Cameroun – François Nkémé : « Nous devons faire de nos auteurs des stars »
La littérature camerounaise peut-elle profiter du succès de l’écrivaine Djaïli Amadou Amal ? Le premier éditeur de la finaliste du prix Goncourt 2020 veut croire qu’une renaissance est possible dans son pays.
Quatre ans après la première publication du roman Les Impatientes de l’écrivaine Djaïli Amadou Amal, finaliste du prix Goncourt et vainqueur du Goncourt des lycéens 2020, François Nkémé savoure encore un succès inattendu. En 2017, ce sont les éditions Proximité, la maison qu’il a créée en 2002, qui faisaient découvrir pour la première fois ce roman sous le titre Munyal, les larmes de la patience.
Après la réédition de l’œuvre en France par les éditions Emmanuelle Colas en 2019, l’auteure obtient une série de distinctions. Depuis, près de 10 000 exemplaires de ce roman ont été vendus sur le continent, où Proximité a gardé les droits de diffusion.
Jeune Afrique : Pourquoi avez-vous créé votre propre maison d’édition en 2002 ?
François Nkémé : Nous avons créé cette maison pour permettre aux auteurs locaux de se faire éditer. Au Cameroun, avant les années 2000, les quelques maisons d’édition qui existaient étaient principalement réservées aux manuels universitaires, à l’exception notable des éditions Clés. Il y avait donc un besoin fort pour une maison centrée sur la littérature, qui soit proche des auteurs camerounais. C’est la raison pour laquelle notre maison s’appelle Proximité.
Il y avait un besoin fort pour une maison centrée sur la littérature, qui soit proche des auteurs camerounais
Dans le même temps, nous souhaitions aussi nous ouvrir au monde et proposer au Cameroun des ouvrages qui rencontrent le succès ailleurs. C’est la raison pour laquelle nous avons rejoint l’Alliance internationale des éditeurs indépendants qui dirige la collection « Terres solidaires ». Par ce biais, nous avons pu republier des auteurs camerounais comme Mongo Beti, Leonora Miano, Mutt-Lon, dont les livres avaient déjà été publiés en France avec un certain succès.
Publier des romans, c’est une activité rentable ?
La question ne doit pas être regardée uniquement sous l’angle économique. Publier de la littérature en Afrique, c’est avant tout une question de passion. Les dimensions sociales et culturelles de notre travail sont aussi très importantes. Cela dit, ceux qui publient des livres scolaires s’en sortent car c’est un marché sûr. Ce n’est pas forcément le cas pour nous qui sommes spécialisés en littérature (poésie, fiction…). L’équilibre financier est plus précaire. Pour gagner en rentabilité, nous devons être très exigeants sur la qualité des ouvrages et surtout améliorer leur distribution.
Dans ce contexte, vos auteurs parviennent-ils à vivre de leur travail ?
Ce n’est pas propre à l’Afrique, mais si l’éditeur ne fait pas assez de profit, il lui est difficile d’offrir aux auteurs suffisamment pour vivre de leur plume. Dans le monde, finalement rares sont les écrivains qui y parviennent. Au Cameroun, les ventes restent limitées. On pourrait les augmenter si nos titres étaient aussi achetés par les réseaux de bibliothèques scolaires et communales. Cela nous permettrait de faire passer certains de nos tirages de 1000 exemplaires à 10 000, voire plus et ainsi baisser nos coûts, mais aussi le prix des livres pour les rendre plus accessible. Il y a du travail à faire.
Les livres restent-ils trop chers pour la plupart des Camerounais ?
Absolument. Les prix sont une énorme barrière. Mais grâce à l’Alliance internationale des éditeurs indépendant et sa collection Terres solidaires, nous avons pu vendre des romans, théoriquement affichés à 15 000 ou 20 000 F CFA, entre 2500 et 3000 F CFA tels que La saison de l’ombre de Leonora Miano.
Vous avez découvert Djaïli Amadou Amal, mais il a fallu attendre qu’elle soit distinguée en France pour qu’elle connaisse aussi le succès au Cameroun. Comment faire émerger les auteurs africains ?
Il faudrait qu’il y ait une tradition de prix littéraires et que les médias et le grand public les prennent au sérieux. Combien de programmes littéraires avons-nous sur nos petits écrans ? Regardez comment la musique est diffusée sur toutes les chaines de télé et à longueur de journée. Nous devons travailler à faire de nos auteurs des valeurs, des stars. C’est vraiment dommage qu’Amal gagne le prix Goncourt des lycéens avant de pouvoir se faire connaitre dans son pays où pourtant elle écrit depuis dix ans.
Nos institutions littéraires ne fonctionnent pas bien. On a tous intérêt à se mobiliser pour cette cause. Ailleurs, on a compris l’importance du livre. Ici, nous attendons toujours le soutien dont ce secteur a besoin
Il y a un basculement vers le numérique. Les éditeurs doivent suivre le mouvement sous peine d’en subir les conséquences
Quel est l’impact des nouvelles technologies sur l’univers de l’édition ?
La mutation est irréversible. Notre génération était celle du papier, mais actuellement il y a un basculement vers le numérique. Les éditeurs doivent suivre le mouvement sous peine d’en subir les conséquences. En Afrique, nous traînons encore un peu, mais la plupart des éditeurs ont le minimum : des sites web, les livres sont diffusés sur des plateformes telles que Newslack…
Il subsiste cependant encore des obstacles comme, par exemple, le fait de pouvoir vendre nos livres à l’étranger et ensuite de rapatrier les fonds au Cameroun sur un compte local. Le système bancaire doit s’adapter. Localement, l’usage des comptes mobiles peut également doper les ventes, mais là aussi il faut davantage sécuriser ces transactions pour éviter le piratage.
Comment se passe la cohabitation entre éditeurs étrangers et locaux au Camerounais ?
Dans le domaine de la littérature, le marché reste très ouvert et les éditeurs étrangers ne font pas d’ombre aux locaux. La situation est très différente pour les livres scolaires. Le problème est que dans la plupart des pays africains, ce sont ces ouvrages qui soutiennent l’industrie du livre. Quand les éditeurs étrangers prennent 70 ou 80% du marché, sans jamais publier de littérature, ils empêchent les auteurs locaux de trouver leur public. C’est ce type de concurrents que nous ne voulons plus voir et nous devons nous faire entendre sur ces questions.
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