Embarras au sommet

Contrairement aux populations, peu de gouvernements africains ont réagi à la nouvelle politique française en matière d’entrée et de séjour des étrangers.

Publié le 12 mai 2003 Lecture : 3 minutes.

D’ordinaire, un ministre de la République ne se déplace pas pour des clandestins refoulés. Pourtant, le 23 avril 2003, c’est Mamadou Niang, le ministre sénégalais de l’Intérieur en personne, qui est venu accueillir à leur descente d’avion les expulsés sénégalais en provenance de la zone d’attente de l’aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle. Ils étaient accompagnés de vingt policiers sénégalais partis de Dakar la veille par les lignes régulières, tous frais (billets d’avion et per diem variant entre 50 000 F CFA et 120 000 F CFA selon le grade) intégralement pris en charge par l’État sénégalais. Le président Abdoulaye Wade tient ainsi parole, qui expliquait quelques jours plus tôt que, si on doit rapatrier des Sénégalais en situation illégale, qu’ils ne voyagent pas dans des conditions inhumaines.
Dans une interview au quotidien français La Croix, le 10 avril, il avait été clair : « Je trouve que la France ne traite pas bien mes concitoyens en situation irrégulière. Ce ne sont pas des voyous. Ils veulent seulement chercher du travail. Je n’accepte pas qu’ils soient ramenés au pays par charters, comme du bétail. » Le numéro un sénégalais, qui, lors de son séjour à Paris à la mi-avril, avait reçu le ministre de l’Intérieur français Nicolas Sarkozy, lui avait proposé que des policiers sénégalais viennent eux-mêmes s’occuper du rapatriement de leurs compatriotes frappés d’une mesure d’expulsion. Mais, précise le chef de la diplomatie sénégalaise Cheikh Tidiane Gadio, « contrairement à ce qui a été dit, aucun accord n’a été conclu entre les deux gouvernements. La décision du président Wade ne concerne pas les sans-papiers sénégalais déjà établis en France, mais seulement ceux qui n’ont pas pu entrer sur le territoire. »
N’empêche, l’affaire du charter a fait grand bruit à Dakar. Assez pour que le gouvernement ne souhaite pas que pareil scénario se répète trop souvent. Et que, pendant quelques jours, on prête à Dakar d’avoir pris la décision d’expulser à son tour des ressortissants français sans papiers. Vérification faite, il n’y eut rien de tel. Mais la rumeur traduisait au moins le souhait diffus dans la population de voir les autorités sénégalaises prendre de telles mesures de rétorsion. Parce que pour elle, le retour de ses compatriotes est synonyme de honte. De fait, ils étaient un certain nombre parmi les refoulés à se dissimuler le visage. Partis pour la plupart dans l’anonymat, ils auraient payé n’importe quoi pour rentrer incognito au pays. Et certains parents ou de simples badauds ont laissé exploser leur colère à l’aéroport, proférant des noms d’oiseaux à l’endroit des autorités françaises. Tandis que les propos de Mamadou Niang n’y faisaient rien, qui déclarait : « Quel que soit le pays, quelle que soit la nationalité des personnes, dès lors qu’elles ne sont pas admises au Sénégal, je les expulse. »
Rodomontade ? Une seule certitude : le Sénégal n’entend pas croiser le fer avec les Français sur ce dossier. Ni d’ailleurs la Côte d’Ivoire et le Mali, deux autres pays concernés par ces mesures d’expulsion. Le président malien Amadou Toumani Touré (ATT), en visite en France en octobre 2002, avait été d’ailleurs interpellé par ses compatriotes sur cette question… qui a quelque peu empoisonné les relations entre les deux pays. Au point que le ministre de l’Intérieur Nicolas Sarkozy a reçu un accueil pour le moins froid lors de sa visite au Mali, début février 2003. On a alors prêté à ATT, qui s’était déplacé au dernier moment en Guinée-Bissau pour ne recevoir, le lendemain, Sarkozy qu’une demi-heure, d’avoir ainsi manifesté sa désapprobation de tout ou partie de la politique de Paris en matière d’immigration. Le ministre français ne devait pas d’ailleurs avoir droit, comme de coutume, au bélier blanc que l’on offre aux hôtes de marque.
En Côte d’Ivoire, où l’issue de la crise qui frappe le pays depuis le 19 septembre 2002 demeure incertaine, un proche du président Gbagbo explique, désabusé, « que cette affaire d’expulsés vient se greffer à un ensemble de problèmes que nous rencontrons avec la France. Lorsque la situation sera redevenue normale, nous envisageons d’appliquer la réciprocité sur bien des points. » Lesquels ? Motus et bouche cousue.

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