables politiques, partageant pour la plupart une conception patrimoniale du pouvoir, n’ont pas supporté l’arrivée subite de ce nouveau venu, ni cette victoire qui ne répondait guère aux règles de la « politiciennerie » béninoise. « Boni Yayi était membre de mon parti, la Renaissance du Bénin [RB], il a été mon conseiller économique, et c’est moi qui l’ai introduit à la BOAD, rappelle l’ancien chef de l’État Nicéphore Soglo [1991-1996]. Nous étions donc prêts à le soutenir pour assurer une transition, après les dix années catastrophiques durant lesquelles Mathieu Kérékou a été président. Mais il n’a jamais respecté l’accord politique signé avant le second tour de 2006, qui prévoyait une gestion paritaire du pays. C’est une faute et c’est lui qui nous a jetés dans les bras de l’opposition », conclut-il, persuadé que Yayi cultive une coupable admiration pour le modèle togolais du défunt général Eyadéma. Au final, le seul membre du gouvernement issu du clan de Nicéphore Soglo se trouve être son propre fils, Ganiou, promu ministre de la Jeunesse en juin 2007. « Nous n’avons pas été informés de cette nomination. Boni Yayi a voulu faire un coup politique, visant à détruire le parti et la famille qui l’avaient accueilli », considère Soglo, qui, depuis cette humiliation, semble être parti en guerre, avec sa femme Rosine, par ailleurs présidente de la RB, contre le locataire du palais de la Marina.

Couacs durant les municipales
Point d’orgue de cette crispation : les élections municipales du 20 avril, qui se sont déroulées dans le désordre le plus absolu. Retard dans l’acheminement du matériel électoral, mise à jour incomplète des listes d’électeurs, erreurs dans l’affectation des bulletins de vote imprimés durant la dernière semaine Sans l’intervention in extremis d’une délégation de la Francophonie – emmenée par Albert Bourgi, le colonel Siaka Sangaré et la conseillère spéciale d’Abdou Diouf, Christine Desouches -, il est probable que ces consultations auraient été reportées une troisième fois. Le bras de fer permanent entre la Commission électorale nationale autonome (Cena), contrôlée par l’ensemble des partis politiques représentés à l’Assemblée nationale (lire encadré p. 30), et le gouvernement, déterminé à vérifier l’utilisation des 5,3 milliards de F CFA (8 millions d’euros) destinés à l’organisation du scrutin, n’a fait que retarder le décompte des voix. Trois semaines après le vote, les résultats n’ont toujours pas été officiellement annoncés, les contentieux à la Cour suprême s’accumulent et le scrutin a été repris, le 1er mai, dans plusieurs localités. Chacun se renvoie la responsabilité mais, fondamentalement, le Bénin traverse une crise politique, entre une opposition remontée mais éclatée, et un président solitaire mais déterminé.
La mouvance présidentielle articulée autour des Forces cauris pour un Bénin émergent (FCBE) a gagné, selon les tendances à la sortie des urnes, toutes les localités de taille moyenne. C’est de bon augure pour la présidentielle de 2011, lorsqu’il s’agira de battre campagne et de compter sur ces grands électeurs pour relayer le message du président. Mais, parallèlement, les FCBE ne sont pas parvenues à mettre la main sur les deux principales villes du pays. La RB a en effet conservé la mairie de Cotonou, et le Parti du renouveau démocratique (PRD) d’Adrien Houngbédji – candidat malheureux en 2006 -, celle de la capitale, Porto-Novo. Un avertissement, même si, pour l’instant, l’essentiel n’est pas remis en cause.
La popularité de l’énergique Boni Yayi dans les campagnes est indiscutable. Les nombreuses marches – spontanées ? – de soutien à Cotonou prouvent qu’il jouit encore d’un important capital de sympathie. Son engagement pour le pays, la farouche bataille engagée contre la corruption et ses premiers résultats plaident en sa faveur. L’assainissement des finances publiques a permis de présenter un budget 2008 en hausse de 17 % à plus de 1 000 milliards de F CFA, avec une prévision de croissance de 6,8 %. Les 20 milliards de F CFA mis à disposition du programme de microfinance ont bénéficié à quelque 500 000 personnes. La réorganisation de la filière de vente de véhicules d’occasion au port de Cotonou a généré 15 milliards de F CFA, qui échappaient auparavant aux caisses de l’État pour se perdre dans les méandres du clientélisme et de la prévarication. La gratuité de l’école primaire et la construction de 600 salles de classe ont permis l’inscription de 250 000 élèves supplémentaires. La renégociation des licences de téléphonie mobile a rapporté, dans l’immédiat, 75 milliards de F CFA, et on en attend autant pour les dix prochaines années. Après deux ans de pouvoir, ce bilan est plus qu’honorable. MaisÂ

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Comme un air de SarkozyÂ
« Le président a commis beaucoup de maladresses politiques, analyse un connaisseur qui a l’oreille du patron. Son combat personnel contre Soglo pour la mairie de Cotonou était inutile. Son incapacité à tenir des alliances à l’Assemblée nationale le fragilise et, aujourd’hui, il n’a plus de majorité depuis le départ de treize de ses députés. Pour sortir de cette impasse, il faut qu’il apprenne au moins à sauver les apparences d’un dialogue politique », conclut-il. « Au Bénin, pour conquérir et exercer le pouvoir, il faut nouer des alliances et accepter de faire des compromis », avertit Adrien Houngbédji. Les conflits successifs avec les douaniers, les magistrats et le personnel médical sont autant de signes d’un déficit de concertation. Il y a un peu de Nicolas Sarkozy chez Boni Yayi Le chef de l’État veut réformer vite, quitte à bousculer les habitudes, incarner la rupture, au risque de fragiliser les équilibres du passé et tout entreprendre, sans éviter de donner le tournis. Quant à la communication présidentielle, parfois maladroite, elle est souvent parasitée par l’obsession de l’unanimisme.
Du côté du palais de la Marina, on assume. « Nous avons affaire à un système qui a dirigé le pays depuis la conférence nationale de 1990, et qui a pris de très mauvaises habitudes, explique le secrétaire général du gouvernement, Victor Topanou. Les résistances sont donc nombreuses, mais nous incarnons un idéalisme et reconnaissons notre dose de naïveté. Et si le président n’avait pas cette relation directe avec les populations, nous pourrions être menacés dans notre volonté d’inverser le rapport de force. La collusion entre l’élite politique et les cadres de la fonction publique a ruiné le pays. Nous voulons remettre la population au cÂur des préoccupations. » « Le caractère émotif et impulsif du président, sa volonté d’être aimé, sa précipitation dans certaines décisions lui ont certainement causé du tort », reconnaît toutefois l’un de ses plus proches conseillers, avant d’ajouter : « Il commence à en prendre conscience et à revoir sa méthode. » Quant à l’intéressé, il lui arrive de confier à quelques-uns de ses visiteurs qu’il n’a pas « besoin de relais ». Comme si la méfiance qu’il éprouve à l’égard de la classe politique était son unique boussole. Pas sûr qu’à terme cela ne lui joue pas de mauvais tour.

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