L’ami américain

Publié le 12 mai 2003 Lecture : 3 minutes.

Un ami, en qui j’ai une grande confiance, m’a téléphoné longuement hier de Washington. À son initiative ou à la mienne, nous nous parlons régulièrement pour échanger informations et commentaires sur les questions brûlantes du moment.
Américain, il fait partie de ceux qui n’aiment pas le style de l’actuelle administration américaine, réprouvent ce qu’elle fait à l’intérieur comme à l’extérieur et ressentent la mauvaise image qu’elle donne de leur pays au reste du monde.
Cette fois, mon ami parle surtout de la situation créée en Irak (et dans la région) par le renversement de Saddam et les débuts de l’administration de ce pays par de hauts fonctionnaires américains s’appuyant sur des Irakiens de l’extérieur, rentrés au pays après des décennies d’exclusion et d’exil.
Il me dit éprouver le besoin d’une mise en garde importante, dont je crois utile de vous livrer ci-dessous la substance
– Vous savez, me dit mon ami, que j’ai été en poste pour mon pays aussi bien en Europe qu’en Afrique et au Moyen-Orient, que je connais, par conséquent, assez bien cette partie du monde.
Par ailleurs, la lecture attentive de Jeune Afrique/l’intelligent contribue à compléter mon information, me permet, surtout, d’appréhender l’état de l’opinion des pays concernés par notre politique au Moyen-Orient et les espoirs des « classes discutantes », comme vous les appelez.
Je discerne en ce moment chez vous un dangereux wishfull thinking. Prenant vos espoirs pour la réalité, vous avez tendance, me semble-t-il, à croire, à dire et même à écrire que l’actuelle administration des États-Unis ne peut qu’échouer vite et spectaculairement dans sa politique de remodelage de l’Irak et du Moyen-Orient.
À mon avis, rien n’est moins sûr. Même si nous ne les aimons pas, les gens qui ont conçu cette politique et veillent à sa bonne exécution ont un savoir-faire certain. Ils sont plus que convaincus d’avoir raison et jouent leur carrière sur cette entreprise. Last but not least : ils disposent de moyens humains, financiers et militaires presque illimités et ne sont étouffés par aucun scrupule.
Ils ont la possibilité de punir ceux qui leur déplaisent ou contrecarrent leur action, de récompenser ceux qui la servent. Carotte et bâton dont ils usent sans retenue(*).

Les difficultés qu’ils rencontrent à mettre en place les gens dont ils ont besoin et à les faire travailler ensemble sont inhérentes aux débuts de toute entreprise de cette envergure. La presse les monte en épingle, mais elles seront surmontées dans trois ou quatre mois.
Vous ne tarderez pas à voir un grand pays arabe du Moyen-Orient en pleine reconstruction et, surtout, ce qui est révolutionnaire ou contre-révolutionnaire pour la région, en privatisation généralisée.
Les entreprises privées, nationales et étrangères, seront reines. Il y aura du travail pour (presque) tout le monde, beaucoup d’argent en circulation ; des gens s’enrichiront vite, et même trop vite, comme en Russie il y a dix ans.
Les pays voisins eux-mêmes, la Turquie certainement et peut-être l’Iran, la Jordanie, Israël, la Palestine, la Syrie, le Liban et les petits émirats, vont avoir la surprise de se trouver bénéficiaires de la reprise par l’Irak, hier isolé par les sanctions, des échanges économiques et humains avec eux.
Seuls l’Arabie saoudite et le Koweït se trouveront du côté des perdants puisqu’ils ne recevront plus les réparations que leur versait l’Irak depuis 1991.

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Ce que George W. Bush et ses hommes se sont engagés à faire en Irak et au Moyen-Orient est, je le répète, une contre-révolution, qui fera des perdants, mais beaucoup de gagnants. Il est possible qu’elle s’ensable dans les complexités du Moyen-Orient, soit victime des conflits d’intérêts entre intervenants et finisse par échouer.
Mais il est raisonnable de prévoir que cette entreprise comme, plus généralement, la guerre contre le terrorisme et le fameux axe du Mal, connaîtront, dans les prochains mois et les deux années qui viennent, une série de succès…
Nous-mêmes, aux États-Unis, nous ferons bien de nous habituer à l’idée que Bush et ses néoconservateurs peuvent très bien garder le pouvoir jusqu’en 2008.

J’arrête ici l’argumentaire impressionnant de mon ami américain et le soumets à votre réflexion. Je précise que, depuis que je le connais, il ne s’est pas souvent trompé dans ses analyses et ses prévisions.

* Israël, la Jordanie, l’Égypte, le Pakistan et même la Turquie viennent de se voir octroyer, en argent ou en crédits, quelque 15 milliards de dollars (dont… 10 milliards pour le seul Israël !).

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