Algérie : à la rencontre de l’homme aux 2 000 oiseaux
Idir Makour, mécanicien installé près de Tizi Ouzou, prend à cœur la disparition des petits oiseaux de leur espace naturel. Et a entrepris de sensibiliser la population à leur sort.
« On se croirait dans une jungle, pas vrai ? », plaisante Idir Makour en ouvrant le grand portail en fer forgé de sa petite villa plantée dans un champ verdoyant à Timizar Loghvar, paisible village à un jet de pierre de la ville de Tizi Ouzou.
Le visiteur est tout de suite accueilli par de joyeux piaillements. Et pour cause : ce mécanicien de 44 ans, spécialisé dans la réparation des boîtes de vitesse, a transformé les jardins qui entourent sa maison en immense volière où un peu plus de 2 000 oiseaux de plusieurs espèces cohabitent dans des dizaines de pigeonniers, niches et cages de différentes dimensions. Canaris, perruches, perroquets, chardonnerets, pigeons et autres volatiles colorés gratifient le visiteur d’une belle palette de couleurs chatoyantes et d’une joyeuse symphonie de cris et de chants.
Sa vocation d’éleveur d’oiseaux est née quand il avait à peine 13 ans. « Un jour, j’ai recueilli un couple de pigeonneaux que je nourrissais à la main. Quand ils ont grandi, ils ne me quittaient plus. Ils dormaient et mangeaient avec moi. Quand ma mère les chassait par la porte de devant, ils revenaient par celle de derrière ou par la fenêtre de la cuisine. À partir de là, j’ai commencé à élever d’autres espèces comme les canaris, les perruches ou les poules », raconte-t-il.
Touche-à-tout
Enfance et insouciance ont pourtant pris fin très vite. Il fallait remplacer ce père parti trop tôt et subvenir aux besoins de la nombreuse fratrie. « J’ai commencé à travailler à l’âge de 14 ans quand mon père est décédé. Il fallait aider ma mère qui travaillait à la maison à nourrir mes frères et sœurs », dit-il. Avec beaucoup de bonne volonté, le petit Idir exerce alors tous les métiers qui lui tombent sous la main. Berger, ouvrier, apprenti-mécanicien, éleveur, tout est bon pour gagner quelques sous.
On ne peut pas élever des oiseaux sans connaître la nature
« Je gardais les vaches et les moutons. On buvait l’eau de pluie dans les marres quand on avait soif et on tétait les pis des vaches quand on avait faim… « , se rappelle-t-il en riant. « J’ai appris à travailler la terre, à greffer les arbres, à connaitre la nature. On ne peut pas élever des oiseaux sans connaître la nature. Quand on sait l’observer, on apprend beaucoup de choses. Sans aucune formation, je suis le vétérinaire de mes bêtes », dit-il encore, tout en inspectant les dernières couvées des perruches dans les cages en bois qu’il a construites lui-même.
Ce touche-à-tout a également construit une cascade où l’eau vient se jeter dans un petit cours d’eau ponctué d’une multitude de petits bassins et de vasques où nagent des bandes de poissons multicolores. Le petit cours d’eau est enjambé par un pont en bois également construit par le maître des lieux.
« Cette cascade me coûte beaucoup d’argent en été car je m’approvisionne par citernes, qui me reviennent à 6 000 dinars (38 euros) l’unité. Lors des mois les plus chauds, je consomme près de 30 000 dinars (188 euros) en eau pour les besoins des oiseaux et de la cascade », explique Idir, qui se dit fier de pouvoir récolter dans son jardin des fruits exotiques comme la banane et la goyave pour ses chers oiseaux.
Les Algérois sortent leurs chardonnerets comme les Parisiens leurs chiens
Idir Makour possède essentiellement des canaris, des perroquets, des perruches, des chardonnerets, des faisans, des perdrix et des pigeons. « Je ne vends pas mes oiseaux. Je les élève juste pour le plaisir. Mon but est d’arriver à élever assez de chardonnerets et de les relâcher dans la nature, où ils ont presque disparu », dit-il encore.
Espèce emblématique… et menacée
En Algérie, le chardonneret fait l’objet d’une véritable vénération. Plus qu’un phénomène de société, l’élevage de cet élégant petit passereau apprécié pour la beauté de son chant et de son plumage, est tout un art de vivre. Dans certains quartiers d’Alger, son chant mélodieux s’élève de tous les balcons. Les cages sont accrochées aux fenêtres, aux devantures des boutiques ou bien posées bien en évidence sur les toits des voitures. Les Algérois sortent leurs chardonnerets comme les Parisiens leurs chiens.
Les passionnés du « Maknine ezzine», comme on l’appelle localement, forment des communautés d’initiés, véritables confréries, qui consacrent l’essentiel de leurs temps libre et de leur argent au petit maître chanteur. Les meilleurs chanteurs se négocient à prix d’or. Un couple de reproducteurs peut valoir une petite fortune, autour de 40 000 à 50 000 dinars (250 à 313 euros).
Fréquentés par des milliers d’amateurs et de connaisseurs passionnés, il existe plusieurs marchés des oiseaux hebdomadaires dont le plus célèbre est celui d’El Harrach, dans la banlieue d’Alger. Revers de la médaille de cette passion nationale : le chardonneret ne vit plus qu’en captivité.
Victime de l’engouement qu’il suscite, de chasse intensive, de l’usage de plus en plus répandu des pesticides en agriculture, des incendies de forêt et des filières de contrebande qui alimentent les marchés de France et d’Espagne principalement, cette espèce pourtant protégée a pratiquement disparu de tous les milieux naturels ou elle vivait en nuées de dizaines d’individus. La gendarmerie nationale intervient régulièrement pour saisir puis relâcher dans la nature des centaines d’oiseaux. Certains ne savent pourtant plus voler…
Chaque jour, il me faut, au minimum, 6 000 dinars (37 euros) pour les nourrir
Idir, lui, attend toujours patiemment que les autorités locales se penchent sur sa demande d’octroi d’un lot de terrain pour construire un grand parc pour des pensionnaires à plumes, à poils et à écailles. « Chaque jour il y a de nouvelles éclosions mais maintenant que je n’ai plus d’espace autour de ma maison, je suis entrain de construire le premier étage qui leur sera entièrement consacré. Je n’ai plus ou les mettre, c’est vraiment un problème » dit-il.
« J’ai été reçu par le wali pour présenter mon projet. J’ai soumissionné pour une parcelle de deux hectares de terrain mais j’ai pris de retard pour déposer mon dossier. J’ai fait tous les papiers nécessaires mais je n’ai pas réussi à obtenir cette parcelle de terrain », se désole notre homme.
« Apprendre aux enfants à aimer et à respecter la nature »
En attendant de réaliser ce projet qui lui tient à cœur, Idir dépense sans compter pour ses oiseaux. « Je paie tout de ma poche et je ne reçois aucune aide de personne. Le prix de leur nourriture a plus que doublé ces dernières années. Chaque jour, il me faut, au minimum, 6 000 dinars (37 euros) pour les nourrir. Il leur faut des graines, de la salade, des concombres, des fruits… Rien que pour les chardonnerets, il y a des graines qui coûtent 1 800 dinars le kilo », dit-il.
« Quand j’aurai plus d’espace, je voudrais faire un grand parc et me lancer dans l’élevage de toutes les espèces d’oiseaux et d’animaux qu’il m’est possible d’avoir ici. Mon rêve est aussi de monter une petite école pour sensibiliser les enfants à la nature. Je veux leur apprendre à aimer les animaux et à les respecter. Je voudrais pouvoir recevoir les élèves des écoles et les étudiants des universités qui veulent étudier ces espèces ou simplement les voir vivre. Les enfants doivent se familiariser avec les oiseaux et les animaux, les voir, les toucher… C’est comme cela qu’on devient sensible à la nature et qu’on apprend à l’aimer et à la respecter… »
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