[Tribune] Maghreb : l’heure des choix économiques est arrivée !

Revenir au statu quo pré-Covid-19 serait une erreur. Accélérer les réformes est désormais une question de survie pour la Tunisie, le Maroc, l’Algérie et la Mauritanie, estiment deux expertes du FMI.

Dans les rues de Nouakchott, Mauritanie, le 30 décembre 2020. © CHEYAKHE ALI/Anadolu Agency/AFP

Dans les rues de Nouakchott, Mauritanie, le 30 décembre 2020. © CHEYAKHE ALI/Anadolu Agency/AFP

Taline Koranchelian © DR Joyce Wong © DR
  • Taline Koranchelian

    directrice adjointe du Département Moyen-Orient et Asie centrale du FMI

  • et Joyce Wong

    économiste senior du Département Moyen-Orient et Asie centrale du FMI

Publié le 5 mars 2021 Lecture : 5 minutes.

Bien que dans des situations très différentes, les pays du Maghreb sont confrontés à des défis socio-économiques assez similaires : accroître les opportunités économiques pour les jeunes et les femmes, réduire la prédominance du secteur public et dégager des marges de manœuvre plus amples pour soutenir l’économie.

En dépit d’un taux de croissance moyen supérieur à 3 % au cours de la décennie écoulée, environ un jeune Marocain sur trois est actuellement au chômage. La pandémie frappe le pays de plein fouet, car elle perturbe fortement le tourisme et les chaînes de valeur.

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Avant la crise, la croissance de la Mauritanie connaissait une phase d’accélération, tandis que son endettement diminuait. La pandémie a de graves conséquences économiques et sociales, compte tenu de la capacité limitée du système de santé et de la faiblesse des dispositifs de protection sociale.

Si les réformes ont longtemps été poussives, la pandémie a prouvé que des changements rapides étaient possibles

En Tunisie, la croissance moyenne s’établissait à moins de 2 %, et le poids du secteur public dans l’économie demeurait considérable, avec une masse salariale de la fonction publique dépassant 15 % du PIB. La pandémie a entraîné la pire récession depuis l’indépendance alors qu’un jeune sur trois cherche un emploi.

Avant la crise, l’Algérie avait une croissance atone (d’environ 1 % depuis 2017), un taux de chômage élevé, une situation budgétaire dégradée et une grande incertitude au lendemain du mouvement Hirak. Les mesures de confinement et l’effondrement des revenus pétroliers ont contraint les pouvoirs publics à réduire les dépenses pour contenir le déficit budgétaire.

En Libye, enfin, où un conflit fait rage depuis des années, un million d’habitants a besoin d’aide humanitaire. La pandémie, conjuguée à l’effondrement des cours du pétrole, rend la situation humanitaire très préoccupante.

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Jeter les bases d’un nouveau contrat social, ou retourner aux réformes lentes ?

Si les réformes ont longtemps été poussives, la pandémie a prouvé que des changements rapides étaient possibles. Au Maroc, les démarches administratives ont été dématérialisées et la production nationale de masques s’est accélérée. En Algérie, des plateformes embryonnaires d’enseignement virtuel ont connu un essor.

En Tunisie, certaines usines sont passées de la production de pièces automobiles à celle de visières protectrices par impression 3-D. En Libye, une start-up a mis au point une application mobile reliant les médecins et les patients habitant dans des zones isolées.

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Pour la région, c’est donc l’heure du choix : elle peut soit s’appuyer sur ces réussites et jeter les bases d’un nouveau contrat social, soit retourner aux réformes lentes. Vu le peu de marge de manœuvre budgétaire dont ils disposent, les pays du Maghreb ne peuvent pas se permettre de retarder les réformes.

Au Maroc, une réforme fiscale d’envergure pourrait augmenter les recettes de 2 % du PIB à moyen terme

Renouer avec le statu quo en matière de politiques publiques entraînerait une croissance plus faible et un creusement des inégalités, à même de déclencher des troubles sociaux. À l’inverse, considérer cette pandémie comme un moment charnière entraînerait une croissance plus vigoureuse, créatrice d’emplois, verte et inclusive. Plusieurs réformes, qui s’imposaient déjà par le passé, sont devenues une question de survie économique pour la région.

Des institutions et une gestion budgétaire plus saines favoriseront la responsabilité et la transparence en matière de comptes publics, l’efficience, et la soutenabilité de la dette. La suppression des exonérations et des traitements privilégiés en matière fiscale permettra à tous de contribuer aux finances publiques de manière équitable. Les gains réalisés ont un potentiel considérable : au Maroc, par exemple, une réforme fiscale d’envergure pourrait augmenter les recettes à hauteur de 2 % du PIB à moyen terme.

L’extension de mécanismes ciblés de protection sociale et la suppression de subventions inefficaces protégeront les catégories vulnérables et réduiront les inégalités. La pandémie a mis en évidence la faible couverture de la protection sociale dans de nombreux pays, celle-ci entravant l’apport d’aide vitale aux ménages les plus vulnérables, en temps opportun. Il est donc essentiel que les pays se dotent de bases de données leur permettant de recenser l’ensemble des ménages prioritaires, améliorent le ciblage des bénéficiaires, et encouragent les transferts par voie électronique.

Des réformes à mener en matière de concurrence, de cadre réglementaire et de marché du travail

Il conviendra aussi de redéfinir le rôle du secteur public dans l’économie et de concentrer l’action publique dans les domaines de la santé, de l’éducation et de la protection sociale. La pandémie a démontré que le secteur public avait un rôle essentiel à jouer dans ces domaines.

En parallèle, une refonte des entreprises publiques s’impose, avec des réformes portant sur la concurrence, le cadre réglementaire et le marché du travail, et ce pour réduire les risques pour les finances publiques, égaliser les règles du jeu pour tous les acteurs économiques et favoriser l’innovation.

Le passage au numérique et une transition écologique permettront à la région de profiter des nouvelles évolutions qui se feront jour au lendemain de la pandémie. Cela requiert des réformes structurelles ambitieuses et bien coordonnées, ainsi qu’un choix pertinent d’investissement publics.

Dans une région tributaire de l’agriculture, il faudrait aussi se préparer à résister aux effets du changement climatique. Le passage à une nouvelle économie, axée sur le numérique, encouragera le secteur privé à investir, permettant d’alléger le poids du secteur public dans leur économie, et encourageant la diversification.

Aujourd’hui, la région a l’opportunité de se placer à l’avant-garde du redressement économique en Afrique

Enfin, l’amélioration de la gouvernance passera par la mise en place d’institutions efficaces et transparentes. On observe déjà certains progrès dans ce domaine : ainsi, la Tunisie travaille à l’amélioration de ses normes de transparence budgétaire. Pour garantir des conditions équitables à tous les acteurs économiques, il sera nécessaire de moderniser le cadre législatif et réglementaire régissant les droits de propriété, et de renforcer les procédures de faillite et les pratiques concurrentielles.

La région est à la croisée des chemins. Au moment où la pandémie les a frappés, les économies du Maghreb présentaient des vulnérabilités différentes, mais chaque pays a prouvé qu’il était possible de mettre en place des mesures efficaces.

Aujourd’hui, la région a l’opportunité de susciter une dynamique de changement positive et de se placer à l’avant-garde du redressement économique en Afrique. Les gains potentiels d’une action déterminée sont considérables : amorcer un dialogue, associant l’ensemble des parties prenantes au niveau national, est nécessaire pour la mise en œuvre de réformes ambitieuses qui aideront les pays du Maghreb à sortir plus forts de la crise, avec le soutien de la communauté internationale.

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