Perpétuel état de grâce

Le consensus qui prévaut depuis l’élection présidentielle tient toujours. Au détriment du débat politique, qui semble particulièrement amorphe. Les Maliens auraient-ils perdu le goût de la palabre ?

Publié le 13 mai 2003 Lecture : 5 minutes.

Voici un pays où règne un calme plat. Pas d’empoignades, pas de grèves, pas de prisonniers politiques, du moins selon le dernier rapport d’Amnesty International. Pas de crises majeures non plus, encore moins de rébellions ou de guerres civiles. Rien, vraiment, qui puisse exciter la curiosité du journaliste en quête de sensationnel. Dans une Afrique de l’Ouest ébranlée par la guerre civile en Côte d’Ivoire et sur laquelle planent bien des incertitudes – fin de règne en Guinée, nouvelle candidature du général-président Gnassingbé Eyadéma, au Togo -, le Mali continue de faire exception. Début 2003, les tarifs des communications téléphoniques, de l’eau, de l’électricité et des médicaments dits essentiels ont même été réduits par les autorités…
Cette sérénité surprend dans un pays réputé turbulent, coutumier des années scolaires blanches et qui, en l’espace de deux ans – de 1992 à 1994 -, avait usé deux Premiers ministres. Un an après son élection à la magistrature suprême, le 12 mai 2002, le général (à la retraite) Amadou Toumani Touré (ATT) est toujours en état de grâce. Les étudiants n’ont jamais été aussi assidus dans les amphithéâtres. Les syndicats évitent, à la surprise générale, la surenchère. Les hôtels continuent de sortir de terre, sans doute en prévision du prochain sommet Afrique-France, prévu en 2005 à Bamako. Même les conducteurs de dourounis, les cars de transport collectif, naguère fous du volant, ont introduit un semblant de discipline dans leur profession.
Les leaders politiques sont, pour ce qui les concerne, subitement devenus aphones. À l’image du sémillant Ibrahim Boubacar Keita, ex-Premier ministre bombardé président de l’Assemblée nationale (et donc, deuxième personnalité de l’État), le 16 septembre 2002. Également président de l’Union parlementaire africaine, IBK, comme ses concitoyens l’appellent, vole, il est vrai, d’une conférence internationale à l’autre, laissant au premier vice-président de l’Assemblée nationale, Me Mountaga Tall, le soin de présider les débats. Même Oumar Mariko, ex-leader du mouvement estudiantin et éternel contestataire, semble désormais se désintéresser du sort du Mali, occupé qu’il est à jouer les éminences grises auprès de son vieil ami – et rebelle ivoirien – Guillaume Soro. « Tout le personnel politique malien est aujourd’hui au garde-à-vous », résume joliment un diplomate africain en poste à Bamako.
Pourtant les motifs de préoccupation ne manquent pas dans ce pays aussi vaste que le Sénégal, le Burkina, le Ghana, la Guinée, la Côte d’Ivoire, le Bénin et le Togo réunis. En poste depuis bientôt un an, le Premier ministre Ahmed Mohamed Ag Hamani éprouve beaucoup de difficultés à tenir une équipe gouvernementale composée de chefs de parti politique et de cadres qui doivent leur nomination au seul chef de l’État. Par ailleurs, le pays tout entier vit mal, très mal, la guerre civile en Côte d’Ivoire, par où transitaient jusque-là 70 % des importations maliennes. Pour éviter la pénurie, les autorités ont dû trouver des fonds supplémentaires pour importer des vivres et des biens d’équipement. L’État, à en croire le ministre des Finances Bassari Touré a perdu la bagatelle de 40 milliards de F CFA depuis le déclenchement de la crise ivoirienne.
Et, comme si cela ne suffisait pas, dame Nature fait des caprices dans un pays l’eau et la végétation sont des denrées rares. Depuis deux ans, « l’hivernage » se fait désirer. Les provinces septentrionales et occidentales sont durement frappées par la sécheresse. Au point que le gouvernement a dû procéder à une distribution de céréales dans les régions les plus sinistrées. « Pour parer au plus pressé et faire face à la demande, une partie du stock de sécurité constitué en prévision des années de vaches maigres a été distribuée à la population », poursuit le diplomate cité plus haut.
Comment, dans ces conditions, expliquer le calme ambiant ? Cela tient pour beaucoup à l’aura personnelle du président de la République, qui n’appartient à aucune des innombrables chapelles politiques qui ont pignon sur rue dans la capitale. Et, sans doute aussi, à la « méthode ATT », faite de pédagogie et constamment tournée vers la recherche du consensus. Ainsi, depuis le 16 octobre 2002, date de la formation d’un nouveau gouvernement, le Mali vit une expérience pour le moins originale. Toutes les formations politiques, à l’exception notable du Parti pour la renaissance nationale (Parena), de l’ancien ministre des Affaires étrangères Tiébilé Dramé, disposent d’un strapontin au gouvernement. Résultat : il n’y a plus d’opposition.
Siègent donc côte à côte en Conseil des ministres des hommes et des femmes que tout semblait opposer il y a encore un an : des conservateurs, des libéraux, des socialistes, des nationalistes, des trotskistes, des maoïstes, des anarchistes, des partisans de l’ancien président Moussa Traoré (renversé par la rue et l’armée le 26 mars 1991) comme les fidèles d’Alpha Oumar Konaré, chef de l’État de 1992 à 2002.
Il n’est donc pas rare de surprendre en grande conversation Choguel Maïga, ministre de l’Industrie et du Commerce et héritier spirituel du général Moussa Traoré, et Mamadou Lamine Traoré, un des acteurs de la « révolution de Mars », qui gère aujourd’hui le portefeuille – sensible – de l’Éducation nationale. Un spectacle inimaginable il y a seulement un an ! De même travaillent aujourd’hui en partenariat les ministres du Congrès national d’initiative démocratique (Cnid) et de l’Alliance pour la démocratie au Mali (Adéma), deux formations qui ont fortement contribué à la chute de la dictature, mais qui, une fois la victoire acquise, ont consacré l’essentiel des dix dernières années à s’étriper. « J’apprécie la présence de tous ces jeunes frères autour de moi, explique ATT. Quelles que soient leurs opinions, ils doivent unir leurs forces pour sortir le pays du sous-développement. Dans quelques années, ils assureront la relève… »
Cet unanimisme de bon aloi ne plaît pas, on s’en doute, à tout le monde. Selon les rares voix critiques qui émergent du lot, la démocratie malienne risque de mourir du trop-plein de laudateurs et de griots. « Pour exorciser les vieux démons, il faut coûte que coûte des voix dissidentes », assure un chef de parti qui, sans doute pour ne pas apparaître comme un empêcheur de tourner en rond, requiert l’anonymat. Pour l’instant, la population ne trouve rien à y redire. Les Maliens, qui ont renoué, dans la douleur et le sang, avec le pluralisme, en 1991, seraient-ils déjà fatigués de la palabre ?

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