Vers un nouveau partenariat avec l’Afrique

Sans tradition coloniale, le Canada est décidé à mettre l’accent sur l’éducation, la santé et la sécurité alimentaire dans sa collaboration avec le continent. Le pays veut aussi investir dans les infrastructures, les mines, les nouvelles technologies de l

Publié le 13 avril 2004 Lecture : 9 minutes.

Le nouveau Premier ministre canadien Paul Martin poursuivra-t-il la politique africaine de son prédécesseur ? Jean Chrétien, libéral lui aussi, avait impulsé vers la fin de son mandat une politique volontariste en direction du continent. Paul Martin, à la tête du gouvernement depuis décembre 2003, n’a en tout cas pas tardé à initier une évolution de la politique étrangère de son pays, mettant en tête de ses priorités le renforcement du rôle du Canada sur la scène internationale, et surtout l’amélioration des relations avec Washington, mises à mal par le refus du précédent gouvernement de participer à la guerre contre l’Irak. Ainsi le Canada vient-il d’envoyer 450 soldats en Haïti, aux côtés des troupes américaines, françaises et chiliennes, et a promis d’augmenter les crédits militaires, frappés par la rigueur budgétaire imposée par Martin lui-même au cours des années 1990. Une façon d’affirmer la présence canadienne dans la guerre contre le terrorisme ? Probablement. Paul Martin s’est par ailleurs dit prêt à participer au projet de bouclier antimissile nord-américain cher à George W. Bush.
Il faudra toutefois savoir concilier cette nouvelle approche avec la traditionnelle politique canadienne de soutien à la paix dans le monde. Déjà, dans les années 1950, le Premier ministre Lester B. Pearson inventait le concept des Casques bleus et le pays s’est depuis illustré dans la plupart des opérations des Nations unies.
En Afrique, une poignée de soldats sont présents au Congo-Brazzaville, et le Canada participe aux négociations pour un accord de paix au Soudan. Par ailleurs, l’État nord-américain a annoncé, début mars, qu’il porterait à 3,5 millions de dollars canadiens (2,14 millions d’euros) sa contribution au Tribunal spécial pour la Sierra Leone. L’an passé, il a engagé un programme de 20 millions de dollars (12,2 millions d’euros) pour renforcer les capacités de maintien de la paix de l’Union africaine et de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao).
Les Canadiens intensifient leur soutien au continent depuis la mise en place du Nouveau Partenariat pour le développement de l’Afrique (Nepad). « En créant le Nepad, les Africains ont montré qu’ils prenaient leur destinée en main », explique Louise Ouimet, ambassadrice du Canada au Mali. À l’époque de sa conception, Jean Chrétien déclarait : « Le XXIe siècle appartient à l’Afrique », et mettait tout son poids dans la balance pour que le continent reste l’ordre du jour principal du sommet du G8 de juin 2002 à Kananaskis, tandis que Washington souhaitait discuter essentiellement de lutte contre le terrorisme. Quelques mois plus tard un Plan d’action pour l’Afrique était élaboré, et Chrétien allouait 500 millions de dollars (305,25 millions d’euros) à la mise en place d’un Fonds canadien pour l’Afrique, promettant aussi une hausse annuelle de 8 % du budget de la coopération, dont la moitié pour le continent.
Après les coupes budgétaires à répétition des années 1990, l’aide publique au développement (APD) canadienne a atteint son plus bas niveau en 1997 avec 2,5 milliards de dollars (1,53 milliard d’euros, soit 0,3 % du PNB), avant de remonter à 2,9 milliards de dollars (1,77 milliard d’euros, 0,27 % du PNB) en 2002, mais reste toujours inférieure aux 3,1 milliards de dollars (1,89 milliard d’euros, 0,49 % du PNB) du budget de 1991. Les derniers chiffres de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) sur le ratio APD/PNB classent le Canada au 19e rang mondial, loin derrière le Danemark, qui se classe premier avec une APD égale à 1,03 % de son PNB, et la France, cinquième avec 0,32 %.
Pays peu prodigue en matière d’APD, le Canada a donc décidé de renforcer la visibilité de sa coopération, en concentrant son action sur neuf pays cibles. Choisis selon plusieurs critères – pauvreté, engagement dans l’amélioration de la gouvernance, rôle du pays dans la région… -, six de ces pays se trouvent en Afrique : le Mali, le Sénégal, le Ghana, l’Éthiopie, la Tanzanie et le Mozambique. Ce qui n’empêche pas l’Agence canadienne de développement international (ACDI), qui gère 80 % des budgets de coopération, de continuer pour l’heure à financer des projets dans 50 des 53 pays du continent.
Deuxième effort de visibilité, le remplacement progressif, à l’instar de plusieurs pays occidentaux, de « l’aide projet », dont la réalisation passe souvent par des agences d’exécution du pays donateur – ainsi en 1999, sur 1 dollar d’aide versé, 70 cents retournaient au Canada -, par une aide budgétaire directement versée dans les comptes de l’État bénéficiaire. Cette aide, plus visible politiquement, est-elle pour autant plus efficace ? Oui, car elle évite au pays bénéficiaire de composer avec les différentes méthodes d’intervention des multiples bailleurs de fonds. Non, car en transitant par les circuits administratifs elle tarde à atteindre la population. Certains États pauvres en moyens humains peinent également à gérer l’afflux de financements. D’autant que, selon les chiffres de l’OCDE, les six pays africains élus par le Canada, à l’exception du Mali, font déjà partie des dix premiers bénéficiaires de l’aide internationale octroyée à l’Afrique en 2001.
Pour clarifier sa politique de coopération, le Canada choisit aussi de caler ses axes d’intervention sur les « objectifs de développement du millénaire » des Nations unies, qui font de l’éducation, de la santé et de la sécurité alimentaire des priorités. L’appui à ces secteurs représente ainsi 48 % de l’aide canadienne. Au Mali et au Mozambique, plus de la moitié du budget de la Coopération est consacré à la santé et à l’éducation. Dans le cadre du Fonds canadien pour l’Afrique, 100 millions de dollars (61,06 millions d’euros) sont alloués à la recherche agricole et à la gestion des ressources en eau, une somme identique à la lutte contre le sida et la poliomyélite, et 10,5 millions de dollars canadiens pour la rougeole. Un autre partenariat de 100 millions de dollars canadiens vient par ailleurs d’être débloqué avec la Fondation Clinton pour lutter contre le VIH en Afrique australe, dont 35 millions de dollars (21,37 millions d’euros) devraient être engagés au Mozambique et en Tanzanie dans les prochaines semaines. Au Mozambique, explique Laurent Charrette, directeur de la coopération canadienne à Maputo, le défi consiste à stabiliser le taux d’infection, relativement bas pour la région (13,3 %, à comparer par exemple aux 36 % du Botswana). « Mais c’est une lutte qui est loin d’être gagnée. L’année passée, ce taux était de 12 % », indique-t-il.
Quatrième effort de visibilité : le soutien aux thèmes politiquement corrects du renforcement de la gouvernance, de l’État de droit et de l’égalité des sexes, bon moyen de renforcer l’image vertueuse du pays. Le Canada est d’ailleurs l’un des rares pays à préférer le terme « droits de la personne » à celui de « droits de l’homme » et à avoir intégré depuis vingt ans l’approche « genre » à tous ses projets. En Tanzanie par exemple, plus d’un millier de femmes ont été formées par l’ACDI à prendre davantage de responsabilités dans les affaires publiques.
Le Canada s’engage aussi dans des actions à haute valeur symbolique, telles que l’élaboration d’une loi sur les médicaments génériques (voir encadré p. 32) ou la lutte contre les mines antipersonnel que l’on compte par millions sur le continent. Le pays a d’ailleurs joué un rôle leader dans ce combat qui a abouti, en 1997, à la signature de la convention d’Ottawa.
Enfin, de nombreuses universités canadiennes développent des partenariats avec des universités africaines : au moins une vingtaine d’entre elles ont des programmes d’échanges d’élèves et/ou de professeurs, et de collaboration scientifique avec l’Afrique. Certaines, comme l’université de Sherbrooke, ont même délocalisé la délivrance de certains de leurs diplômes. Jumelée avec une école de gestion privée à Casablanca, Sherbrooke décerne ainsi un MBA au Maroc pour 115 000 dirhams (10 500 euros) la formation. Le gouvernement encourage cette politique ambitieuse en délivrant plus de deux mille bourses par an à des étudiants africains, dont la moitié viennent étudier au Canada. À celles-ci s’ajoute la centaine de bourses d’excellence accordées chaque année par le Commonwealth et l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) pour aller étudier au Canada.
Les Canadiens misent aussi sur le développement des nouvelles technologies de la communication. Ils veulent réduire la « fracture numérique » et travaillent dans ce sens auprès de plusieurs pays, comme le Mozambique et l’Ouganda. Le projet Connectivité Afrique a mis en place une formation en informatique sur deux ans, à destination de jeunes diplômés désireux de créer leur entreprise. Le secteur de l’informatique est d’autant plus porteur que les privés canadiens bénéficient d’une bonne expertise en la matière, et investissent donc largement le domaine. Au Mali par exemple, Experco, une filiale du groupe HBA, a été créée en 1997. La société, spécialisée en fourniture de logiciels, conseil et maintenance informatique, enregistre de bons résultats : son chiffre d’affaires est passé de 300 millions de F CFA (460 000 euros) en 1998 à plus de 1 milliard (1,53 million d’euros) en 2003. Experco développe désormais ses activités dans les pays voisins, notamment au Burkina Faso.
Néanmoins, le continent africain reste pour l’instant un partenaire commercial mineur, hormis dans le secteur des mines et des hydrocarbures (voir article « Économie »). Le Canada réalise l’essentiel de son commerce avec les États-Unis, qui représentent 87,7 % des exportations et 62,6 % des importations du pays. Les exportations de biens vers l’Afrique, principalement du blé et des vêtements de seconde main, restent faibles (0,4 % des exportations totales), tout comme les importations, essentiellement des hydrocarbures et des produits agricoles, qui représentent 1,3 % des importations totales. En revanche, les investissements directs progressent. En 1990, le Canada investissait à peine 268 millions de dollars (163,5 millions d’euros) en Afrique, contre 3,5 milliards (2,14 milliards d’euros) en 2002.
Le gouvernement a d’ailleurs décidé de soutenir plus fermement l’investissement en Afrique. Désormais, 30 % du budget de la coopération canadienne y sont consacrés, et deux programmes appuient les entrepreneurs : d’une part celui de coopération industrielle, qui soutient actuellement soixante-dix initiatives du secteur privé en Afrique par le financement d’études de faisabilité et la prise en charge de coûts de formation du personnel local ; d’autre part le Fonds d’investissement pour l’Afrique, qui s’élève à 200 millions de dollars (122 millions d’euros), alimenté pour moitié par le secteur privé et qui, selon l’ACDI, devrait être opérationnel d’ici à l’été 2004.
L’organisation, par le gouvernement, de missions commerciales au Maroc et en Algérie en 2000, puis au Sénégal, au Nigeria et en Afrique du Sud en 2002, a aussi permis de stimuler les échanges avec ces pays. D’ici à quelques semaines, une autre mission devrait se rendre au Mozambique. Selon le directeur de l’ACDI à Maputo, Laurent Charrette, le pays est prometteur : « On voit les premières entreprises américaines arriver, c’est bon signe, cela veut dire que les Canadiens ne vont pas tarder. »
Le profil de businessman du Premier ministre Paul Martin et son goût pour l’économie pourraient enfin servir le développement du commerce avec l’Afrique. Ancien ministre des Finances (de 1993 à 2003) rigoriste mais talentueux – l’année 1998 restera dans les annales comme la première année d’équilibre après vingt-sept ans de déficit du budget fédéral -, Paul Martin est aussi un homme du privé qui s’est bâti une jolie fortune dans le transport maritime avant de se lancer en politique. De tels atouts pourraient l’inciter à donner un ton nouveau à la coopération canadienne, d’autant que le chef du gouvernement est aussi coprésident, aux côtés de l’ancien président mexicain Ernesto Zedillo, de la commission de l’ONU pour le secteur privé et le développement.
Qu’il s’agisse de politique commerciale ou de politique générale, le Canada bénéficie enfin d’un atout de taille : son bilinguisme. Membre du Commonwealth, le Canada appartient parallèlement à l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), où il se montre particulièrement actif. Le ministre Denis Coderre n’a pas manqué de déclarer, à l’occasion de la Journée internationale du 20 mars dédiée aux pays qui ont le français en partage, qu’« il était temps de parler de Francophonie politique », plaidant pour « qu’il y ait des troupes africaines francophones en Haïti ». Le Canada n’a pas l’influence des États-Unis, et le fait qu’il soit exempt d’un passé de colonisateur est une arme à double tranchant, car si les Canadiens bénéficient d’une image neuve sur le continent, ils disposent aussi de moins de réseaux que d’autres. La Francophonie est à ce titre un précieux outil, qui leur permet de disputer aux Français leur « pré carré » en Afrique.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires