Fin d’une tragi-comédie judiciaire

Pourquoi l’homme d’affaires Salifou Camara est-il innocenté aujourd’hui des accusations de malversation qui l’avaient conduit hier en prison ?

Publié le 13 mai 2003 Lecture : 3 minutes.

La plus retentissante affaire financière qu’a connue la Guinée ces dernières années s’est terminée par un coup de théâtre. L’État a été purement et simplement débouté de ses poursuites dans le dossier des « timbres fiscaux ». Le 2 mai, le tribunal de première instance de Conakry a déclaré innocents l’homme d’affaires Salifou Camara, alias « Super V », ancien président de la Fédération guinéenne de football (Feguifoot), Karamokoba Camara, ancien directeur national du Trésor, et Younoussa Soumah, ex-chef de la division des titres et valeurs à la direction nationale du Trésor. Motif de la décision : l’agent judiciaire de l’État et le Comité national de lutte contre la corruption (CNLC) n’ont pas apporté la preuve des charges invoquées contre les personnes poursuivies.
Ainsi s’achève une « tragi-comédie » judiciaire qui a mobilisé l’opinion depuis plus de dix-huit mois, du fait de l’implication du très médiatique ex-patron de la Feguifoot, véritable icône pour la jeunesse guinéenne (voir J.A.I. n° 2166).
À la surprise générale, celui-ci, après avoir été cité dans des malversations financières par le CNLC, est placé en détention le 29 novembre 2001. Il lui est reproché d’avoir, en 1997, de connivence avec le ministre des Finances de l’époque, Ibrahima Kassory Fofana, écoulé et empoché les fruits de la vente de timbres fiscaux. Une malversation qui aurait occasionné à l’État un manque à gagner évalué à 11 milliards de francs guinéens (près de 3,5 milliards de F CFA).
Malgré les protestations de tout bord et les argumentations de ses avocats, Camara sera maintenu quatre mois en prison sans procès. Ouvert finalement le 28 mars 2002, celui-ci ira de renvoi en renvoi à la demande de la partie étatique. En dépit des nombreuses garanties fournies par le détenu, ses multiples demandes de libération conditionnelle seront rejetées.
Il faudra attendre le 19 août 2002 pour que le doyen des juges d’instruction du tribunal de première instance de Conakry lui accorde un non-lieu. Une décision qui aurait procédé directement de la volonté du président de la République. Lansana Conté se serait laissé convaincre par son ministre de la Justice de l’époque, Abou Camara, que Salifou Camara était victime de la cabale de certains membres du gouvernement. Ces derniers, dont le ministre des Sports Kader Sangaré, l’accusent d’avoir, à la suite de son limogeage arbitraire de la tête de la Feguifoot, poussé la Fédération internationale de football (Fifa) à suspendre la Guinée de toutes les compétitions internationales, le 2 mars 2001.
Mais si le président consent à la libération conditionnelle de Salifou Camara, il s’oppose à tout classement sans suite du dossier et exige qu’il soit conduit jusqu’au procès qui décidera, le cas échéant, de son innocence. Sur appel de l’agent judiciaire de l’État, la chambre des mises en accusation de la cour d’appel de Conakry annule l’ordonnance de non-lieu et renvoie l’affaire devant le tribunal de première instance pour y être rejugée. C’est chose faite depuis le 2 mai.
La relaxe définitive de Camara et de ses coprévenus a donné lieu à de nombreuses supputations. Une bonne partie de l’opinion guinéenne, qui n’a pas la naïveté de croire en l’indépendance soudaine de la justice vis-à-vis du pouvoir, l’interprète comme un autre signe de la volonté du régime (fragilisé depuis quelques mois par les incertitudes sur la santé du président) de jouer l’apaisement sur tous les fronts. D’autres ont lié cette décision à la nomination au poste de ministre de la Justice, le 16 avril, de Mamadou Sylla, un haut magistrat réputé intègre et attaché à l’application rigoureuse des textes.
L’avocat de la défense, Me Dinah Sampil, s’est réjoui de « la victoire du droit sur un montage qui choquait l’opinion publique par ses allures de règlement de comptes ». Nombre d’observateurs n’ont pas manqué de souligner, par la même occasion, un nouvel échec de la manoeuvre dirigée contre l’ex-tout-puissant ministre des Finances, Ibrahima Kassory Fofana, qui réside aux États-Unis depuis son limogeage du gouvernement, en janvier 2000.

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