Une CNN à la mode parisienne

Les Français devraient bientôt lancer une chaîne internationale d’information continue. Reste à savoir lequel des projets de TF1, de Canal Plus ou de France Télévisions emportera l’adhésion des pouvoirs publics.

Publié le 13 mai 2003 Lecture : 4 minutes.

Le 22 avril dernier, la télévision privée TF1, la chaîne à péage Canal Plus et le consortium composé de France Télévisions et de Radio France Internationale ont déposé chacun un projet de chaîne internationale à la Direction du développement des médias (DDM), rattachée à Matignon, les services du Premier ministre. Pour la première fois, une idée, sans cesse agitée depuis plus de dix ans, est en voie de concrétisation. Évoquée dès 1989 par l’historien Alain Decaux, à l’époque secrétaire d’État à la Francophonie, le projet de chaîne française internationale disparaît avec les changements de majorité avant d’être remise en selle en 1996 par le Premier ministre Alain Juppé. Jean-Paul Cluzel, actuel président-directeur général de RFI, proche de Juppé, est pressenti pour diriger la chaîne dont le démarrage est prévu pour juin 1997.
Le projet est de nouveau abandonné avec l’arrivée de Lionel Jospin à Matignon. À la mi-février 2002, Jacques Chirac, en pleine campagne présidentielle, relance l’idée, en préconisant la création d’une chaîne « d’information continue capable de rivaliser avec CNN ou la BBC ». À la fin de mars 2003, le gouvernement lance un « appel à projet ». Selon le cahier des charges, la future chaîne « aura vocation à assurer une présence plus importante et plus visible de la France dans la bataille mondiale des images ». La manière dont les médias américains ont orienté l’information pendant la guerre contre l’Irak a sans doute convaincu Paris de la nécessité de disposer de sa propre télévision pour contrebalancer les autres chaînes internationales d’information continue (voir encadré).
Le 22 avril, donc, les différents candidats ont présenté leurs arguments. Le groupe Canal Plus promet d’apporter « son savoir-faire reconnu dans le domaine de l’information continue » à travers sa filiale iTélévision. Le groupe insiste également sur ses capacités de distribution internationale déjà avérées avec ses filiales Media Overseas et MultiThématiques, qui lui permettent de couvrir l’Afrique, l’Océanie, les Caraïbes et l’Europe, et peut-être demain l’Indonésie et le Moyen-Orient. La chaîne cryptée indique avoir conçu un projet pouvant être « largement ouvert à des partenaires publics ».
Cette collaboration permettrait à Canal Plus de partager les investissements requis, la situation de sa propre trésorerie ne lui permettant plus d’engager des dépenses incontrôlées. Ce qu’on savait déjà. Alors, pourquoi avoir postulé ? Pour ne pas laisser son éternelle concurrente, TF1, seule sur le coup.
D’autant plus que TF1 fait, elle aussi, appel, dans son projet, à un partenariat public. Il s’agirait d’une société mixte composée, à parts égales, d’un actionnariat privé et d’un actionnariat public. Les responsables de TF1 sont persuadés qu’une chaîne internationale d’information continue doit être gratuite si elle veut être regardée. Et qu’elle n’est pas économiquement viable sans financement public, car il n’existe pas de marché publicitaire mondial capable de la financer. Pour ce qui est du contenu, TF1 « internationalisera » la ligne éditoriale et les journaux actuels de LCI en y rajoutant des programmes financés par le futur partenaire public, qui apporterait, le cas échéant, son réseau de correspondants à travers le monde. Il est prévu des bulletins d’informations internationales et des magazines dévolus à la culture et aux décideurs. Mais pas d’émissions en langues étrangères. Certains programmes pourraient faire l’objet de sous-titrages en arabe et en anglais.
Tout le contraire du projet de France Télévisions et RFI, qui prévoient, dès le lancement de leur chaîne, de présenter des émissions spécifiques en anglais, en arabe et, plus tard, en espagnol. France Télévisions et RFI, qui représentent le « service public » dans cette affaire, proposent « d’offrir dans un premier temps à un large public d’étrangers francophones et de Français notamment expatriés un regard original et autonome sur l’actualité internationale ». Les programmes seront composés à 50 % de journaux d’information d’une trentaine de minutes. Le reste sera consacré aux magazines et aux débats. Ces programmes seront fournis majoritairement par les deux chaînes publiques, dont les équipes rédactionnelles et le réseau de correspondants à travers le monde permettront de couvrir dans un premier temps le Proche- et le Moyen-Orient, l’Europe et l’Afrique. Tout en donnant la priorité à l’actualité internationale, la chaîne mettra également l’accent sur la diffusion de la vie économique, culturelle et scientifique française.
France Télévisions et RFI ont proposé à l’Agence France-Presse (AFP) ainsi qu’à d’autres groupes audiovisuels publics (Canal France International, Euronews, RFO, TV5, les chaînes parlementaires LCP-AN et Public Sénat…) de venir les rejoindre « en tant que partenaires et en tenant compte de leurs spécificités ».
L’idée retenue pour l’instant est une chaîne qui emploierait entre 150 et 180 personnes avec un budget annuel d’environ 50 millions d’euros. Ce qui est bien peu. Hervé Bourges, l’ancien président du Conseil supérieur de l’audiovisuel, a jeté un pavé dans la mare en déclarant qu’il faudrait au moins 150 millions d’euros pour faire fonctionner une pareille chaîne. À titre de comparaison, le BBC World fonctionne avec un budget de 300 millions d’euros !
Entre France Télévisions/RFI et TFI, la guerre des mots a déjà commencé. Le 23 avril, Patrick Le Lay, le président-directeur général de TF1, a déclaré que « faire une chaîne d’État qui est la voix de l’État français, c’est-à-dire une chaîne dirigée par le Quai d’Orsay et des journalistes de service public, ça fait quand même un peu Ceausescu ». Marc Tessier, patron de France Télévisions, lui a répondu le lendemain : « Quand on veut s’associer aux journalistes de la télévision et de la radio publiques, on ne les renvoie pas au régime Ceausescu. »
Dans le courant du mois de juin, deux missions d’études menées conjointement à l’Assemblée nationale et au ministère des Affaires étrangères présenteront leurs conclusions à la DDM. Cette structure tranchera. Si tout se passe bien, la chaîne pourra, avec l’ultime accord du président français, démarrer au début de 2004.

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