« Énormément de choses ont changé depuis la présidentielle »

Un peu plus de six mois après sa confirmation à la primature,Ahmed Mohamed Ag Hamani dresse un premier bilan.

Publié le 12 mai 2003 Lecture : 7 minutes.

Personne ne s’y attendait et pourtant, c’est bien lui qu’Amadou Toumani Touré a choisi, le 9 juin 2002, pour occuper le poste de Premier ministre. La surprise passée, tous ceux qui ont suivi la carrière de ce grand commis de l’État, entamée au début des années soixante, s’accordent à dire de l’homme qu’il est compétent, rigoureux, cultivé… et modéré. Ahmed Mohamed Ag Hamani, 61 ans, marié et père de quatre enfants, en impose. Son teint clair de Touareg tranche avec celui de ses compatriotes ; il est grand, élégant, le regard acéré protégé par des lunettes à monture dorée. La délicate opération du coeur qu’il a dû subir à Bruxelles en avril 2000 semble n’être plus qu’un lointain souvenir.
Le chef du gouvernement est né en 1942 à Goundam, à une centaine de kilomètres au sud de Tombouctou. Scolarité au lycée Askia-Mohamed de Bamako, baccalauréat de mathématiques puis Centre d’études et de formation de statisticiens pour les pays en voie de développement de Paris. En 1965, son diplôme d’ingénieur en poche, il rentre au Mali où il exerce la fonction de chef de division à la comptabilité nationale. Après un stage au ministère de la Coopération, en France, il hérite du département planification à la Direction nationale du plan et de la statistique et devient, entre 1975 et 1977, conseiller technique du ministre du Plan. La bonne réputation dont il jouit le conduit à se voir confier de hautes responsabilités. Malgré une distance avérée avec le parti unique de l’époque, il effectue, de 1978 à 1987, une carrière ministérielle à la tête de départements aussi importants les uns que les autres : Sociétés et Entreprises d’État ; Information et Télécommunications ; Plan ; Sports, Arts et Culture ; Transports et Travaux publics.
Son départ du gouvernement lui ouvre la voie sur une seconde vie : la diplomatie, pour laquelle il présentait de réelles dispositions. Ag Hamani est plutôt ouvert d’esprit, éloquent, fin connaisseur des questions de développement, et polyglotte – il parle le français, l’anglais, le dialecte songhaï et, naturellement, sa langue maternelle, le tamasheq. De 1987 à 1992, il est haut-commissaire de l’Organisation pour la mise en valeur du fleuve Sénégal (OMVS), institution internationale regroupant le Mali, le Sénégal et la Mauritanie. Alpha Oumar Konaré accède au pouvoir en 1992 et le nomme, un an plus tard, ambassadeur du Mali au Maroc. Il y restera six ans, avant d’atterrir à Bruxelles, en qualité d’ambassadeur auprès de la Belgique, des Pays-Bas, du Royaume-Uni, du grand-duché du Luxembourg et de l’Union européenne, poste qu’il occupait jusqu’à sa nomination à la primature en juin 2002.
Sa première mission, en tant que Premier ministre d’un gouvernement transitoire, fut de veiller au bon déroulement des législatives de l’été suivant et de mettre en chantier les promesses électorales d’ATT. C’est sans doute le fait d’avoir réussi ce test qui a valu à Ag Hamani d’être reconduit, le 16 octobre 2002, à la tête d’une nouvelle équipe gouvernementale à laquelle participe l’essentiel des forces politiques du pays. Tenant à préciser son apolitisme, il entend « investir toute [son] énergie dans la construction du Mali moderne qu’ambitionne ATT ».
JEUNE AFRIQUE/L’INTELLIGENT :
Qu’est-ce qui a évolué au Mali depuis l’élection d’ATT ?
AHMED MOHAMED AG HAMANI :Il est trop tôt pour faire un bilan, mais je peux néanmoins vous affirmer qu’énormément de choses ont changé, et en bien, depuis le 12 mai 2002. Le 9 juin, le président de la République a mis en place un gouvernement de mission et lui a assigné des tâches précises : dresser l’état de la nation, améliorer les conditions de vie des travailleurs, mettre l’économie sur les rails dans le cadre du programme d’ajustement structurel, organiser les élections législatives dans de bonnes conditions Cent jours après, le gouvernement a examiné les résultats obtenus. On peut rappeler, par
exemple, que les élections législatives se sont tenues, comme prévu, les 14 et 28 juillet, à moindre coût et dans des conditions satisfaisantes. Aucune protestation n’a été enregistrée. C’est une première dans notre pays depuis l’ouverture démocratique.

J.A.I. : Le gouvernement issu de ces élections est plus que consensuel tant il regroupe la majorité des forces politiques. Certains y voient un danger pour la vitalité de la
démocratie malienne
A.M.A.H. : Il faut reconnaître au Mali le droit d’avoir sa propre pratique démocratique. Houphouët le disait, le modèle démocratique africain est fondé sur le consensus. Et la participation d’un grand nombre de partis politiques au gouvernement ne veut absolument pas dire qu’il n’y a pas de contrepoids à l’action de celui-ci. Je peux vous dire que les députés, toutes tendances confondues, ne m’ont fait aucun cadeau lorsque je leur ai présenté ma déclaration de politique générale. De plus, la sociologie politique malienne est particulière. Aucune force politique ne peut, seule, être suffisamment représentative. Il faut donc constituer des coalitions pour gouverner le pays, pour se doter d’une base populaire de légitimité.

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J.A.I. : Ce consensus tiendra-t-il jusqu’en 2007 si Ibrahim Boubacar Keita,[IBK, président de l’Assemblée nationale], Mountaga Tall [premier viceprésident de cette Assemblée] et tant d’autres sont tentés de rompre l’union sacrée pour afficher leurs
propres ambitions présidentielles ?
A.M.A.H. : Je ne suis d’aucun parti et ne fais pas de politique, je ne suis donc pas la personne la mieux placée pour répondre à cette question. Et je ne fais aucun effort pour analyser ce qui se passe dans la tête de ceux qui ont des ambitions.

J.A.I. : Comment se porte le Mali sur le plan économique ?
A.M.A.H. : Bien. Nous avons été déclarés éligibles à l’initiative de réduction de la dette en faveur des Pays pauvres très endettés (PPTE), qui allégera notre dette de 385 milliards de F CFA en six ans. Notre trésorerie ainsi soulagée, nous pourrons transférer le montant des échéances normalement dues aux secteurs sociaux éducation, santé, aménagement d’eau potable Les 8 milliards de F CFA que nous devions rembourser à la France à la fin de février, par exemple, devront être alloués par le gouvernement au secteur de l’éducation. L’initiative PPTE nous permet également de bénéficier de prêts auprès du FMI et d’accéder à d’autres crédits. Les effets de ces avancées sont toutefois
encore peu perceptibles, en raison du conflit ivoirien.

J.A.I. : Quel est l’impact réel de ce conflit sur votre économie ?
A.M.A.H. : Notre commerce extérieur était tributaire à plus de 70 % de la Côte d’Ivoire. En six mois de crise, le gouvernement a perdu des dizaines de milliards de francs CFA en recettes douanières. Sans compter les sommes dépensées pour supporter les importations de vivres et de biens d’équipement afin d’éviter les pénuries dans le pays. Nous avons été contraints, après l’éclatement du conflit, de basculer nos échanges sur Lomé, Cotonou, Tema, Dakar et, de plus en plus, Conakry. Les surcoûts occasionnés par ces changements, les retards dans les approvisionnements, le manque à gagner au niveau du premier poste
frontière du pays, celui de Zegoua, ont sérieusement secoué l’économie malienne.

J.A.I. : Quelles mesures avez-vous prises pour en atténuer les conséquences sur le quotidien des Maliens ?
A.M.A.H. : Le conflit s’est doublé d’une sécheresse dans le nord et l’ouest du Mali. Pour soulager la population, l’État a procédé à la distribution de vivres dans ces régions, à raison de 27 kg par individu. Au début de l’année, le gouvernement a pris sur lui de réduire de 10 % les tarifs des communications téléphoniques, de l’électricité et de l’eau, et de 40 % à 50 % le prix des médicaments essentiels. Nous avons renoncé à 25 milliards de F CFA de recettes fiscales pour protéger le pouvoir d’achat des Maliens.
Les pays qui ont pris le relais de la Côte d’Ivoire pour le transit des marchandises ont fait preuve de solidarité à notre égard en allégeant la fiscalité et en simplifiant les formalités pour les produits nous étant destinés.

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J.A.I. : D’aucuns disent pourtant que la crise ivoirienne favorisera à terme le Mali du fait de la délocalisation dans votre pays de nombreuses entreprises
A.M.A.H. : Cela n’est pas ma lecture du problème. Je ne me réjouirai jamais que sombre un pays comme la Côte d’Ivoire, proche du nôtre par l’histoire, la géographie et les échanges
humains. D’autant que la crise ivoirienne provoque, au-delà des questions économiques, de graves déchirements humains. En plus des réfugiés ivoiriens, nous avons accueilli près de
50 000 Maliens ayant fui les hostilités. Si les quelque 2 millions de nos compatriotes devaient être contraints à revenir ici, cela créerait des dégâts économiques que les délocalisations que vous évoquez ne sont pas à même de combler. La seule chose que l’on
peut souhaiter, c’est que la situation de notre voisin se normalise.

J.A.I. : Au-delà de la gestion du quotidien, quels projets entendez-vous mettre en uvre ?
Nous avons déjà lancé, en mars dernier, à l’occasion de la visite de Mouammar Kadhafi, la construction de la Cité administrative de Bamako. Ce complexe, qui devra abriter tous les ministères, verra sa première phase financée par la Libye, à hauteur de 26 milliards de F
CFA. La construction de trois mille logements sociaux dans la capitale, promise par ATT au cours de sa campagne électorale, est en voie de démarrage. Sur les autres fronts, nous
avons l’intention de développer les secteurs de l’or et du coton, réduire le chômage des jeunes et éradiquer la corruption.

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J.A.I. : Est-il facile de travailler avec le président Amadou Toumani Touré ?
A.M.A.H. : Si tel n’était pas le cas, je ne serais pas dans ce bureau. C’est sans doute parce que nous n’appartenons tous les deux à aucun appareil politique que nous arrivons à nous entendre sur le contenu à donner au service public.

J.A.I. : Vous n’essayerez pas, comme vos prédécesseurs à la primature IBK et Mandé Sidibé de succéder au président ?
A.M.A.H. : Je n’ai aucune ambition. Je ne suis candidat à rien. Je travaille avec ATT,
qui m’a honoré de sa confiance. Si je cesse d’être Premier ministre, ce sera pour goûter à une paisible retraite après une longue carrière.

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