Dakar : le Centre Yennenga bientôt tête de pont de la post-production
Le cinéaste Alain Gomis achève une campagne de financement participatif pour boucler le budget d’une infrastructure de post-production cinématographique en Afrique de l’Ouest, le Centre Yennenga, à Dakar. L’arrivée de la première promotion est prévue pour les mois à venir.
Réalisateur maintes fois primé, lauréat de l’Ours d’argent au festival de Berlin pour son dernier film Félicité, seul cinéaste avec Souleymane Cissé à avoir obtenu deux fois l’Étalon d’or au Fespaco – en 2013 pour Aujourd’hui, ou Tey, en wolof, et 2017 pour Félicité –, le Franco-Sénégalais Alain Gomis a pris l’initiative, en 2018, de lancer avec quelques autres le projet du Centre Yennenga.
Former des talents
Premier pôle culturel consacré au cinéma au Sénégal, ce centre qui devrait tout prochainement entrer en activité à Dakar a pour but de créer une infrastructure de post-production de films de niveau international dans une région, l’Afrique de l’Ouest, qui en est totalement dépourvue. Et, pour atteindre cet objectif, de former des talents africains aux métiers du septième art. Tout en favorisant l’accès au cinéma de la population locale.
Le centre lance un appel aux dons sur Fiatope
À la veille du lancement de ses activités, le centre lance un appel aux dons sur la plateforme de financement participatif africaine Fiatope jusqu’au 31 mars prochain. Le projet étant déjà financé à hauteur de 90 %, il s’agit de couvrir les 10 % restants, soit l’équivalent de 50 000 euros, pour permettre des travaux d’aménagement du centre dans le lieu où il sera hébergé à Dakar, ainsi que des achats de matériels et la couverture des frais occasionnés par l’hébergement et la restauration des futurs bénéficiaires des formations.
Cette campagne est soutenue par des personnalités africaines et de la diaspora comme Aissa Maïga, Mati Diop, Jihan El Tahri, Moussa Sene Absa – ainsi que par la maire de Dakar, Soham El Wardini.
En quoi cette initiative pour promouvoir le septième art en Afrique est-elle novatrice ? Que doit-on en espérer ? Nous avons posé ces questions à Alain Gomis, persuadé, on va le voir, que le rôle que doit jouer le Centre Yennenga est véritablement essentiel pour la promotion du cinéma en Afrique de l’Ouest.
Jeune Afrique : D’où vous est venue l’idée de créer ce Centre ?
Alain Gomis : J’ai tout simplement remarqué à quel point il pouvait être difficile de faire des films en Afrique, plus particulièrement pour les jeunes. Alors même que l’on commence à ouvrir de nouveau des salles, il n’y a guère de films africains à proposer au public. Les derniers Fespaco ont permis de s’en apercevoir si nécessaire : il y a peu d’œuvres disponibles pour l’exploitation.
En matière de post-production, du montage au mixage et à l’étalonnage, il n’y a pratiquement rien
Comment faire pour produire un film quand on n’a pas comme moi la faculté de voyager facilement d’un continent à l’autre et de pouvoir chercher des financements? Plus précisément, j’ai pris conscience que des outils qui occupent un espace important dans la structure de production d’un film manquaient en Afrique. Il y a des réalisateurs, des chefs opérateurs même s’ils sont trop peu nombreux, mais en matière de post-production, du montage au mixage et à l’étalonnage, il n’y a pratiquement rien.
Or si l’on doit aller dans d’autres pays pour la post-production, en Europe voire au Canada ou ailleurs, cela revient très cher, et augmente considérablement le coût d’un film, donc la possibilité de le réaliser. D’où l’importance de trouver un moyen d’avoir une structure de post-production sur place. Et par la même de soutenir une cinématographie indépendante. Tout en accompagnant des jeunes Africains désireux de se former aux métiers du cinéma.
Cette prise de conscience s’est-elle produite du fait de votre installation au Sénégal depuis une dizaine d’années ?
En effet. Parce que, tout à coup, cette problématique m’est apparue essentielle, et de façon très concrète. Y compris en m’occupant de mes propres films, les deux derniers, Tey et Félicité, ayant été tournés en Afrique. J’ai pu voir comment la post-production pesait sur le coût global des films, d’une façon anormale si l’on se réfère à la part du budget consacrée à cela dans une production hors du continent. En particulier si on la compare à qui concerne le tournage. Et si l’on prend en compte la question des monnaies et de leurs valeurs respectives. Ce qui a d’ailleurs pour conséquence automatique d’augmenter, en cas de coproduction, la part des Européens dans le financement des films.
L’essentiel, donc, c’est la question du coût. Mais, s’agissant en particulier du montage, n’est-il pas aussi important de ne pas subir une sorte d’« européanisation » des films si la post-production n’est pas locale ?
Bien sûr. Le montage, après le scénario et le tournage, c’est encore une autre écriture du film. Je ne sais pas trop si cela a un sens de parler d’une écriture africaine, mais en tout cas, travailler sur place dans la perspective d’un public sur place, c’est très important. Je suis pour les échanges culturels, je suis moi-même, avec un père sénégalais et une mère française, le fruit d’échanges.
Sans tissu local, il est difficile de faire exister une cinématographie
Mais ce n’est pas pour autant qu’il n’est pas important d’avoir la possibilité de tout faire sur place et de posséder les outils nécessaires pour cela. C’est essentiel pour la majorité des films. Regardez le cinéma américain, sans parler du cinéma indien. Seule une minorité de films américains ou indiens voyagent au loin. La plupart ne quittent pas le territoire où ils sont produits et ils sont destinés au public local. Sans ce tissu local, il est difficile de faire exister une cinématographie. Il faut peut-être d’abord se préoccuper de ces films-là avant de songer à ceux qui pourront voyager.
Pourquoi avoir voulu créer le Centre à Dakar ?
Évidemment parce que j’ai un lien très fort avec Dakar, qui nous aide d’ailleurs, notamment en nous abritant dans un centre socio-culturel, mais pas seulement. C’est une ville où, concernant le cinéma, il se passe en ce moment beaucoup de choses, il y a de nombreuses initiatives, les cinéastes sont en mouvement. Et le Sénégal a créé un fonds d’État, le Fopica, pour soutenir le cinéma et l’audiovisuel en général et notre projet en particulier. À côté d’autres institutions locales ou européennes comme l’Agence française de développement.
Si vous faites appel à un financement participatif, est-ce parce que vous avez beaucoup de mal à boucler votre budget ?
Il nous manque effectivement encore un peu d’argent si, outre la question de la post-production, on veut remplir une autre mission : amener au cinéma la population locale, notamment par des projections pour les jeunes. Mais surtout, le Centre doit être pour nous un projet collectif. Il faut donc donner la possibilité à ceux qui le souhaiteront d’y participer.
Où en est le projet ? Quand le Centre Yennenga va-t-il effectivement fonctionner ?
Très bientôt. On songeait jusque-là à commencer les activités dès le mois d’avril. Mais peut-être devra-t-on retarder un peu cette ouverture à cause du Covid. D’autant qu’on est obligé pour l’instant de faire venir les formateurs de France, puisqu’il n’y a pas encore de post-production professionnelle en Afrique de l’Ouest. Et on sait que les conditions de voyage sont telles que des délais sont à prévoir.
Mais comment va fonctionner concrètement le Centre Yennenga et comment seront sélectionnés ceux qui pourront s’y former ?
Dans un premier temps, on n’envisage pas de faire de la formation initiale mais plutôt de s’occuper de gens qui ont déjà un peu appris d’une façon ou d’une autre le métier. On ne proposera pas pour autant de formations courtes : on ne forme pas un véritable monteur en trois mois, on ne se contente pas de lui apprendre à manipuler un logiciel si on veut qu’il maîtrise la narration et toutes les facettes de sa fonction.
Pour accompagner les candidats retenus vers la professionnalisation, il faudra deux ans de formation. En travaillant sur des films d’école ou des films qu’on recevra et qui auront besoin d’un apport de post-production. Et on fera cela de concert avec d’autres initiatives dans le domaine du cinéma au Sénégal, par exemple celle, complémentaire de la nôtre, du collectif Kourtrajmé de Ladj Ly qui s’occupe surtout de former à l’écriture de projets de film.
Les formations seront gratuites
Afin que l’on puisse toucher tous les milieux sociaux, que l’on puisse s’adresser à tous ceux qui, selon la formule de Cheick Oumar Sissoko quand il était ministre de la Culture du Mali, « veulent produire des images de leur rêves et de leurs envies sans risquer d’être engloutis par les images des rêves et des envies des autres ». Les formations seront gratuites. Et c’est un comité de sélection qui choisira, en fonction de leur parcours antérieur et de leur motivation, les élus parmi les nombreux candidats.
Le cinéaste Alain Gomis est-il pour sa part en train de préparer un nouveau film ?
Le scénario de mon prochain film est prêt. On est en recherche de financement et j’ai bon espoir que cela aboutisse bientôt même si la période actuelle rend les gens quelque peu frileux. Donc qu’on pourra tourner assez rapidement ce projet ambitieux, cette année ou au début de la prochaine. En partie en Afrique et peut-être en Europe, mais aussi aux États-Unis puisqu’il s’agit d’un film sur les Africains-Américains qui se passe dans les années soixante.
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