Un monde, deux pôles

Publié le 12 mai 2003 Lecture : 3 minutes.

La position de la France et d’une grande partie de l’Europe continentale est connue depuis longtemps : il faut équilibrer la puissance des États-Unis par une Europe structurée et autonome. Et ce dans tous les domaines, économique, culturel, scientifique et… militaire. La position de Tony Blair est de plus en plus clairement différente. Pendant longtemps, on a pu croire que celui qui s’affiche souvent comme le plus européen des Britanniques, qui défend avec vigueur l’abandon de la livre britannique au profit de l’euro, serait celui qui couperait le cordon reliant la Grande-Bretagne aux États-Unis. En fait, il n’en est rien.
Ses déclarations récentes dans le Financial Times du 28 avril sont d’une grande clarté : « Je ne veux pas que l’Europe s’érige en rivale de l’Amérique. Cela serait dangereux et déstabilisant. […] Nous avons besoin d’une puissance qui englobe un partenariat stratégique entre l’Europe et l’Amérique. » Et, surtout, Tony Blair s’oppose à ceux – lisez Chirac – qui « veulent un monde multipolaire, avec différents centres de pouvoir. […] Ce monde deviendrait rapidement celui de pouvoirs rivaux ».
Sur ce dernier point, Tony Blair, manifestement, n’a pas tort. Deux entités fortes sont, obligatoirement, rivales. Est-ce un drame ? L’émulation n’est-elle pas la meilleure source de progrès pour l’humanité ? Tout au moins tant que cette émulation ne débouche pas sur un conflit armé. Or il n’y a guère de risque de ce côté-là.
Au demeurant, la compétition existe déjà, au moins sur certains points. Certes, en matière militaire, la suprématie américaine est tellement écrasante qu’il n’y a pas de véritable « rivalité », au sens de Tony Blair. Encore que… l’avion de transport militaire Airbus A400M, par exemple, va peut-être tailler de sérieuses croupières aux Américains. Et puis on peut espérer que les Européens, constatant le surcoût énorme de leurs productions militaires quand ils ne s’unissent pas, vont enfin comprendre la nécessité de réagir. Pour eux, l’alternative est simple : il faut s’unir, ou subir.
Mais le domaine militaire n’est pas le seul. Quoi qu’en pensent certains, il n’est même pas prioritaire. L’expérience soviétique montre qu’il ne peut y avoir de puissance militaire durable si elle ne s’appuie pas sur une base économique saine. La compétition entre les États-Unis et l’Europe est d’abord économique. Et l’arrivée de l’euro, son succès « tranquille », est en train de changer la donne. Le monde voit poindre la fin de la période du « dollar roi », qui permettait aux Américains toutes les fantaisies. Particulièrement en ce qui concerne le déséquilibre de leur balance des paiements.
Nul ne doit se réjouir des ennuis économiques des Américains, car ces difficultés rejaillissent en partie sur le reste du monde. Et les économies européennes, africaines… ne sont pas au mieux non plus. Néanmoins, on peut penser que les sérieux problèmes auxquels G. W. Bush se trouve confronté vont le conduire progressivement à plus de modestie sur le plan international. Il est probable que Tony Blair, le réaliste, s’adaptera ; qu’au fil des ans sa fibre européenne le poussera à souhaiter un pôle européen de plus en plus autonome au sein du monde occidental. Et il est probable que les pays européens de l’Est se mettront au diapason.
Sur le plan militaire, on peut penser que le fameux « pilier européen » de l’alliance finira par se bâtir. Aujourd’hui, ce n’est, au mieux, qu’une tige qui a grand besoin de s’épanouir pour se solidifier.
Reste la question de savoir si un monde occidental bipolaire ne signifierait pas la mort de l’Ouest. Oui ? Non ? Les deux positions peuvent se défendre, mais est-ce si important ? Sans doute pas. À l’époque du monde soviétique, l’Est et l’Ouest représentaient des entités clairement distinctes. Aujourd’hui, l’Est, privé des anciennes démocraties populaires, bientôt privé, sans doute, de l’Ukraine, n’existe plus guère, même si la puissance russe reste considérable.
Dans ces conditions, l’Ouest peut bien avoir deux pôles. N’en déplaise à Tony Blair.

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