Un militant devenu ministre

Réalisateur engagé, Cheick Oumar Sissoko siège depuis sept mois au gouvernement. Itinéraire d’un enfant terrible de la politique.

Publié le 12 mai 2003 Lecture : 3 minutes.

On le connaît comme cinéaste africain. On le sait moins homme politique. Pourtant, sa vie mêle intimement septième art et militantisme : « C’est la politique qui m’a mené au cinéma », précise Cheick Oumar Sissoko, le ministre malien de la Culture. Né dans une famille aisée – son père était administrateur civil durant la période coloniale, puis chef de canton dans la région de Kayes -, Cheick Oumar quitte le Mali pour la France en 1967. Il entre en fac de sciences et commence à fréquenter les mouvements estudiantins. Pour financer ses études, il multiplie les petits boulots et rejoint les rangs de la CGT. Il est de tous les combats du moment : manifs contre la guerre au Vietnam, contre les dictatures d’Amérique latine, contre l’apartheid…
Très vite, alors que la dictature s’installe au Mali, le jeune homme veut « participer à l’éveil des consciences de son pays ». Il renonce à la carrière de professeur de mathématiques pour vivre son engagement. Seuls le théâtre, la littérature ou le cinéma, selon lui, le permettent. Il élimine les deux premiers dont la langue est inaccessible à une population largement analphabète et choisit le septième art, « par nécessité plus que par vocation, car les images parlent d’elles-mêmes ».
Pour Sissoko, faire du cinéma, c’est avant tout un acte militant. Il veut « réaliser des films profonds, fixant les phénomènes politiques et sociaux qui déterminent nos sociétés africaines ». Il s’inscrit en sociologie et histoire africaine à l’école des hautes-études en sciences sociales (EHESS), à Paris. Pour acquérir la technique cinématographique, il travaille dans le laboratoire du réalisateur Jean Rouch et intègre l’école Louis-Lumière.
En 1979, c’est le retour au Mali. Cheick Oumar devient réalisateur au Centre national de production cinématographique. Il voyage et découvre les drames de son pays, la misère, l’oppression et l’injustice. Il veut « filmer l’urgence » et réalise plusieurs documentaires et deux longs-métrages, Nyamanton, la leçon des ordures en 1986 et Finzan en 1989.
Engagé dans ses films, il l’est aussi en politique. Dans le Mali de Moussa Traoré, il multiplie les activités clandestines, comme membre actif du mouvement gauchiste Tiémoko-Garan-Kouyaté. En octobre 1990, il participe à la création du Comité national d’initiative démocratique qui lutte pour le multipartisme. Lorsque le 22 mars 1991 débutent les cinq jours sanglants qui vont précipiter la chute du régime de Moussa Traoré, Sissoko est dans les rues, dans les couloirs des hôpitaux et filme tout. Ses images sont les premières à être diffusées à la télévision française.
Durant les années qui suivent le coup d’État, il se consacre exclusivement au rétablissement de la démocratie, travaille avec le Comité d’organisation des associations démocratiques et lance la première radio libre. En 1994, il revient au cinéma avec Guimba, long-métrage qui retrace l’histoire de la chute d’un tyran et qui sera primé au Festival cinématographique de Ouagadougou (Fespaco) en 1995. Pendant le tournage, l’actualité le rattrape. La rébellion au nord du Mali, les tragédies du Rwanda et de Bosnie lui inspirent La Genèse, un film sur la haine et les conflits fratricides. Entre-temps, il crée le mouvement Solidarité africaine pour la démocratie et l’indépendance (Sadi) et dénonce les dérives de la politique du président Konaré. Devenu parti politique en 2001, le Sadi, fortement ancré à gauche et remarqué pour ses positions radicales antimondialistes et antilibérales, obtient six sièges aux élections législatives de juillet 2002. Le 16 octobre dernier, Cheick Oumar Sissoko est nommé ministre de la Culture.
À la tête de ce département, il considère qu’on lui a confié « une tâche lourde, souvent frustrante, mais passionnante ». Convaincu que la culture est « un facteur de développement économique, de paix et de stabilité », il veut avant tout « professionnaliser les acteurs culturels et les produits afin d’élargir leur diffusion et leur circulation ». Le ministre a déjà fait de la reconnaissance du statut d’artiste et de la lutte contre le piratage des oeuvres ses priorités. Il vient d’instaurer un système de vignettes certifiant l’originalité des enregistrements musicaux. En province, il souhaite développer les festivals en commun avec les pays voisins et veut faire de Bamako une capitale culturelle régionale : après les ouvertures prochaines du Musée national et de la Bibliothèque nationale, le ministre pense déjà à une Cité des arts et à une Maison de la photographie. La culture comme patrimoine à promouvoir et à protéger : une urgence dans un Mali grand pourvoyeur de talents, mais qui en retire trop rarement les bénéfices. Autant de combats que le militant se dit prêt à relever.

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