Retour dans la « grande maison »

Doyen de la littérature maghrébine d’expression française, l’Algérien Mohamed Dib s’est éteint le 2 mai à Paris, à l’âge de 82 ans.

Publié le 13 mai 2003 Lecture : 3 minutes.

Quelle que soit l’estime dans laquelle on la tient, l’oeuvre de Mohamed Dib compte parmi les plus belles de la littérature française. Le fait que la presse ait qualifié l’homme, à sa disparition, de « plus grand écrivain du Maghreb », ne rend certes pas justice à d’autres romanciers maghrébins de la même trempe, mais ne saurait, non plus, occulter l’itinéraire d’une vie entièrement consacrée à l’écriture. Car Mohamed Dib fut un auteur prolifique, à la régularité exemplaire et au patient travail d’orfèvre.
Né en 1920 à Tlemcen dans une famille d’artisans, Dib fait ses études en français, tout en s’initiant au tissage et à la comptabilité. Il débute dans la vie active comme instituteur dans un village, près de la frontière marocaine. Il est ensuite successivement employé de chemin de fer, interprète auprès des armées alliées en français et en anglais, dessinateur de maquettes de tapis, puis journaliste à Alger Républicain, journal qu’il quitte en 1951.
Huit ans plus tard, fuyant les tracasseries de la police coloniale, il rejoint la France et s’installe à Mougins, dans le Sud, avant de gagner la région parisienne en 1964.
Ce sont surtout ses premiers romans qui vont l’imposer comme l’écrivain incontournable de sa génération. La Grande Maison en 1952, L’Incendie, en 1954 et Le Métier à tisser en 1957 forment une trilogie fondatrice dont la force et le souffle ne seront jamais dépassés. Conçus en Algérie, puisant aux sources du réel, ces livres décrivent le quotidien des humbles de la campagne et des villes algériennes avec un réalisme presque ethnographique.
En France, Dib continue d’écrire. Il est l’ami d’Aragon et de Guillevic. Reconnu et admiré, il enseigne à l’université de Californie et en Finlande, obtient le prix de la Francophonie en 1994 et le prix Mallarmé. Mais il renonce au réalisme de ses romans d’Algérie, même si le rythme de ses publications reste aussi soutenu. Qui se souvient de la mer (1962), Cours sur la rive sauvage (1964), Dieu en Barbarie (1970), Le Maître de chasse (1973), Les Terrasses d’Orsol (1985), s’inscrivent dans une veine symboliste où la langue est si pure, les mots si narcissiques, l’art de l’allusion si exacerbé, que la littérature de Dib déroute ses critiques, devient indicible, pour ne pas dire hermétique. Poésie et nouvelles amorcent une méditation existentielle que le spécialiste Charles Bonn décrit comme une « interrogation angoissée sur la vie, la mort, l’amour, l’identité et l’écriture ». Dib s’est coupé du terroir maghrébin qu’il ne traite plus que sous forme de paraboles, et ses livres portent désormais la trace d’apports nordiques qu’inscrivent en lui ses séjours en Amérique et en Finlande. Il choisit délibérément de rompre avec les bruits du monde et les feux de la rampe, soucieux avant tout de son oeuvre. L’Algérie, où il se rend de moins en moins en raison de problèmes de santé mais aussi de désillusions politiques, s’éloigne, au fur et à mesure que l’homme semble choisir non pas un pays, mais une langue comme demeure définitive. Comme si Mohamed Dib échangeait une terre de naissance contre un français aux beautés tyranniques. Un français qui lui fait oublier sa propre langue, l’arabe, qu’il traite à tort de langue morte dans ses entretiens les plus récents.
L’Algérie ne lui en voudra pas qui la première, par le biais de sa radio d’État, a annoncé sa mort, en cette matinée du 3 mai, alors qu’aucun média français n’avait encore l’information. « C’est une perte immense » a déclaré le président algérien Abdelaziz Bouteflika. Et l’Algérie de ré-adopter son enfant. Ou de rapatrier, à sa façon, l’auteur de La Grande Maison.

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