La voix des femmes

Le groupe Telouat, ambassadeur de la culture touarègue, milite pour la tolérance.

Publié le 12 mai 2003 Lecture : 2 minutes.

Au milieu des dunes, à une centaine de kilomètres de Tombouctou, surgit une immense scène de spectacle avec projecteurs et sono. On circule entre des chameaux, des tentes touarègues, des cavaliers au visage voilé d’indigo et d’énormes 4×4 étincelants. Bienvenue au Festival du désert qui, trois jours durant, accueille de nombreux musiciens touaregs, mais aussi des artistes de toute l’Afrique de l’Ouest. La troisième édition s’est tenue début janvier. Le public est surtout composé de locaux, parsemé de quelques touristes occidentaux branchés, ramollis par la chaleur.
Telouat, « la Joie » en langue tamasheq, est à l’affiche. Encore peu connu au Mali et n’ayant pas eu l’occasion de produire d’album, il participe chaque année au Festival du désert. Il a fait une première apparition en Europe, à Bruxelles, à l’occasion du festival Voix des femmes, en mars dernier. Le groupe se compose de quinze membres, onze femmes et quatre hommes, plus militants que musiciens. Touaregs originaires de la région de Kidal, dans l’Adrar des Ifoghas, ils vivent en plein Sahara, à 1 500 km au nord-est de Bamako. Mais on devrait parler de ce groupe au féminin, car Telouat est avant tout l’histoire de femmes qui veulent changer le monde.
Dadiya et Taguissa ont créé la formation il y a quatre ans. Dadiya, la cinquantaine, compose les chansons. Drapée de noir et les yeux bleus cerclés de khôl, elle parle de sa vie calmement. De sa condition de femme dans une société touarègue machiste, fillette mariée à 10 ans, mère à 12 ans, divorcée à 18 ans et jamais remariée depuis. Elle évoque son existence de nomade, condamnée à subir un environnement hostile, meurtri par les sécheresses successives. Elle parle de sa vie d’exil, pendant six années d’une guerre civile sanglante, qui, de 1990 à 1996, a contraint des milliers de Touaregs à fuir leur pays. Toutes ont connu cet exil. De retour à Kidal, elles se retrouvent plus démunies que jamais. Plusieurs d’entre elles ont perdu leur mari dans la rébellion. Elles ne sont jamais allées à l’école. Ne sachant ni lire ni écrire, elles décident alors de monter une petite coopérative. Et elles chantent « pour que ça change » dit Taguissa, dont la voix est maintenant célèbre dans tout l’Adrar.
De la première moitié des années quatre-vingt-dix, qui a vu les Touaregs se battre pour affirmer leur identité et leur droit à l’autodétermination, Dadiya ne dit rien : « C’est le passé. Il faut construire le présent. » Aujourd’hui, la rébellion est finie, et Telouat mène d’autres combats. Celui du développement d’abord. Les textes évoquent la décentralisation, hier revendication des rebelles et aujourd’hui espoir pour la région. Ils appellent à la paix et à la tolérance. La formation a participé récemment à une campagne sur l’eau et la nutrition dans les campements nomades, à la demande d’Action contre la faim.
Enfin, le groupe se bat pour les femmes. Les paroles des chansons scandent la scolarisation des filles, car « sans l’éducation des femmes, il n’y a pas de développement possible ». « Les femmes doivent avoir leur place partout, dans les ministères, les mairies, les chefferies, les écoles », explique Dadiya, qui est aussi membre du conseil municipal de Kidal. Quand on évoque les hommes bleus, on parle rarement de leurs femmes. C’est pourquoi Telouat leur a donné sa voix. s

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