Un professeur de wolof venu du froid

Surprise à l’Institut national des langues orientales de Paris, où la responsabilité de la principale langue du Sénégal incombe à… un Russe.

Publié le 13 mai 2003 Lecture : 2 minutes.

Comment un Slave, venu de sa lointaine Russie, peut-il se retrouver dans un amphithéâtre parisien à enseigner le wolof (principale langue du Sénégal) à des dizaines d’étudiants, parmi lesquels des Marocains, des Japonais, des Finlandais, des Français et… des Sénégalais. C’est l’histoire du professeur Konstantin Pozdniakov, responsable de la section wolof à l’Institut national des langues orientales de Paris (Inalco). Né à Saint-Pétersbourg, il y a cinquante ans, il a mené des recherches sur de nombreuses langues africaines. Elles ont débouché sur une première thèse de doctorat à la prestigieuse Académie des sciences de Moscou. Sujet : « Étude comparative des langues du groupe mandé ». Un travail sur plus d’une quarantaine de langues telles que le bambara, le dioula, le soninké…
Nous sommes en 1974. L’Est et l’Ouest se font face, et les deux grandes puissances, États-Unis et Union soviétique, ne lésinent pas sur les moyens diplomatiques, militaires, économiques, mais aussi scientifiques pour se partager le monde. Les centres culturels sont utilisés comme des vecteurs de pénétration des cultures des deux protagonistes de la guerre froide.
Après sa thèse, Konstantin Pozdniakov est donc envoyé à Dakar pour occuper, quatre ans durant, le poste de directeur du cours de russe au centre culturel soviétique. Mais il ne se sent pas une âme de barbouze culturel : « Je fais partie de la caste des scientifiques. Je parle aux ancêtres pour reconstituer les protolangues. Là où d’autres fouillent pour exhumer des statuettes, des canaris ou des squelettes, moi je reconstitue des structures verbales. »
Son maître à lui, c’est Dimitri Oldenogge, fondateur, dans les années trente, du département Afrique de l’École de Saint-Pétersbourg.
Konstantin Pozdniakov profite de son premier séjour africain pour commencer à rassembler de précieuses données lexicales sur le groupe des langues atlantiques. Le koniaki, le bassari et d’autres langues de très petits groupes ethniques de l’extrême sud du Sénégal, à la frontière avec la Guinée, constituent de passionnants sujets d’étude. Il fait une respectable moisson de découvertes dans ces zones de chasse et de cueillette. De retour à l’Académie des sciences de Russie, il en tire une deuxième thèse et publie plusieurs ouvrages, devenant ainsi un des grands spécialistes de la linguistique comparée africaine.
Tout en continuant à diriger des thèses en Russie, Konstantin Pozdiakov enseigne aujourd’hui à l’Inalco, entouré de près de trente spécialistes des langues africaines. Avec Jean-Léopold Diouf, auteur d’un volumineux dictionnaire et d’un manuel d’apprentissage du wolof, ils sont aux petits soins d’étudiants désireux de maîtriser la langue de Kocc Barma, un sage de l’imagerie populaire au Sénégal.
Les motivations de l’auditoire sont diverses. Certains veulent mieux communiquer dans la langue de leur conjoint, d’autres ont des affaires au Sénégal. On trouve même des élèves qui, nés en France de parents sénégalais, ne veulent plus se laisser chambrer par leurs cousins, lors de leurs vacances au pays, pour des fautes de syntaxe en wolof. Des étudiants sont là aussi par simple curiosité intellectuelle. On les retrouve tous sur le site Internet qu’ils ont mis en place : http://membres.lycos.fr/keruafrica

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