Faut-il craindre le pire ?

Virus agressif, grande contagiosité, contamination facile… Même si les chiffres n’ont pour l’instant rien d’alarmant, l’infection par le syndrome respiratoire aigu sévère (sras) semble avoir un potentiel explosif. Mais tout dépendra de la capacité de la

Publié le 13 mai 2003 Lecture : 6 minutes.

En 2002, l’épidémie de sida a causé 3,1 millions de décès, le paludisme a fait 2 millions de morts et les maladies dues au tabac ont tué 4 millions de personnes. À la date du 6 mai 2003, l’épidémie du syndrome respiratoire aigu sévère (sras, également connu sous le nom de pneumonie atypique) était responsable de 478 décès pour 6 727 cas recensés dans 31 pays. À première vue, les chiffres ne semblent pas justifier le vent de panique qui souffle sur la planète.
Il faut cependant y regarder à deux fois et accepter que le principe de précaution soit érigé en valeur universelle. À l’heure actuelle, le taux de mortalité est estimé entre 6 % et 10 %. Mais il est supérieur à celui de la grippe espagnole de 1918-1919, qui était de 3 %. Or cette épidémie-là s’est répandue à une vitesse foudroyante et a tué plus de 20 millions de personnes en dix-huit mois.
Il faut agir, car tout indique que l’infection par le sras a un potentiel explosif. Le virus coupable a été identifié. Il est de la famille des coronavirus. Il est virulent, sa contagiosité est grande, la contamination facile, et l’on ne dispose pas de traitement sûr. Outre les pertes en vies humaines et même si, selon la Banque mondiale, la peur de la maladie provoque plus de dégâts que le fléau lui-même, ces dégâts sont déjà considérables (sur ces deux aspects de l’épidémie, voir pages suivantes).
Donc, tout est parti de Chine, peut-être de la petite ville de Shanglang (10 000 habitants), au bord de la rivière des Perles, à 10 kilomètres de Foshan (3 millions d’habitants). C’est là qu’un cuisinier aurait été infecté en dépeçant un pangolin, « mammifère couvert d’écailles et mangeur de fourmis, très prisé par les gourmets, car on lui prête des vertus anticancérigènes ». Et c’est ce cuisinier qui aurait contaminé la ville de Canton. Pour le docteur David Heymann, directeur du département de lutte contre les maladies transmissibles à l’Organisation mondiale de la santé (OMS), cette hypothèse que le germe du sras soit un virus animal qui aurait muté n’est pas « privilégiée pour le moment, même si l’agglomération des humains et des animaux dans le sud de l’Asie peut favoriser ce genre de phénomène ». Le phénomène – le transfert du virus de l’animal à l’homme – est bien connu : il porte le nom de « zoonose ».
Pangolin ou non, les premiers indices de la maladie remontent à novembre 2002, quand Klaus Stohr, directeur du programme antigrippe de l’OMS, apprend, lors d’une réunion de travail à Pékin, qu’il y a une épidémie de grippe anormalement grave dans le Guangdong. Les analyses semblent confirmer qu’il s’agit bien d’une grippe. Mais le 12 février 2003, les autorités du Guangdong signalent 305 cas de « pneumonie atypique ».
L’épidémie franchit rapidement les frontières. Le 21 février, un médecin chinois du Guangdong, le docteur Liu Jianlun, 63 ans, vient assister à un mariage au Metropole Hotel de Hongkong. Porteur de la maladie, il la transmet à une dizaine de personnes avec lesquelles il a été en contact. Il mourra le 4 mars. Hongkong est le foyer d’où irradiera la maladie vers Singapour, le Vietnam et l’Amérique du Nord.
Le 12 mars, l’OMS lance l’alerte sur la mystérieuse pneumonie atypique. Le 15 mars, son bureau de Genève apprend qu’un médecin de Singapour qui voyage à bord d’un appareil des Singapore Airlines a tous les symptômes de cette pneumopathie. Plus de 400 passagers appartenant à 15 pays sont menacés de contamination. À l’arrivée à Francfort, le médecin est aussitôt hospitalisé.
Mais au moment où l’OMS déclenchait une alerte mondiale, Pékin jouait l’antitransparence. Jusqu’au 26 mars, les autorités se sont refusées à admettre qu’il pouvait y avoir des cas de sras dans la capitale. La doctrine en Chine populaire est que le critère de la réussite n’est pas la santé publique, mais le taux de croissance. Il faudra attendre le 20 avril pour que l’ampleur de l’épidémie et la crise politique qu’elle a provoquée apparaissent au grand jour.
À la conférence de presse que devaient tenir le ministre de la Santé Zhang Wenkang et le maire de Pékin Meng Xuenong ne se montre que le vice-ministre de la Santé Gao Qiang. Zhang et Meng ont été limogés. C’est la première fois depuis la mise à l’écart du secrétaire général du Parti communiste Zhao Ziyang, après Tienanmen en 1989, que deux personnalités aussi importantes sont victimes d’une telle mesure pour incompétence. Gao reconnaît qu’il y a dans la capitale 339 cas de sras confirmés et 405 cas suspects.
L’opacité continue de régner au sujet de Shanghai : il faut protéger la réputation de la capitale financière et économique du pays. On avouait officiellement, fin avril, deux cas confirmés et quinze cas suspects, mais on laissait entendre qu’on allait peut-être adopter des normes de calcul internationales qui modifieraient ces chiffres. La maîtrise de l’épidémie est politiquement très importante pour le nouveau président Hu Jintao. Il y joue peut-être sa carrière. Son Premier ministre Wen Jiabao et lui ont nommé une femme à poigne, l’ancien ministre du Commerce Wu Yi, comme « commandant en chef » de la lutte contre l’épidémie. Ils ont admis que le sras « pouvait influencer la perception de la Chine par la communauté internationale ». Ils multiplient les visites médiatisées dans les hôpitaux. Conscients que le sacro-saint taux de croissance est menacé. Selon des économistes de l’américain Citigroup, il pourrait tomber cette année de 7,6 % à 6,5 %. Et l’ancien président Jiang Zemin est toujours là dans la coulisse. Il pourrait faire un mauvais sort à Hu si l’épidémie explosait et si l’économie s’effondrait. Le tout s’ajoutant à l’accusation implicite : le sras se serait-il ainsi propagé dans le monde si Pékin n’avait pas gardé le silence quatre mois sur les « pneumonies atypiques » du Guangdong ?
Pour la Chine, la partie est loin d’être gagnée. Le virus ne peut que se répandre dans les campagnes misérables où les infrastructures médicales et sécuritaires sont à l’abandon depuis vingt-cinq ans. La peur est là et les sujets à risque s’éparpillent. Ce n’est pas la politesse qu’a faite aux dirigeants de Pékin le Premier ministre français Jean-Pierre Raffarin, le 26 avril, qui peut arrêter le virus. Lucien Abenhaïm, directeur général français de la Santé, l’a souligné, le 29 avril, sur Europe 1 : « La seule préoccupation vraiment sérieuse, actuellement, c’est la Chine. »
En France, cinq cas ont été signalés jusqu’à fin avril, tous liés à Hanoi, où l’équipe du Samu a réussi à endiguer l’épidémie, mais où est mort un médecin français, le docteur Huu Boï. On a parlé de deux autres, début mai. Aucun décès. Raffarin refuse la psychose et il s’est mis d’accord avec les chefs d’entreprise qui l’accompagnaient à Pékin pour empêcher toute mesure d’ostracisme à l’égard de leurs salariés ou de leurs familles revenant d’un pays affecté par le sras. Ce n’est pas inutile.
En dehors de l’Asie, le pays le plus touché est le Canada : 148 malades et 22 morts à la date du 6 mai, selon l’OMS. Comment le virus a-t-il pu franchir le Pacifique ? L’hebdomadaire américain Time raconte : il a suffi d’un cas. L’origine remonte aux dix jours qu’ont passés à Hongkong, à partir du 13 février, deux habitants de Toronto, Kwan Sui-chu, 78 ans, et son mari. Ils ont dormi une nuit au Metropole Hotel et croisé un néphrologue chinois à la retraite, du nom de Liu Jianlun, atteint du sras. À son retour, avant de mourir, le 5 mars, Kwan a transmis la maladie à son fils, Tsé, et à d’autres membres de la famille. Le sras est encore une maladie inconnue, et Tsé, transporté au Scarborough Grace Hospital, n’est pas isolé. Il contamine ses deux voisins de la salle d’observation, Joseph Pollack, 76 ans, qui avait un problème cardiaque, et M.D., 77 ans. Le sras ne devait être diagnostiqué que la veille de la mort de ce dernier, le 28 mars. Entre-temps, M.D. a été transféré dans un autre hôpital, le York Central, ce qui, disent les autorités canadiennes, fut l’une des « plus graves erreurs » des premiers temps de l’épidémie.
Pollack a été retrouvé, lui aussi, mais il avait eu le temps de contaminer son épouse, Rose, 73 ans, et leurs deux fils. Le sras devait les emporter, l’un et l’autre, mais Rose avait assisté à une séance collective avec un groupe de prière catholique philippin, les Brikas-Loob Sa Diyos, et avait contaminé trente participants. Ainsi vont les épidémies.
En l’absence de nouveaux cas depuis vingt jours dans l’Ontario, l’OMS a retiré, fin avril, sa suggestion d’éviter Toronto. Le 1er mai, on signalait deux nouveaux décès parmi les malades hospitalisés.
Le sras risque-t-il de devenir une nouvelle maladie endémique, une peste des temps modernes ? L’avenir se joue en Chine.

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