[Analyse] Pourquoi l’économie burkinabè est parée pour la relance
Même si la crise sanitaire a entraîné une récession de – 2 % en 2020, le cadre budgétaire reste maîtrisé et la reprise semble déjà amorcée.
Le bon élève burkinabè a été injustement puni par la pandémie venue d’ailleurs. Il avait fait de gros efforts pour contenir ses déficits. Il avait commencé à prendre des mesures pour maîtriser l’inflation galopante des salaires de sa fonction publique.
Il avait ferraillé contre la corruption : selon Ousmane Kolie, spécialiste du secteur public à la Banque mondiale (BM), à la fin de 2020, 97 % des assujettis de l’exécutif et du législatif avaient effectué leurs déclarations de patrimoine, publiées au Journal officiel…Mais rien n’y a fait : le pays a vu sa croissance fauchée nette. Celle-ci avait atteint 5,7 % en 2019 et s’est muée en récession de – 2 % en 2020 selon les projections du FMI.
Réaction rapide
Adieu la sagesse budgétaire (– 5,5 % du PIB) et la maîtrise de la dette ! Il a fallu faire face en même temps sur les fronts sanitaire, social et économique, tout en poursuivant le combat contre un terrorisme redoutable.
« Malgré des ressources budgétaires relativement faibles, les autorités ont plutôt bien géré une dette qui est passée, en un an, de 42,7 % du PIB à 46,6 %, soit quatre points de plus, alors que la dette de l’ensemble de l’Afrique subsaharienne augmentait de neuf points », souligne Bakary Traoré, économiste au Centre de développement de l’OCDE.
L’agriculture de subsistance et celle de rente, comme la culture du coton, ont été résilientes
Il poursuit : « Les conséquences de la mise à l’arrêt de l’économie sur la population seront tout de même graves puisque 895 000 Burkinabè rejoindront dans l’extrême pauvreté (soit un revenu par tête de 1,90 dollars) les 8 millions qui en souffrent déjà. »
Selon la Banque mondiale, la croissance est restée faiblement positive. « L’agriculture de subsistance et celle de rente, comme la culture du coton, ont été résilientes, analyse Kodzovi Senu Abalo, économiste pays de la BM à Ouagadougou. Le secteur secondaire a quant à lui connu une stagnation au premier semestre 2020, avant d’opérer un redressement spectaculaire au deuxième semestre, porté par une production d’or en forte hausse, ce qui a contribué à améliorer la balance commerciale. Seul le secteur tertiaire (transports, tourisme, commerce, restauration-hôtellerie, réparations) qui a fortement chuté, sa croissance passant de + 8,2 % en 2019 à – 1,4 % en 2020. »
La réaction du gouvernement a été rapide et efficace. Le plan de riposte et de relance de l’économie a mobilisé, dès avril 2020, 394 milliards de F CFA (près de 600,65 millions d’euros), dont 76 milliards ont été consacrés aux mesures sociales : subventions aux produits alimentaires de première nécessité, transferts monétaires au profit des plus démunis, exonérations des factures d’eau et d’électricité.
La communauté internationale à la rescousse
Le FMI a soutenu le creusement du déficit budgétaire en 2020, « intégralement financé grâce à un soutien extérieur supplémentaire ». En effet, l’aide internationale n’a pas fait défaut. La BM en a assuré la majeure partie (310 millions de dollars approuvés), avec l’Union européenne (116 millions d’euros), la Banque africaine de développement (62 millions de dollars) et la France (36 millions d’euros). La suspension de la charge de la dette extérieure décidée par le G20 a fait économiser 25 millions de dollars au pays.
Les finances et dépenses publiques devront être améliorées selon trois volets
Cela ne veut pas dire que la reprise est sur les rails. « Nous sommes réalistes. Il est peu probable que l’économie burkinabè retrouve son niveau d’avant-crise avant 2023 : la reprise devrait être graduelle, en commençant par une croissance d’environ + 3 % en 2021, estime Daniel Pajank, économiste principal de la BM pour le Burkina, basé à Dakar. Il faut tenir compte de plusieurs facteurs d’incertitudes. La croissance démographique annule en partie ces gains. Les prix bas du pétrole et les prix élevés de l’or ne dureront peut-être pas. Les aléas climatiques et un trop lent déploiement des vaccins peuvent compliquer la donne. »
Déjà, la remontée des cours du brut et des céréales menace le pouvoir d’achat…
Un plan vigoureux pour les PME
Qu’est-ce qui pourrait accélérer le regain économique ? Les réformes, bien sûr ! « Les finances et dépenses publiques devront être améliorées selon trois volets, détaille Kodzovi Senu Abalo. Primo : la mobilisation des ressources domestiques, qui passe par une plus grande efficacité de la collecte fiscale (avec, entre autres, une expansion de la dématérialisation des opérations de déclarations et de paiements des impôts) et par la poursuite des efforts de maîtrise des exemptions fiscales.
L’appui de la communauté internationale sera-t-elle à la hauteur ?
Deuxio : une plus grande efficacité de la dépense publique est indispensable pour dégager de l’espace budgétaire. Par exemple, la loi sur les partenariats public-privé, qui doit être votée cette année, devrait contribuer à renforcer la participation du secteur privé à la reprise de la croissance. Un registre social national permettra de mieux cibler les aides aux personnes les plus vulnérables. Tertio : la numérisation et la dématérialisation des services publics devraient permettre de renforcer l’efficacité et la portée de l’action gouvernementale. »
Reste la question lancinante des moyens qui font tant défaut au Burkina. « L’épargne interne est l’une des plus faibles du continent, rappelle Bakary Traoré. Elle atteint seulement 5,7 % du PIB, quand elle est estimée à 19 % pour l’Afrique subsaharienne. »
Les solutions ? « Que le gouvernement injecte du crédit à l’économie sous forme d’un plan vigoureux du secteur privé, des PME, des entreprises familiales et du secteur informel, en appuyant les points forts du pays, tels que le textile, le design, le cinéma, répond-il. Mais vont-ils pouvoir augmenter les taxes sur les ressources minières, et l’appui de la communauté internationale sera-t-elle à la hauteur ? »
Reprise sous conditions
En tout cas, la Banque mondiale poursuivra son effort. « Le Burkina Faso sera le premier pays du Sahel à bénéficier de la fenêtre de financement supplémentaire utilisée par la Banque pour venir en aide aux pays fragiles confrontés aux défis de l’insécurité, annonce Daniel Pajank. Ces “allocations pour la prévention et la résilience” amèneront un financement additionnel de 700 millions de dollars sur trois ans, constitué pour moitié de dons. »
Les autres bailleurs ne devraient pas être en reste. Mais seront-ils assez persévérants pour permettre au gouvernement de mener de front des tâches aussi urgentes les unes que les autres : la renaissance de l’armée pour que le nord et l’est du pays retrouvent la paix, la mise à niveau de l’administration, l’accès à une électricité de qualité qui donnerait aux entreprises les moyens de travailler normalement, le développement de nouvelles mines, l’extension du réseau routier, l’alphabétisation des deux-tiers de la population adulte – qui en a besoin pour trouver de l’emploi -, la scolarisation des filles – qui contribuera à réduire une croissance démographique dangereuse -, la mise en place de la zone économique spéciale transfrontalière si prometteuse de Bobo-Dioulasso – Korhogo – Sikasso, la vaccination anti-Covid sans laquelle il n’y aura pas de franche reprise, etc.
Des défis impossibles à relever sans une aide forte et maintenue, durant plusieurs années, pour attirer les investisseurs.
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