À l’heure de la libéralisation

Selon le souhait des bailleurs de fonds internationaux, l’État devrait abandonner son monopole sur la filière d’ici à 2005.

Publié le 12 mai 2003 Lecture : 4 minutes.

L’or blanc du Mali s’apprête à vivre sa révolution structurelle. D’ici à la fin de l’année, la filière coton doit en effet être ouverte au secteur privé, ce qui mettra fin à près de trois décennies de quasi-monopole exercé par l’État à travers deux sociétés : la Compagnie malienne de développement des textiles (CMDT), qui assure à elle seule 95 % de la production, et l’Office national de la haute vallée du Niger (OHVN), responsable des 5 % restants. L’enjeu est d’importance. Le Mali est le deuxième producteur de coton du continent, derrière l’Égypte. Sa culture fait vivre 3 millions de personnes, soit 30 % de la population, représente 15 % du Produit intérieur brut (PIB) et près de 30 % des recettes à l’exportation. Seulement voilà, alors que même la Banque mondiale parlait de success story en 1998, la filière vit au rythme de crises successives depuis 1999.
Longtemps réfractaire à toute idée de libéralisation, le gouvernement a été contraint de revoir sa position pour redonner confiance aux producteurs et répondre aux injonctions des bailleurs de fonds, qui préconisent une restructuration du secteur. En avril 2001, l’État malien a donc invité les principaux acteurs de la filière à participer à des « états généraux », avec pour objectif de dégager un consensus autour d’un important cadre de réformes. Deux mois plus tard a été élaborée une Lettre de politique du développement du secteur coton (LPDSC), regroupant l’ensemble des orientations à suivre et fixant la libéralisation totale du secteur cotonnier à l’horizon 2005. Le calendrier des réformes a été établi autour de trois grands axes : le désengagement progressif de la CMDT de ses missions de service public (ouverture de pistes, hydraulique villageoise, alphabétisation, etc.) et de ses fonctions d’approvisionnement en intrants et du transport des récoltes ; une plus grande participation des producteurs dans la gestion de la filière ; la libéralisation progressive du secteur. Pour commencer, on envisage l’installation d’un opérateur privé dans la zone OHVN, le long du fleuve Niger. Au terme de l’opération de libéralisation de la filière, la part de l’État doit être ramenée à 20 % maximum, la CMDT devenant une société privée, selon les voeux de la Banque mondiale.
Que s’est-il passé depuis ? En juillet 2001, un arrêté du ministère du Développement rural et de l’Environnement a effectivement soulagé la CMDT de certaines de ses prérogatives. En septembre 2002, le Premier ministre Ahmed Mohamed Ag Hamani a lancé un appel d’offres pour la zone OHVN, dans l’optique de finaliser cette privatisation courant 2003. Trois usines d’égrenage de la CMDT sur les dix-neuf existantes doivent être cédées : les installations de Kita (dans l’ouest du pays) et de Bamako – qui ont des capacités d’égrenage journalières respectives de 320 tonnes et 104 tonnes de coton-graine – et l’usine de Ouélessébougou (sud de Bamako), en cours d’achèvement et dont la capacité quotidienne devrait être de 320 tonnes. Un groupe cotonnier américain serait sur les rangs. L’opération devrait rapporter à l’État entre 20 milliards et 25 milliards de F CFA (entre 30,5 et 38 millions d’euros), mais risque par la même occasion d’amputer la CMDT d’une production de 40 000 tonnes de coton-graine.
D’ores et déjà, la CMDT a entamé sa mue. Les équipes de Dagris (ex-CFDT, Compagnie française pour le développement des fibres textiles, actionnaire à hauteur de 40 % de la Compagnie) ont mis en place des procédures destinées à enrayer les dysfonctionnements de la société et à limiter les frais généraux. Avec succès : ceux-ci avaient diminué de 30 % à la fin de l’année 2001 par rapport à 1998. La restructuration s’est accompagnée de licenciements massifs : plus de 500 ouvriers de la CMDT, sur les 2 400 que compte l’entreprise, ont déjà perdu leur emploi, l’objectif étant de réduire le personnel de moitié d’ici à 2005. Le coût des transports a lui aussi été réduit. Enfin, le principe d’ouverture du capital aux producteurs et aux travailleurs est aujourd’hui acquis, même si les modalités restent à définir.
Las ! Malgré ces mesures d’austérité et en dépit d’une récolte record en 2001-2002 (plus de 575 000 tonnes), la situation de la filière ne s’est pas encore réellement améliorée. Selon la Banque mondiale, la CMDT accusait encore un déficit de 20,7 milliards de F CFA fin 2002. Pis, la dernière campagne n’a bénéficié que de pluies tardives, ce qui devrait provoquer une baisse de 25 % de la production. Celle-ci devrait s’élever à 430 000 tonnes, et non à 600 000 tonnes comme prévu. Si les cours sont remontés ces derniers mois, l’effet positif a été en parti gommé par la forte montée du dollar, et plus encore par les effets de la crise ivoirienne, qui a renchéri le coût du transport jusqu’aux ports d’évacuation de Lomé, Cotonou ou Dakar.
Dans un tel contexte, la libéralisation de la filière et la privatisation de la CMDT tardent à se mettre en place. Les bailleurs de fonds, qui ne l’ignorent pas, expliquent ce retard par « la trop grande imbrication de la compagnie dans le tissu social ». Et déjà les acteurs de la filière se prennent à regretter l’abandon par la CMDT de ses anciennes prérogatives. Nombreux sont les paysans aujourd’hui convaincus que le futur opérateur privé, plus préoccupé par ses bénéfices, ne remplira pas les missions à caractère social pourtant dûment exigées par le cahier des charges. Certains producteurs vont jusqu’à brandir la menace de nouveaux boycottages, après celui de fin 2000 (voir encadré), dans le but de faire reculer cette privatisation pourtant inéluctable. La Banque mondiale a d’ailleurs mené une nouvelle mission en avril 2003, à Bamako, pour rencontrer une nouvelle fois les différentes parties et relancer le processus. Mais le calendrier a beau toujours prévoir que la CMDT ne sera plus le seul opérateur du secteur cotonnier malien d’ici à la fin de l’année, ça n’en prend pas le chemin.

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