Notre homme à Bagdad

Publié le 12 mai 2003 Lecture : 3 minutes.

Toutes les vérités ne sont pas bonnes à entendre. Comme celle-ci : l’Irak moderne n’a connu une longue période de stabilité que sous le règne du parti Baas (1968-2003). Ou encore celle-ci : les régimes pro-occidentaux qui se sont succédé à la tête du pays avant 1958 ont tous été impopulaires et furent renversés par des coups d’État. Les Américains, qui s’apprêtent à installer à Bagdad un gouvernement de transition formé d’éléments proches de leurs services de renseignements, devraient méditer l’exemple de l’ancien Premier ministre Nouri Saïd, qui a loué ses services tour à tour aux Turcs, aux Britanniques et aux Américains.
Né à Kirkouk, dans le nord de l’Irak actuel, en 1888, Nouri Saïd fait ses études à Constantinople, en Turquie, avant de servir dans l’armée ottomane durant la Première Guerre mondiale. En 1916, il change de camp et se met au service de Fayçal Ibn Ali, descendant de la prestigieuse famille hachémite, qui sera proclamé, en mars 1920, roi de la Syrie et de la Palestine. Déposé cinq mois plus tard par les Français, il est proclamé roi de l’Irak en août 1921, à l’instigation de la Grande-Bretagne. Nouri Saïd, devenu son homme de confiance, est alors chargé de mettre sur pied le premier noyau de l’armée irakienne, avant d’être élevé, en 1930, au rang de Premier ministre.
L’Irak accède à l’indépendance en 1932, mais reste dans l’orbite de la Grande-Bretagne. Laquelle y garde des bases militaires, une grande influence politique et, surtout, une concession pour l’exploration et l’exploitation du pétrole au profit de l’Iraq Petroleum Company (IPC), un conglomérat britannique, français et américain.
Après sept tentatives de coups d’État militaires en moins de cinq ans, Fayçal Ier trouve la mort dans un accident de voiture, en 1939. Son fils Fayçal II lui succède au trône. N’étant âgé que de 5 ans, c’est son oncle Abdulillah qui assure la régence. En 1940, l’armée britannique intervient de nouveau dans le pays pour en chasser un groupe d’officiers pronazis et y faire revenir l’ordre.
Au lendemain de la guerre, Nouri Saïd instaure un régime autoritaire. Pour montrer sa détermination et ses bonnes dispositions à l’égard des Américains, il fait exécuter, en 1949, cinq activistes communistes. Les mouvements de révolte sont réprimés dans le sang. En 1953, Fayçal II accède au trône. Il n’a que 19 ans. Le Premier ministre, qui utilise une partie de l’argent du pétrole pour moderniser le pays et former de jeunes Irakiens dans les universités européennes et américaines, prend de l’âge. Son alliance avec Londres et Washington, principaux alliés d’Israël, le rend d’autant plus impopulaire que l’idéologie nationaliste arabe gagne du terrain. Sa popularité, déjà à son plus bas, chute un peu plus au lendemain de l’adhésion de son pays au pacte de Bagdad (lire ci-contre).
Nouri Saïd, de plus en plus dépassé par les événements, provoque de nouveau le courroux de son peuple en supprimant tous les partis (septembre 1954), en se rangeant – officieusement – aux côtés des Britanniques lors de l’agression franco-israélo-britannique contre l’Égypte (octobre 1956) et en instaurant la loi martiale. Pendant toute cette période, l’une des plus sombres de l’histoire de l’Irak monarchique – à plusieurs reprises, des détenus politiques sont massacrés dans les prisons par leurs gardiens (Bagdad, fin 1952, et Kout, printemps 1953) -, les militants baasistes sont mis à la dure école de la lutte clandestine et de la répression. En 1957, ils s’allient aux autres partis de l’opposition au sein d’un Front national.
Dans la nuit du 13 au 14 juillet 1958, quinze « officiers libres » lancent deux brigades à l’assaut du palais royal, à Bagdad. Le roi Fayçal II et son oncle Abdulillah sont exécutés. Nouri Saïd, qui s’est enfui déguisé en femme, est reconnu, arrêté et lynché par la foule. Le 14 juillet, le général Abdelkarim Kassem annonce la naissance de la République irakienne.

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