Le roi Christophe est vivant !

Publié le 13 mai 2003 Lecture : 2 minutes.

> Dessalines, successeur de Toussaint-Louverture à la tête de l’armée des esclaves insurgés de Haïti, fut le premier à vaincre les troupes de Bonaparte, en 1802, pour tenter de rétablir « l’ordre ». Son second, Henri Christophe, fut l’un des héros de la libération du pays, devenu la première république noire en janvier 1804. En 1811, Christophe créa un étonnant royaume noir indépendant autour de Cap Haïtien.
Son destin de monarque éclairé qui versa petit à petit dans la mégalomanie et le despotisme a inspiré plusieurs grands écrivains des Caraïbes. Qui ne connaît La Tragédie du roi Christophe dans laquelle Aimé Césaire a évoqué le drame d’un souverain, ancien esclave, confronté au problème de l’impossible réconciliation entre racines africaines et civilisation occidentale ? Quant au romancier cubain Alejo Carpentier, après avoir visité en 1943 les vestiges monumentaux de son royaume, ce « Versailles sous les tropiques », il évoque ce « monarque aux entreprises extraordinaires, beaucoup plus surprenant que tous les rois cruels inventés par les surréalistes très férus de tyrannies imaginaires dont ils n’avaient pas à pâtir ».
Avec Royal bonbon, titre qui reprend le nom de la garde du roi Christophe, le documentariste Charles Najman veut s’inscrire dans cette tradition. Il a choisi la fiction pour évoquer l’histoire d’Haïti à la glorieuse époque des premiers temps de l’indépendance. Loin de se livrer à une reconstitution historique, il situe l’action dans le présent, nous contant le parcours d’un pauvre hère, demi-fou moqué de tous, qui survit chichement, armé de sa brouette, en rendant de menus services aux commerçants d’un marché de Cap Haïtien. La particularité de ce personnage, surnommé le roi Chacha, est de se prendre pour le roi Christophe, dont il évoque en permanence la geste au travers de discours à l’emporte-pièce joliment scandés et fort irrationnels.
Accompagné d’un orphelin à la recherche d’un père et d’une série de compagnons plus pittoresques les uns que les autres, le roi Chacha va s’installer dans « son » palais, autrement dit en pleine nature, dans les ruines de celui du roi Christophe. Comme ce dernier, il va régner en despote, gouverneur colonial mâtiné de père Ubu. Ainsi, un jour, il décide de taxer ses sujets… selon leur poids, balance très peu fiable à l’appui. Comme le roi Christophe, abandonné par le « peuple » et par sa cour, il finira par se suicider. Du moins le suppose-t-on, puisqu’il ne rejoint pas tout à fait le monde des morts : son corps reste introuvable.
Le principal mérite du film est de nous captiver en refusant tout mode narratif classique et en brouillant tous les repères habituels. Son charme, au sens fort du mot, c’est de nous faire accepter un univers où les frontières entre la vie et la mort, le passé et le présent, la réalité et la fiction, les mots et ce qu’ils représentent, ne sont jamais bien délimitées. Un univers poétique, onirique, mystique, où l’imaginaire et le symbolique se mêlent au réel. Un univers où rien d’actuel ne peut se comprendre sans référence à la mémoire. Une mémoire d’une grandeur passée qui permettrait de supporter, comme à Haïti, le dérisoire du présent ?

Sorti à Paris le 7 mai.

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