Nervosité préélectorale

Intrigues parmi les partisans du chef de l’État toujours malade, harcèlement de l’opposition… À sept mois de la présidentielle, les hostilités sont ouvertes entre le pouvoir et ses adversaires.

Publié le 12 mai 2003 Lecture : 5 minutes.

Conakry souffre. Conakry a soif. Et Conakry déprime dans le noir. Cette ancienne métropole coloniale, jadis baptisée « la Coquette », sombre dès 19 heures dans une obscurité quasi totale. Les vingt-six mégawatts de courant tirés des groupes électrogènes de la centrale thermique de Tombo suffisent à peine à éclairer Kaloum (le quartier administratif et des affaires) et la Cité ministérielle où logent les membres du gouvernement et autres pontes du régime. Le barrage de Garafiri, inauguré en juillet 1999 et qui a coûté 200 millions de dollars, ainsi que celui de Kalé, à Banéah, n’ont pu produire la moindre énergie depuis plusieurs semaines. Officiellement du fait de la baisse généralisée du niveau des cours d’eau dans le pays due à la faible pluviosité du dernier hivernage.
La pénurie d’électricité dans la ville freine le pompage de l’eau et assèche les robinets et chasses d’eau. Signe des temps, les coffres des voitures ne se ferment plus. Les Conakrykas les bourrent de gourdes et autres bidons dans lesquels il recueillent le précieux liquide. À Kaloum, bien entendu.
Ce calvaire quotidien préoccupe le gouvernement. Comme gage de bonne volonté, un décret présidentiel est venu limoger les directeurs généraux des deux entreprises nationales Électricité de Guinée (EDG) et Société des eaux de Guinée (SEG), le 22 avril. Sans toutefois réussir à faire revenir le courant et l’eau, ni à calmer le mécontentement ambiant qui a dégénéré en émeute, dans la nuit du 27 avril, sur le campus de l’université de Conakry. Et qui, de jour en jour, favorise la percée de Sidya Touré, leader de l’Union des forces républicaines (UFR). L’ancien Premier ministre est crédité d’avoir, à la tête du gouvernement, rétabli l’éclairage public à Conakry, en décembre 1996. Le slogan aujourd’hui sur toutes les lèvres dans les quartiers populaires de la capitale (« Il n’y a pas d’eau ni d’électricité, reviens Sidya ! ») attire les foudres du pouvoir sur le président de l’UFR. Le 6 mai, il a été convoqué et entendu pour la troisième fois en l’espace d’une semaine par un pool de cinq commissaires de police dirigé par le directeur de la Sûreté urbaine, Sékouba Bangoura (voir encadré p. 40).
Cet épisode intervient à peine cinq mois après une première convocation de Touré pour être entendu dans une mystérieuse affaire d’espionnage impliquant un citoyen ivoirien du nom de Michel Déon, qui aurait tenté, avec des appuis internes, de déstabiliser le pouvoir guinéen. Un ancien diplomate en poste à Conakry, exégète de la politique intérieure guinéenne, analyse : « Un vieux refrain dit : « Qui tient les Soussous tient Conakry, qui tient Conakry tient la Guinée. » Fort de son appartenance à la Basse Côte, Sidya Touré a réalisé une grande percée dans l’électorat soussou, traditionnellement dévoué au président Conté. Cette menace grandissante, ressentie par le pouvoir sur son propre fief, va envenimer ses rapports avec Touré au fur et à mesure qu’approchera la présidentielle de décembre 2003. »
Ce scrutin est pour le moins porteur d’incertitudes. Le Front républicain pour l’alternance démocratique (Frad, regroupement des principaux partis d’opposition) et l’Union pour le progrès et le renouveau (UPR) de Siradiou Diallo ont refusé de répondre à l’appel du ministre de l’Administration du territoire et de la Décentralisation, Moussa Solano, les conviant, le 18 avril, à une concertation autour du Conseil national électoral (CNE) et de la révision des listes électorales (voir « Confidences »). Ils exigent la définition d’un cadre global équitable pour l’élection (création d’une commission électorale indépendante, représentation des partis dans les bureaux de vote et commissions de centralisation des résultats…). N’est-ce pas là le début d’un contentieux susceptible de mener à un fiasco électoral du type des législatives du 30 juin 2002 boycottées par presque toute l’opposition ?
Autre source d’inquiétude : les intrigues au sein de la mouvance présidentielle. Selon des sources proches, le président Conté s’est laissé convaincre de la nécessité de rempiler, en dépit de son état de santé, et de se faire réélire pour être dans les conditions de passer sereinement la main dans le cadre d’un montage qui serait entériné par une nouvelle révision constitutionnelle.
Dans le camp de l’opposition, le Rassemblement du peuple de Guinée (RPG) a d’ores et déjà fait connaître le nom de son candidat, à l’issue de sa convention nationale des 12 et 13 avril : son leader Alpha Condé. Sans toutefois que soit éclairci le statut pénal de celui-ci, qui, ayant été condamné pour atteinte à la sûreté de l’État et n’étant pas jusqu’ici amnistié, ne peut briguer la magistrature suprême au vu de la Loi fondamentale guinéenne.
L’échéance présidentielle s’annonce donc sous les auspices les plus incertains. Surtout au vu du peu de souplesse de ceux qui exercent aujourd’hui la réalité du pouvoir à Conakry. Sans en donner l’impression, le ministre secrétaire général à la présidence de la République Fodé Bangoura a fini de « vampiriser » toutes les attributions du chef de l’État. Il mène les autres membres du gouvernement par une phrase récurrente : « Le Président m’a dit… » Et nombre d’observateurs voient sa main derrière le limogeage, le 16 avril, du ministre de la Justice Abou Camara, coupable d’avoir refusé de déférer à sa convocation après avoir tenu des propos jugés inconvenants au cours d’un meeting à Mamou. Bangoura partage le pouvoir avec le vice-gouverneur de la Banque centrale, le très médiatique Fodé Soumah, qui sillonne le pays depuis le début de l’année pour appeler, avec d’importants moyens, à voter Conté en décembre 2003. Sur un autre registre, Mbemba Bangoura, troubadour invétéré et tonitruant gouverneur de Conakry, continue à régner en véritable shérif sur la capitale, à la tête d’une milice privée : le Comité de mobilisation de Conakry (Comoc).
Pendant ce temps, le président Conté, plus présent à Conakry depuis la mi-avril, s’est choisi une place sur l’esplanade du Palais des Nations détruit par la mutinerie des 2 et 3 février 1996. Il y passe des heures à contempler les vagues de l’océan Atlantique, le regard perdu et les sens absents. Comme s’il voyait défiler à l’horizon les images de ces dix-neuf années écoulées au cours desquelles il a régné sur ce grand pays de l’Afrique de l’Ouest.

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