SIDA : Cinquante millions de condamnés À mort

Publié le 13 mai 2003 Lecture : 4 minutes.

Pourquoi ne trouve-t-on personne qui ait le courage de clamer haut et fort que 50 millions d’habitants de cette planète vont mourir dans les jours ou les mois ou au mieux dans les quelques années qui viennent s’ils ne sont pas soignés avec des médicaments aujourd’hui disponibles ? Pourquoi n’a-t-on rien prévu qui permette d’échapper à cette horreur ? « Le sida n’est pas une condamnation à mort », répète-t-on à l’envi, alors que c’est très certainement une condamnation à mort pour ces 50 millions de personnes qui vivent pour la plupart dans des pays pauvres et n’ont pas d’assurance maladie.
En Chine, en Éthiopie, en Inde, au Nigeria et en Russie, le nombre de cas devrait doubler d’ici à 2010, pour totaliser de 50 à 70 millions de séropositifs dans ces seuls pays.
Ce fléau est bien là et ne recule pas. Cinquante millions d’individus sont aux portes de la mort. Ils n’ont pas le temps d’attendre que l’on assainisse l’alimentation en eau potable de leur pays, que l’on change le système économique et le système d’éducation, qu’on inonde leurs communautés de préservatifs, que l’on prêche l’abstinence et qu’on leur apprenne les dangers de la drogue.
Il n’y a simplement pas assez de temps et d’argent pour qu’on puisse mettre en pratique ces nobles et coûteuses suggestions. Les 15 milliards de dollars d’aide antisida que l’héroïque docteur Anthony Fauci, des National Institutes of Health, a obtenus de la Maison Blanche ne seront pas disponibles avant deux ans. Ils sont déjà enfouis sous un tel lot de paperasserie qu’à mon avis la plus grande partie ne verra jamais le jour.
Et surtout, ces 50 millions de condamnés à mort n’ont pas le temps d’attendre que les gouvernements et les laboratoires pharmaceutiques se mettent d’accord sur les droits de propriété intellectuelle et sur la fabrication des génériques.
Dans les années quarante, la streptomycine a été le premier médicament qui se soit montré efficace contre la tuberculose. Merck détenait en exclusivité les droits de ce médicament, ce qui voulait dire qu’il pouvait en tirer un profit maximal. Mais George Merck, président de la société et fils du fondateur, renonça à ses droits d’exclusivité, ce qui permit à n’importe quel laboratoire de fabriquer de la streptomycine, et, en maintenant les prix à un niveau minimal, de sauver la vie de centaines de millions de gens.
George Merck fit la couverture de Time en 1952 avec cette légende : « L’objectif de la médecine est de sauver des vies, pas de faire des profits. »
Il est impossible d’imaginer que Merck ou un autre patron de laboratoire puisse aujourd’hui se montrer aussi généreux. GlaxoSmithKline, qui détient les brevets de la plupart des médicaments que doivent aujourd’hui prendre les porteurs du virus, a refusé pendant des années de vendre de l’AZT à un prix raisonnable aux pays pauvres. C’est seulement après un affrontement qui fit grand bruit que le laboratoire céda ses droits à un fabricant sud- africain de génériques.
L’AZT a été conçu pour traiter le VIH-sida dans les National Institutes of Health – financés par le contribuable américain – en collaboration avec Burroughs Wellcome, aujourd’hui GlaxoSmithKline. L’utilisation de l’antirétroviral le plus récent, le Fuzeon, qui a été lui aussi en partie développé avec l’argent du contribuable, est évaluée à 21 000 dollars par an en Europe par le fabricant, Roche. Pour une personne. Ce qui revient à plus de 57 dollars par jour.
Il appartient à tous les fabricants d’antirétroviraux de renoncer à leurs droits sur leurs brevets ou sur leurs médicaments pour sauver ces condamnés à mort. Ils ont déjà récupéré les coûts de la recherche pour presque tous les médicaments sur le marché – il y en a dix-huit efficaces – et fait, en plus, des millions de dollars de profits.
Je crois qu’il est inacceptable que des laboratoires pharmaceutiques qui ont les moyens de sauver des vies ne les mettent pas à la disposition des personnes qui en ont besoin. Il y a trop de nos semblables qui meurent, et il y a trop de maladies destructrices qui font chaque jour leur apparition. Il faut tourner la page sans attendre.
Lorsque j’ai entendu parler pour la première fois de ce qui deviendrait le sida, il y avait 41 cas d’une maladie inconnue. Près de vingt-cinq ans plus tard, nous n’avons toujours aucun plan de bataille contre ce fléau. Nous n’avons pas su maintenir la pression. Nous n’avons pas su rester suffisamment mobilisés pour que les pouvoirs publics n’aient d’autre choix que d’agir. Pendant près de vingt-cinq ans, nous avons eu la possibilité d’agir. Année après année, nous n’avons rien fait. Le sida nous fait penser le pire de l’Amérique et du monde. Il nous dit que nous ne nous soucions guère les uns des autres. Il nous montre que chaque jour nous laissons mourir nos semblables. Et que nous acceptons cela.

* Larry Kramer, américain, est le fondateur d’Act Up. Il a également participé à la création de l’association Gay Men’s Health Crisis (« La santé des gays en question »).

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