[Tribune] L’Afrique n’a pas évité le pire, le pire a évité l’Afrique, pour le moment
Étant donné que la pandémie de Covid-19 n’est pas encore éteinte, il est trop tôt pour dire quoi que ce soit de définitif sur la résilience des économies africaines, juge l’économiste Kasirim Nwuke, qui a du mal à voir en la Zlecaf une solution.
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Kasirim Nwuke
Économiste avec plus de 25 ans d’expérience aux niveaux national et international. Il travaille et écrit sur l’économie, la science, la technologie et l’innovation, et la société, avec un accent particulier sur l’économie numérique.
Publié le 3 mars 2021 Lecture : 5 minutes.
Il y a eu ces derniers temps de nombreux débats sur l’Afrique et ses réponses au Covid. Pourtant, je pense qu’il est trop tôt pour tirer des leçons définitives et savoir si les réponses des pays africains pour atténuer les risques économiques associés à la crise ont été efficaces ou non.
En outre, il est très difficile de tirer des conclusions globales tant les différences sont nombreuses et enracinées, et pas seulement en termes économiques. L’Afrique du Nord ou l’Afrique australe divergent ainsi du reste du continent. Mais ce point n’impacte pas leur trajectoire face à la crise.
Trajectoires divergentes
L’Angola, le Nigeria et l’Afrique du Sud ont peut-être enregistré des résultats horribles l’année dernière en termes de croissance, car ces économies sont plus intégrées dans la chaîne d’approvisionnement mondiale que la plupart des pays africains. Mais ils sont peu intégrés au reste du continent, et donc leur piètre performance a peu d’impact sur leurs voisins du continent.
Autre point de divergence, la question de la dette. Alors que dans le passé, les pays africains ont appelé d’une seule voix à l’allégement de la dette, en 2020, un certain nombre de pays, dont le Bénin et le Nigeria, ont décidé de ne pas se joindre au chœur pour l’allégement de leur dette. Ils craignaient les effets de signal négatifs de l’allégement de la dette et pour leurs emprunts futurs.
On estime que les économies africaines se sont contractées de 65 à 75 milliards de dollars du fait de la pandémie. Toutefois, il n’existe pas de mesures quantitatives directes des pertes de consommation et de l’efficacité avec laquelle les gouvernements les ont réduites.
Lorsque le Covid-19 a été qualifié de pandémie, de nombreux pays africains ont imposé des mesures qui ont verrouillé leurs économies, impactant les ménages et les entreprises.
Des pertes de consommation plus limitées qu’ailleurs
Les gouvernements ont pris un certain nombre de mesures pour minimiser les pertes de consommation globales immédiates résultant des confinements. Un certain nombre de politiques ont également été prises pour minimiser les pertes de production.
En outre, de nombreux pays africains ont reçu une aide étrangère importante pour minimiser les pertes liées à la pandémie. Dans des pays comme l’Afrique du Sud, le Ghana et le Nigeria, qui ont imposé des mesures de confinement limitées et ont fourni des « palliatifs » à leurs citoyens, il est très vite devenu évident que le coût des palliatifs serait très élevé, et même inabordable. Très vite, le confinement a été levé.
Étant donné que de nombreux pays n’ont pas mis en œuvre de mesures de confinement strict pour des raisons telles que les conséquences sociales et politiques élevées d’une telle mesure compte tenu de la faiblesse ou de la quasi-absence de régimes de protection sociale, de l’absence d’assurance et d’autres mécanismes et instruments de lissage de la consommation, il est peu probable que les pertes de consommation globales soient très élevées.
il y a cette foi aveugle que l’agglomération d’ensemble régionaux peu performants produira un grand accord continental qui fonctionnera pour tous
Néanmoins, les conséquences néfastes de la crise sont évidentes et manifestes : le Nigeria cherche des moyens d’augmenter ses emprunts, notamment en pillant les comptes dormants et les dividendes non réclamés.
Le président sud-africain a récemment déclaré « Nous n’avons pas d’argent » (Financial Times du 6 février). Il est donc trop tôt pour déclarer que les pays africains « ont surpris tout le monde par leur résilience pendant la crise du coronavirus ».
Pendant des années, les Africains, leurs gouvernements et leurs amis ont considéré l’intégration régionale comme la panacée aux problèmes de développement du continent. Ils avancent ces arguments en oubliant que chaque pays africain est déjà membre d’un ensemble régional, et que lesdites organisations régionales n’ont pas très bien fonctionné depuis le départ des puissances coloniales.
Pour une raison quelconque, il y a cette foi aveugle que l’agglomération d’ensemble régionaux peu performants produira un grand accord continental qui fonctionnera pour tous.
Encore beaucoup à faire sur la Zlecaf
Cet espoir a été ravivé depuis peu par la Zlecaf sur laquelle mise désormais l’Afrique pour un avenir prospère. La Zlecaf est devenue le leitmotiv des décideurs politiques africains, des analystes, des bureaucrates des Nations unies et de l’Union africaine. Remettre en question et/ou exprimer son scepticisme à son sujet est haram. Pourtant, rien dans la Zlecaf ne me fait partager les espoirs et l’enthousiasme qui se manifestent aujourd’hui dans les cercles politiques et gouvernementaux du continent.
Et on oublie qu’il reste encore beaucoup à faire pour délimiter les contours de cet accord : les règles d’origine doivent encore être fixées, les exceptions doivent encore être élaborées et convenues.
La question délicate de la compensation des pertes de commerce extérieur demeure, même si Afreximbank a accepté de fournir un mécanisme de compensation pour les pays qui subiraient des pertes de revenus commerciaux. En tout état de cause, pour la plupart des pays, les recettes frontalières provenant du commerce intra-africain sont actuellement nulles, car les pays africains commercent rarement entre eux.
Identifier ce qui fait mal aux économies africaines
En conclusion, si l’impact de la pandémie sur les économies africaines a été jusqu’à présent moins important que prévu, ce n’est ni parce qu’elles suivaient un itinéraire propre ni par résilience particulière ; c’est parce que les économies africaines avaient très peu à perdre puisqu’elles n’ont pas imposé les sévères blocages que l’Europe et de nombreuses autres économies ont imposés.
Et il est bien trop tôt pour considérer que l’accord de libre-échange Zlecaf encourage une évolution que certains pourraient considérer comme une source de résilience pour les économies africaines.
L’Afrique n’a pas esquivé une balle, comme le formulent Indermit Gill et Kenan Karakullah dans un article pour le think-tank américain Brookings, L’Afrique a-t-elle pris un virage en 2020 ou a-t-elle simplement évité une balle ? : le monde est toujours confronté à la pandémie malgré la promesse d’un endiguement rendu possible par l’arrivée des vaccins. Selon le CDC Afrique, il y a une poussée continue d’infections par le SRAS-CoV-2 sur le continent, avec la possibilité que des mutations résistantes aux vaccins apparaissent.
La balle a plus probablement esquivé l’Afrique, pour l’instant. Mais en arguant que les problèmes qui se poseront à l’Afrique en 2021 ne seront pas ceux du Covid-19 mais la dette, la baisse des prix des matières premières, le coût des devises et la Chine, Gill et Karakullah écrivent noir sur blanc aux décideurs politiques africains ce qui fait mal à leurs économies et ce qui doit être réglé en identifiant les priorités.
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