Condoleezza Rice, ou l’art de ne rien faire

Aucun secrétaire d’État américain n’a consacré autant de temps et d’efforts au conflit israélo-palestinien pour aussi peu de résultats. Une impuissance qui en dit long sur la perte d’influence de Washington, notamment sur Tel-Aviv.

Publié le 13 mai 2008 Lecture : 5 minutes.

La secrétaire d’État américaine, Condoleezza Rice, s’est rendue en Israël et en Palestine pas moins de quinze fois ces quinze derniers mois, et en est revenue pratiquement bredouille. Son action diplomatique a tourné court. Loin de contribuer au règlement du conflit, Condi aura été le révélateur de la nette perte d’influence de l’Amérique – au moins sur son allié israélien. Elle n’a pas non plus évité l’humiliation personnelle. Quand elle déplore l’expansion des colonies israéliennes, le Premier ministre Ehoud Olmert autorise aussitôt la construction de nouveaux logements, attendant à peine qu’elle se soit envolée de l’aéroport Ben-Gourion. C’est un camouflet, mais elle en a toujours redemandé.
Il est probable qu’aucun secrétaire d’État américain n’a consacré autant de temps et d’efforts au conflit israélo-palestinien pour aussi peu de résultats. Condi semble vouloir à tout prix un zeste de progrès, si vain soit-il, que le président George W. Bush puisse monter en épingle lorsqu’il viendra assister aux cérémonies marquant le soixantième anniversaire d’Israël. Mais, comme le constatait tristement le dirigeant palestinien « modéré » Mahmoud Abbas, après sa récente entrevue avec Bush à Washington, « franchement, on n’a rien fait jusqu’ici ». Ceux qui ont de la mémoire ne manqueront pas de comparer l’impuissance de Condoleezza Rice aux parcours magistraux de James Baker, lorsqu’il rendait visite aux acteurs locaux – dont la Syrie et un Israël extrêmement rétif – pour préparer la conférence de Madrid de 1991, qui donna le coup d’envoi du processus de paix il y a dix-sept ans.
Pourquoi Condi est-elle aussi inefficace ? La toute dernière responsabilité incombe, naturellement, à son patron, le président Bush, qui ne lui a manifestement donné ni les moyens ni l’autorité pour agir de façon décisive, en grande partie parce qu’il maîtrise très mal le sujet lui-même, et en raison des nombreuses influences qui s’exercent sur lui – celles du vice-président, Dick Cheney, d’Elliott Abrams, le néoconservateur chargé du Moyen-Orient, et des nombreux lobbies et think-tanks de Washington, qui se font les avocats de la cause israélienne. Le temps où les États-Unis jouaient un rôle d’honnête courtier appartient à un passé révolu. Le paradoxe est que Bush clame qu’il veut un accord israélo-palestinien avant la fin de l’année, tout en refusant d’intervenir auprès d’Israël d’une manière qui permettrait de le signer. Quand, lors de son dernier voyage, un journaliste a demandé à Condi si elle ferait pression sur Israël à propos des colonies, elle a répondu que la question n’était pas d’exercer une pression, mais de régler les problèmes. On peut se demander sérieusement comment elle compte arriver à ses fins sans s’en donner les moyens.
En l’absence de tout ce qui peut ressembler à une pression américaine, Israël continue d’installer des colonies en Cisjordanie et à Jérusalem-Est. L’État hébreu n’a évacué aucune de la centaine d’implantations sauvages de Cisjordanie ; il n’a pas renoncé aux incursions militaires meurtrières dans les villes et les villages palestiniens ; il n’a relâché aucun des 10 000 prisonniers palestiniens ni levé les 500 barrages qui rendent la vie impossible aux Palestiniens. Et le blocus de Gaza continue impitoyablement.

Grosse bourde
Dans le même temps, l’administration Bush enterre scandaleusement les problèmes clés du conflit : les frontières définitives d’Israël et celles d’un futur État palestinien ; l’indemnisation ou la réinsertion des réfugiés palestiniens, et le statut de Jérusalem. Aucun dirigeant palestinien ne peut signer avec Israël un accord qui ne prévoirait pas la souveraineté palestinienne sur le Haram al-Sharif, le mont du Temple.
En plus des contraintes imposées par les forces intérieures à l’Âuvre dans l’administration Bush, il y a d’autres raisons plus spécifiques à l’échec de Condi. Son erreur fatale est qu’elle s’est fixé des objectifs trop modestes. Au lieu de travailler à un règlement israélo-arabe global, elle s’est attachée à chercher un accord entre deux personnalités déconsidérées et non représentatives : le Premier ministre israélien, Ehoud Olmert, encore poursuivi pour corruption, et Mahmoud Abbas, l’infortuné président d’une Autorité palestinienne quasi moribonde. Ces objectifs limités suffisent à condamner les efforts de Condi.
Nul besoin d’être un expert pour comprendre qu’il ne peut y avoir de paix au Moyen-Orient sans la participation de deux acteurs essentiels : la Syrie et le mouvement islamiste Hamas, qui gouverne à Gaza. Et pourtant, Condi défend une politique qui, au lieu de nouer des contacts avec la Syrie, la punit et cherche à l’isoler, tout en traitant le Hamas, vainqueur des élections démocratiques palestiniennes de janvier 2006, d’« organisation terroriste ».
Condi est allée jusqu’à présenter les membres du Hamas comme des « combattants au service de l’Iran » – bourde énorme, compte tenu des origines du mouvement parmi les Frères musulmans et de ses objectifs purement palestiniens -, et a accusé le Hamas de « prendre la population de Gaza en otage » et de « mettre en place une infrastructure terroriste ».
Au lieu d’Âuvrer à une réconciliation entre le Hamas et le Fatah de Mahmoud Abbas – essentielle pour toute avancée sérieuse vers la paix -, elle veut les opposer l’un à l’autre, entretenant l’illusion israélienne selon laquelle le Hamas peut être mis au pas par la force. Elle ne semble pas comprendre qu’adopter le langage des responsables de la sécurité israélienne discrédite les États-Unis aux yeux des Palestiniens et des Arabes, et lui interdit toute possibilité de se proposer comme un médiateur acceptable.

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Paresse bushienne
Plus grave est son incapacité à donner une idée de la vision américaine d’un règlement israélo-palestinien. La position paresseuse de Bush est qu’il revient aux parties de se mettre d’accord. Il n’a manifestement aucune intention de préciser les données de base, à ses yeux, d’une solution du conflit – pas même d’évoquer des « paramètres » tels ceux que Bill Clinton avait définis dans les dernières semaines de sa présidence. Mais le déséquilibre est tel, entre un Israël tout-puissant et des Palestiniens brisés, matraqués et divisés, qu’il ne peut y avoir aucun espoir de règlement sans une vigoureuse intervention américaine. En « laisser le soin » aux parties est une garantie d’échec.
L’aspect le plus extraordinaire de la diplomatie de Condoleezza Rice est qu’elle ne cherche pas à obtenir une entente ferme, ou un traité, ou un engagement entre les deux parties précisant clairement les promesses et les délais, mais un shelf agreement, un « accord de principe », d’un genre jusqu’ici peu pratiqué dans les négociations de paix. Qu’est-ce qu’un shelf agreement ? Comme son nom l’indique en anglais, c’est un accord qu’on peut mettre sur une « étagère » (shelf), ou dans un tiroir, jusqu’à ce que ses signataires jugent que le moment est venu de l’appliquer – un moment qui ne viendra pas vite, et peut-être jamais.
On n’oubliera pas les terribles dommages que George W. Bush a causés au monde arabe et aux États-Unis avec sa guerre en Irak. Il faudra des décennies pour les réparer. Il y a eu, à un moment, une lueur d’espoir lorsque, aidé par la fidèle Condi, il a peut-être cherché à se racheter partiellement en se faisant l’architecte d’un règlement israélo-arabe. Il y a eu les mots – Bush a mentionné l’objectif d’un « État palestinien » -, mais sans un passage à l’acte résolu, de simples paroles ne peuvent que rester lettre morte.

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