« Les extrémistes ont profité de la guerre en Irak »

Ministre marocain de la Communication

Publié le 13 mai 2003 Lecture : 4 minutes.

Nabil Benabdallah, 45 ans, est un homme de convictions. Les siennes, il ne s’en cache pas, sont aux antipodes des valeurs islamistes. Diplômé de droit à Paris, il adhère très jeune au Parti du progrès et du socialisme (PPS), qui s’efforce de faire la synthèse entre socialisme et monarchie. Tour à tour directeur d’Al-Bayane, le journal du PPS, et porte-parole du parti, Benabdallah assume sans complexes son nouveau rôle de ministre de la Communication, ne rechigne pas à aborder les sujets les plus sensibles – l’islamisme, le Sahara et explique l’enjeu des négociations engagées en vue de l’impression du quotidien Le Monde au Maroc.
J.A./L’INTELLIGENT : Pourquoi les élections communales ont-elles été reportées de juin à septembre ? Pour laisser retomber les passions suscitées par la guerre en Irak ?
NABIL BENABDALLAH : Il s’agit d’un réajustement de calendrier demandé par tous les partis, y compris le Parti de la justice et du développement (PJD). Il est vrai qu’entre la fin du conflit irakien et la tenue des élections le délai était un peu court. En fait, le mois de juin n’arrangeait personne. Il fallait laisser le temps aux partis de faire leur travail de mobilisation pour garantir une forte participation.

J.AI. : Le conflit n’a-t-il pas renforcé les islamistes marocains ?
N.B. : Les élections nous le diront, mais il est évident que les crispations provoquées dans le monde arabe par l’invasion de l’Irak ne peuvent que renforcer toutes sortes d’extrémismes et de réflexes identitaires. Il faut encourager les courants modernistes. Seuls la démocratie et le développement économique peuvent faire échec à ces velléités conservatrices caractérisées par le refus de l’autre.

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J.AI. : Le PJD est-il un parti extrémiste ?
N.B. : À partir du moment où il accepte de se plier aux règles de la démocratie marocaine, le PJD doit faire preuve de modération. Certaines de ses prises de position paraissent en effet extrémistes, d’autres moins.

J.AI. : Faites-vous une différence entre le PJD et Al-Adl wal Ihsane, le mouvement de Cheikh Yassine ?
N.B. : Dans leur organisation, ils sont distincts, mais sur le fond, je ne vois pas beaucoup de différences. Les mouvements islamistes se retrouvent très souvent autour des mêmes valeurs, des mêmes finalités.

J.AI. : Le PJD n’est pas associé au gouvernement. En faisant de lui la première force d’opposition, ne lui ouvrez-vous pas un boulevard avant les prochaines élections ?
N.B. : Vaste débat. Car il aussi permis de se demander si l’associer au gouvernement ne lui fournirait pas l’occasion d’infiltrer un certain nombre de rouages et de se renforcer. Personnellement, je considère que le Maroc est engagé sur la voie de la modernité et du progrès. Et qu’il faut partager ces valeurs pour participer au projet gouvernemental.

J.AI. : Que pensez-vous du dernier plan Baker sur le Sahara ?
N.B. : Pour nous, la solution au problème du Sahara ne peut être fondée que sur le principe de l’autonomie, dans le cadre d’une souveraineté marocaine clairement établie. Nous ne sommes prêts à discuter que dans ce cadre-là. Le premier plan Baker allait dans ce sens, sans fixer de calendrier. Le dernier, en revanche, propose l’autonomie du territoire dans une phase intermédiaire et un référendum d’autodétermination à la fin. Pour nous, ce n’est plus le plan Baker, c’est la solution préconisée par les Nations unies pendant des années, c’est-à-dire un référendum d’autodétermination. Considérant que cette solution n’est pas viable, nous avons émis un certain nombre de réserves. Nous sommes convaincus que la solution est politique et que les parties doivent parvenir à la dégager, entre elles.

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J.AI. : À quand la réouverture de la frontière entre le Maroc et l’Algérie ?
N.B. : Le plus tôt possible. Des malentendus existent entre nos deux pays, notamment sur la question du Sahara. Dans un Maghreb démocratique et uni, chaque pays doit respecter la souveraineté de l’autre. Les questions de frontières et de visas sont liées à un accord global. Elles sont partie intégrante d’un package que nous négocions avec nos amis algériens. Nous espérons que tout cela sera débloqué dans les plus brefs délais.

J.AI. : Quand Le Monde pourra-t-il être imprimé au Maroc ?
N.B. : Dans quelques mois, je l’espère, voire dans un délai plus court. Nous avons fait clairement le choix de la liberté de la presse. C’est dans cet état d’esprit que nous souhaitons traiter la demande du Monde et de quatre autres journaux arabes et occidentaux. Mais nous devons également veiller à ce que les titres marocains ne fassent pas les frais de l’introduction de journaux étrangers. C’est pourquoi nous envisageons de soutenir la presse écrite nationale dans le cadre d’un partenariat et d’un contrat-programme avec l’État. Cela dit, Le Monde est déjà vendu au Maroc. Je ne vois pas de différence entre le fait qu’il arrive par avion et le fait qu’il soit imprimé sur place.

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J.AI. : Sauf que, dans la seconde hypothèse, il sera vendu deux fois moins cher…
N.B. : Ce genre de question peut fort bien être négocié dans le cadre d’un accord global.

J.AI. : Vos réticences s’expliquent-elles par le fait que Le Monde ne se prive pas d’égratigner votre gouvernement ?
N.B. : Pas du tout. Il n’y a pas que Le Monde qui nous égratigne, nos journaux nationaux aussi. Quand on fait le choix de la démocratie, il faut savoir en payer le prix.

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