L’Afrique hors jeu

Intégrer le continent dans le système commercial international. Tel était le leitmotiv de la conférence organisée, fin avril, à Dakar, par l’Organisation de coopération et de développement économiques.

Publié le 13 mai 2003 Lecture : 6 minutes.

«Mettre au point un cadre d’action propre à optimiser l’impact positif du commerce et de l’investissement sur le développement de l’Afrique ; soutenir l’essor du secteur privé en lui conférant la possibilité de jouer un rôle accru ; développer des stratégies à même de surmonter les obstacles liés aux échanges et à l’accueil des investissements directs étrangers (IDE). » Tels étaient les objectifs ambitieux de la Conférence internationale sur le commerce et l’investissement organisée, du 23 au 25 avril, à l’hôtel Méridien de Dakar, par deux instances de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) : le Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest, et la Direction des échanges. Initiative originale de l’OCDE, qui s’aventurait pour la première fois en terre africaine sans pour autant se départir de son rôle de think-tank des trente pays les plus riches de la planète. Cette évolution est directement liée au lancement, en 2001, du Nouveau Partenariat pour le développement de l’Afrique (Nepad) qui bénéficie d’un soutien appuyé de l’OCDE, car il marque « la volonté d’intégrer le commerce africain au système commercial international ».
L’occasion de faire le point avec plus de cinq cents experts africains et étrangers dans un cadre informel, et ce à quelques mois de la réunion de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), prévue à Cancún en septembre prochain, qui s’annonce d’ores et déjà décisive. L’occasion aussi de constater une nouvelle fois l’étendue des dégâts. Malgré un potentiel considérable, les pays africains sont en effet pratiquement les seuls à avoir été laissés en marge du processus de mondialisation. Une marginalisation confirmée par deux données désormais bien connues : le continent attire moins de 1 % des flux mondiaux d’investissements internationaux, et sa part dans le commerce mondial reste désespérément inférieure à 2 %. Contrairement aux pays du Sud-Est asiatique, l’Afrique est loin d’avoir tiré son épingle du jeu. Elle continue à subir la mondialisation sans parvenir à y trouver sa place.
La Conférence de Dakar devait permettre de se pencher sur l’état d’avancement des négociations commerciales au sein de l’OMC et d’évaluer le chemin qui reste à parcourir pour « maximiser les bienfaits tirés de la mondialisation ». Pour certains participants du Sud, l’objectif était aussi de contribuer à l’émergence d’une véritable position africaine afin que les intérêts du continent soient mieux pris en compte et mieux défendus lors des prochaines phases de négociation.
Résultat de cette approche pour le moins divergente : un dialogue à deux niveaux qui a eu du mal à aboutir à une vision commune tout au long des trois journées et malgré l’intérêt des ateliers. Car, comme l’a rappelé Éric Burgeat, responsable de la coopération avec les États non membres, « l’OCDE est avant tout une force de proposition qui permet d’alimenter et d’enrichir la réflexion des États membres » en mettant à leur disposition son vivier d’experts. Et en venant à Dakar, l’Organisation tenait à consulter les représentants africains et à aboutir à une synthèse consensuelle qui puisse refléter aussi fidèlement que possible leurs craintes ainsi que leurs attentes. L’occasion aussi de tenter de donner un nouveau souffle à un dialogue Nord-Sud qui bat gravement de l’aile. Donc, de concilier l’inconciliable tant les positions et les intérêts semblent éloignés.
En novembre 2001, à Doha, les pays riches – constatant que la majorité des pays membres de l’OMC étaient des pays moins avancés – avaient en effet pris l’engagement de placer les questions de développement « au centre de leur programme de travail ». Depuis, aucune avancée concrète n’a été enregistrée, bien au contraire.
Les négociations sur le volet agricole qui devaient être bouclées en mars dernier ont achoppé malgré les engagements pris dans la capitale du Qatar. L’épineuse question des subventions accordées par les pays développés – plus de 1 milliard de dollars par jour – a de nouveau été au centre des débats à Dakar. En vain. Illustrant l’incohérence des politiques menées au Nord, contre l’esprit même de la libéralisation que l’on tente d’imposer, les subventions cristallisent désormais une grande part des critiques des pays du Sud. Dans les rares domaines où l’Afrique peut disposer d’un avantage comparatif, des mesures injustes faussent les règles du jeu.
Éric Hazard, d’Enda Tiers Monde, organisation non gouvernementale basée à Dakar, a ainsi rappelé que « les intérêts de quelque 25 000 producteurs américains de coton – qui perçoivent plus de 3 milliards de dollars de subventions par an et peuvent ainsi se permettre de produire à perte – sont privilégiés par rapport aux 10 millions à 12 millions d’Africains qui tirent l’essentiel de leurs maigres revenus de cette ressource ». Il a ajouté que le coton est le seul produit pour lequel les producteurs africains sont réellement compétitifs et qu’il est inadmissible que les pays riches n’en tiennent pas compte.
Autre débat : le poids et le rôle des multinationales. Du côté africain, on s’est borné à rappeler que les exigences de ces dernières étaient loin de correspondre aux besoins des pays d’accueil, dont les capacités de négociation sont limitées. Du côté des représentants des pays développés, le discours était tout autre. Selon eux, l’accroissement de l’investissement étranger, notamment par le biais des multinationales, est porteur de retombées bénéfiques pour les pays d’accueil. Quelles que soient les exigences formulées par ces mêmes firmes, dont le chiffre d’affaires est un multiple du Produit intérieur brut (PIB) des pays dans lesquels elles investissent. Manière de signifier que les discours militants sur le rôle néfaste des grandes firmes mondiales n’était plus d’actualité et qu’au lieu de s’échiner à les décrier, mieux valait chercher à en tirer le maximum de retombées. « On veut nous imposer des choix qui ne sont pas les nôtres », reconnaissait un homme d’affaires sénégalais, furieux de voir les réalités des opérateurs privés africains largement occultées. « Affirmer aujourd’hui que l’investissement étranger est un passage obligé et qu’il contribue automatiquement au développement est pour le moins osé… »
Même son de cloche du côté du Malaisien Dato Jegathesan, expert auprès de l’Africa Asia Investment Technology Promotion Centre (AAITPC), qui a rappelé qu’il « est faux de vouloir faire croire aux pays africains qu’ils peuvent emprunter la même voie de développement que les pays asiatiques, fondée sur un afflux massif de capitaux étrangers : l’environnement économique mondial a changé et, sans protection, les économies africaines ne pourront jamais décoller faute d’un secteur privé digne de ce nom ». Comme nombre d’autres intervenants, il a insisté sur « l’importance du capital humain et la nécessité pour les pays du Sud de renforcer leurs systèmes d’éducation avant de prétendre inscrire leurs politiques économiques de développement dans la durée ». Un constat loin d’être nouveau, mais qui a le mérite de remettre de l’ordre dans les priorités africaines en ciblant l’une des principales entraves à une intégration réussie de l’Afrique dans l’économie mondiale.
Au-delà, une évolution notable a été confirmée à Dakar. Alors que les pays riches ont les yeux rivés sur Cancún, où ils veulent engager rapidement des négociations concernant un futur accord international sur l’investissement dans le cadre de l’OMC, les pays en développement demandent une pause dans le processus de libéralisation des échanges. Ils réclament au préalable le règlement de deux dossiers épineux – les questions agricoles ainsi que celles liées à la santé publique et l’accès aux médicaments génériques – pour lesquels la culture de consensus de l’OCDE ne s’est pas révélée (pour l’instant ?) concluante…

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