Fayçal Ziraoui, le Polytechnicien marocain sur la piste du Zodiac : « J’en ai eu des sueurs froides »

Un jeune ingénieur originaire de Mohammedia a réussi à déchiffrer les deux derniers messages codés du célèbre tueur en série qui a fait trembler la côte ouest américaine dans les années 1970.

Le polytechnicien marocain Fayçal Ziraoui. © DR

Le polytechnicien marocain Fayçal Ziraoui. © DR

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Publié le 3 mars 2021 Lecture : 6 minutes.

Durant de nombreuses années, le Zodiac, ce tueur en série qui donnait des sueurs froides aux Américains dans les années 1960-1970, s’est joué des enquêteurs du FBI et des journalistes en accumulant les énigmes, les vraies et fausses revendications, les appels télévisés et les meurtres sans laisser de traces.

Malgré tous les indices collectés, les multiples expertises graphologiques, et les innombrables témoignages, l’assassin – auteur d’au moins cinq meurtres, essentiellement en Californie -, n’a jamais été arrêté. L’affaire est devenue mythique, inspirant de nombreux films, séries et livres tels que le très sombre long-métrage Zodiac, de David Fincher, mais aussi des épisodes de MacGyver, le best-seller Zodiac, de Robert Graysmith ou plus récemment la bande-dessinée Zodiaque… Et a donné naissance à une communauté de milliers de cryptographes amateurs à travers le monde, très actifs sur le web,  et désireux de déchiffrer les messages codés envoyés par le tueur en série à des médias américains de renom.

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En l’espace d’un mois, trois cryptogrammes ont été décodés, dont deux par un jeune Marocain : Fayçal Ziraoui, un Polytechnicien de 38 ans vivant en région parisienne.

Quelques jours avant Noël, ce jeune entrepreneur, actif essentiellement dans le consulting en stratégie pour le compte de multinationales, tombe par hasard sur un article de L’Obs évoquant le déchiffrage par trois amateurs – un Belge, un Américain et un Australien – du deuxième message que le tueur avait fait parvenir au San Francisco Chronicle en novembre 1969, où il évoque des mobiles mystiques à ses crimes : ses victimes seraient destinées à devenir ses « esclaves » dans l’au-delà. Une manière de s’assurer de bonnes conditions de « vie » après la mort…

Jeu de piste morbide

Fasciné par les possibilités offertes par cette découverte mais frustré de ne pas en savoir plus sur l’identité du « Zodiac killer », cet amateur de séries policières met tous ses projets de vacances en suspens pour se lancer dans le craquage des derniers cryptogrammes : « Z13 » et « Z32 ». Car l’enjeu est de taille, en particulier pour le Z13 : précédé de la mention « My name is » (mon nom est…), ce dernier message permettrait à celui qui le décrypterait de mettre un point final à cette intrigue qui donne du fil à retordre aux policiers de la Côte ouest depuis plus de cinquante ans.

Cet amateur de séries policières met tous ses projets de vacances en suspens pour se lancer dans le craquage des derniers cryptogrammes

S’ensuit alors un jeu de piste morbide pour ce féru de mathématiques : « C’était comme vivre une traque de l’intérieur, mais à distance, raconte-t-il à JA. Il y avait tous les ingrédients, les litres de café, le manque de sommeil, des quantités de post-its sur les murs de mon appartement, des cartes, des schémas, exactement comme dans les films policiers du genre, pour essayer d’assembler les différents indices et résoudre l’énigme, établir des liens… », poursuit, enthousiaste, celui qui, adolescent, était surnommé par sa sœur « le savant fou », tant sa soif de connaissances et ses talents d’inventeur étaient grandes.

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« Pendant deux semaines, j’ai travaillé sans arrêt, ne voyant quasiment personne. Plus rien ne comptait en dehors de mon objectif, c’était comme si j’étais dans un monde parallèle. J’étais si absorbé que j’en avais perdu toute notion du temps, le jour se confondait avec la nuit », se souvient celui qui n’est sorti de chez lui que le 30 décembre, pour acquérir un document clef : le Petit code des codes secrets de John Lafin, le livre sur lequel le « Tueur du Zodiac » se serait basé pour écrire son code.

Champollion marocain

« J’ai commencé par le Z32. J’ai remplacé les symboles par des lettres, puis j’ai compris qu’il fallait trouver des coordonnées, parce qu’il avait disséminé des indices dans les courriers joints avec ce code, semblant indiquer qu’il fallait trouver des coordonnées géomagnétiques, détaille le Champollion marocain. J’ai donc traduit les lettres en chiffres en utilisant une méthode simple : leur position dans l’alphabet. »

Fayçal Ziraoui s’est empressé de transmettre ces informations par courrier au FBI et au SFPD (San Francisco Police Department), qui a accusé réception

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Et le résultat ne se fait pas attendre. Début janvier, après 15 jours et 15 nuits de travail acharné, Fayçal Ziraoui découvre une séquence de dix chiffres correspondant aux coordonnées d’une école, dans la ville de South Lake Tahoe. Or le Zodiac a menacé de faire sauter un bus scolaire, et fait référence à South Lake Tahoe dans une carte postale envoyée aux autorités quelques mois plus tard, dans laquelle il revendique une victime dans la zone.

Puis, il s’attelle au Z13, censé révéler l’identité du serial killer et réputé particulièrement difficile : « En réalité, ça m’a à peine pris une heure pour le déchiffrer, car j’ai utilisé les mêmes méthodes que pour le code Z32. Le nom que j’ai trouvé est cohérent avec les éléments du dossier car il correspond à celui d’un ancien de la Navy, Lawrence Kaye, qui aurait été formé aux techniques d’encodage et dont le nom figure sur la liste des suspects. Et c’est le seul suspect qui habitait à proximité de South Lake Tahoe, à moins de 6 kilomètres de l’école visée », précise le Polytechnicien marocain. « Malheureusement, ce suspect est mort en 2010. » Fayçal Ziraoui s’est néanmoins empressé de transmettre ces informations par courrier au FBI et au SFPD (San Francisco Police Department), qui a accusé réception.

L’enquêteur amateur prend aussi contact avec des chercheurs français spécialistes en cryptographie pour leur soumettre ses résultats : « Ils m’ont répondu que la solution semble “relativement vraisemblable”, “plausible et intéressante”, et “mérite d’être investiguée par l’enquête” ».

Si ce cryptographe amateur a réussi à percer le mystère de ces codes en si peu de temps, pourquoi cela n’a-t-il pas été possible auparavant, alors que quantités d’enquêteurs américains s’y sont attelés ? « D’une part, l’évolution technologique des puissances de calcul des ordinateurs a facilité le craquage de ces codes par rapport aux outils dont on disposait dans les années 1960/1970 », explique le jeune ingénieur – qui a effectué sa scolarité primaire et secondaire à l’école française de Mohammedia.

« Avant, les gens cherchaient les dossiers dans des boîtes en carton, ce qui rendait plus difficile une vision globale de l’affaire »

Par ailleurs, un certain nombre de documents relatifs aux crimes du Zodiac ont également été déclassifiés par les autorités américaines. Résultat, les informations du dossier sont aujourd’hui accessibles au plus grand nombre, en ligne, avec des possibilités  de recherche par mot-clef, etc. « Avant, nous ne disposions pas des mêmes moyens technologiques et de communication : par exemple, les gens cherchaient les dossiers dans des boîtes en carton, ce qui rendait plus difficile une vision globale de l’affaire. Aujourd’hui, on retrouve l’essentiel des éléments de l’affaire sur Internet », souligne Fayçal Ziraoui.

L’existence sur le web de communautés de cryptographes amateurs de l’énigme du Zodiac permet un partage rapide de l’information et de la réflexion. « C’est d’ailleurs de ces communautés que sont issues les 3 personnes qui ont déchiffré en décembre le code Z340, sur lequel j’ai pu m’appuyer pour résoudre à mon tour les deux derniers cryptogrammes. » « Sans compter que pour les enquêteurs, même si l’affaire était toujours ouverte, elle était devenue un cold case (une affaire classée), donc moins prioritaire. »

Sueurs froides

Pour autant, malgré ces résultats très encourageants, Fayçal Ziraoui ne s’imagine pas se reconvertir dans le « profiling » de criminels : « Aussi passionnante qu’a été cette recherche, et malgré l’excitation et la satisfaction ressenties quand j’ai réussi à percer ce cryptogramme, je ne compte pas en faire une activité à temps plein. »

« Plus je me documentais sur le Zodiac, plus je prenais conscience que la frontière entre la folie et la normalité est particulièrement ténue »

Et de conclure : « Etre profiler, c’est un vrai métier auquel je ne prétends pas. Cette période a été un moment de chaos dans ma vie, avec des montagnes russes émotionnelles. Je passais de l’excitation à l’abattement, ou à des pics de frayeur quand parfois à 3h du matin, je me plongeais dans les archives de ce dossier très sombre… J’en avais des sueurs froides, des images terrifiantes me traversaient l’esprit au fur et à mesure que j’avançais. Plus je me documentais sur le Zodiac, plus je prenais conscience que la frontière entre la folie et la normalité est particulièrement ténue, et que sans doute nous sommes entourés de nombreux potentiels dangereux criminels, dont certains peuvent être, hélas, des individus doués d’une grande intelligence ».

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