[Série] Tommy Kuti, slamer pour exister (4/5)

« Afro-Italiens : génération consciente » (4/5). Né au Nigeria et élevé en Lombardie, l’auteur rendu célèbre par le titre « AfroItaliano » raconte le conservatisme et le racisme de la société italienne.

Le rappeur Tommy Kuti. © Nicolo Maffina

Le rappeur Tommy Kuti. © Nicolo Maffina

Publié le 6 mars 2021 Lecture : 3 minutes.

 © Photomontage : Jeune Afrique
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[Série] Afro-Italiens : génération consciente

Longtemps marginalisés, les Italiens afrodescendants ont décidé de faire entendre leur voix. Artistes, écrivains, chanteurs… Portraits des fers de lance d’une génération bien décidée à changer les choses.

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Tolulope Olabode Kuti ne correspond pas au cliché du rappeur. Il est posé, souriant. Ne parle ni de violence ni de drogue, mais de l’importance de la famille, de ces amitiés qu’il faut soigner et de la nécessité de se battre contre les préjugés. Il ne porte pas de vêtements de grandes marques comme il est d’usage dans le milieu du hip hop, mais met volontiers à l’honneur des créateurs afro-descendants.

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Plus connu sous le nom de Tommy Kuti, le nom que lui avaient donné les bonnes sœurs à l’école maternelle, il est surtout le premier rappeur noir à avoir signé avec le label Universal Music Italia – c’était en 2016. Depuis, le succès de ce trentenaire d’origine nigériane ne s’est jamais démenti.

Son histoire, il la raconte dans un livre autobiographique paru aux éditions Rizzoli en 2019, Ci rido sopra (« J’en ris »). Un récit en guise de psychanalyse, où l’on apprend qu’il est né à Abeokuta, au Nigeria. Arrivé en Italie à l’âge de deux ans, il grandit entouré d’oncles, de tantes et de cousins. Chez les Kuti, on écoute Wasiu Ayinde et King Sunny Ade, on se régale de riz jollof et l’on s’évade devant des films de Nollywood. Les parents cumulent deux emplois et le jeune Tolulope les aide, l’après-midi, en travaillant dans le supermarché de produits exotiques qu’ils tiennent dans le quartier des Cinq continents à Castiglione delle Stiviere, en Lombardie.

« AfroItaliano »

Le rap, il le découvre en 2003, alors qu’il rend visite à une partie de sa famille qui s’est installée à Londres. Les rappeurs le fascinent. Il admire leur marginalité, leur capacité à compenser leur désavantage social par leur talent. Surtout, ils sont noirs. « Quand j’étais ado, raconte-t-il aujourd’hui, il n’y avait pas un Tommy Kuti qui écrivait un livre ou un album dans lequel je pouvais me reconnaître. J’en aurais pourtant eu besoin ! »

Tolulope s’est découvert une passion. Lorsqu’on l’interroge en classe, il répond en slamant. Il s’achète un micro (quinze euros dans un supermarché), obtient une bourse pour aller étudier à l’étranger et utilise une partie de l’argent pour enregistrer son premier EP indépendant.

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Le repos n’existe pas. Kuti, mon nom de famille, cela veut dire “qui a du mal à mourir”

À 21 ans, diplômé de l’Anglia Ruskin University de Cambridge, le voici de retour en Italie. Il parle italien, anglais, français, allemand, et ne trouve rien de mieux qu’un stage, rémunéré 500 euros par mois. Mais il ne se décourage pas, continue à écrire et à se produire dans les bars et dans les centres culturels. Bientôt, il déménage à Brescia. C’est là qu’il crée en 2015, avec d’autres Afroitaliens, le label « Mancamelanina ». En 2018, l’album « Italiano Vero » lui permet de s’imposer sur la scène musicale italienne. Un titre, surtout, contribuera à sa popularité : « AfroItaliano », repris par toute une génération en quête de visibilité et de reconnaissance.

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Infatigable

Des années plus tard, racontant le quartier dans lequel il a grandi, les trafics et les abus dont il a été le témoin, il dira le conservatisme et le racisme de la société italienne, qui fait si peu de place aux minorités. Il dira aussi l’attachement qui le lie à ce pays et l’admiration qu’il porte à ses parents, « eux qui ne parlaient pas italien, qui ne connaissaient personne, mais qui ont quand même réussi à se construire un futur. » « Avoir eu faim et avoir eu la rage m’a donné envie de m’en sortir », résume-t-il.

En 2020, il fonde son groupe, Équipe 54, dont il présente ainsi les membres. « Slim Gong [Mauritanie], c’est le sage du désert ; Yank [Sénégal], c’est notre Charles Bukowski ; Roy Raheem [Nigeria], c’est un poète-guerrier et F.U.L.A. [Sénégal], un griot. » Infatigable, Tommy Kuti rêve un jour de créer son propre label. « Le repos n’existe pas. Kuti, mon nom de famille, cela veut dire “qui a du mal à mourir” ».

Désormais installé à Milan, il a participé au lancement d’une nouvelle émission « 2G rap » diffusée sur TRX Radio aux côtés de Rebecca Kazadi. « J’espère qu’il n’y aura bientôt plus besoin d’un programme comme celui-ci, insiste Tommy Kuti. Qu’un jour, il sera normal de trouver dans les médias des jeunes de la deuxième génération [2G] issue de l’immigration. »

Tolulope parle politique, mais rechigne à se définir comme un artiste engagé. « Je suis juste un type qui, quand il voit une injustice, le dit dans une chanson. » Et de conclure : « Ma musique est ce que je suis. Dans ma vie j’ai vu et connu des drames qui ont influencé ma personnalité, mais il ne m’ont jamais enlevé le sourire. Comme le dit Youssoupha, la douleur est inévitable, la souffrance c’est une option. »

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