Réparer l’irréparable

Le docteur Pierre Foldès a mis au point, il y a plus de vingt ans, une technique opératoire qui permet de reconstituer les sexes excisés.

Publié le 13 avril 2004 Lecture : 3 minutes.

Le docteur Foldès est un homme pressé. Entre ses consultations d’urologie, ses interventions bénévoles pour réparer les sexes excisés, et ses cinq enfants, il ne lui reste plus beaucoup de temps libre. Mais comment faire autrement que d’étirer au maximum ses journées de travail, aussi bien à l’hôpital ou à la clinique Louis-XIV de Saint-Germain-en-Laye, en région parisienne, quand le nombre d’Africaines réclamant la reconstitution de leur clitoris ne cesse d’augmenter ?
Aujourd’hui, il est le seul au monde à pratiquer cette opération chirurgicale. Rien d’étonnant a priori puisque c’est lui qui a mis au point cette technique. Ce qui est en revanche plus surprenant, c’est que depuis vingt-quatre ans – date de sa première intervention – aucun médecin n’a souhaité collaborer avec lui. Par manque de courage ? « Peut-être, répond évasivement le chirurgien de 51 ans. Il est vrai que je reçois régulièrement des menaces. Mais avec mon passé dans l’humanitaire, j’y suis habitué. »
À peine son diplôme de chirurgien urologue en poche, à 27 ans, Pierre Foldès s’en va parcourir le monde. D’abord en Inde, auprès de mère Teresa, puis, avec Médecins du monde, en Afrique, en Asie du Sud-Est, en Afghanistan… Au début des années 1980, un rapport de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) alerte la communauté internationale sur la forte mortalité des Africaines lors des accouchements. Sur le terrain, il constate effectivement les nombreux déchirements du vagin, infections gynécologiques, fistules vésico-vaginales (une déchirure qui relie la vessie au vagin) qui s’avèrent parfois fatales… L’excision en est souvent la cause première. Les quelque 130 millions de femmes et de fillettes africaines excisées ne succombent pas toutes à cette pratique ancestrale, encore en vigueur dans près de vingt-six pays du continent. « Mais toutes en souffrent », constate l’urologue.
C’est pour calmer cette douleur que Pierre Foldès a réfléchi au traitement de l’excision. « Alors que j’étais au Burkina, une jeune femme s’est plainte de douleurs aiguës et m’a demandé de la guérir. En tant que médecin, il me fallait répondre à la demande simple et légitime d’une patiente : soigner une blessure. J’ai essayé de ne pas entrer dans le débat philosophique de l’excision », précise en préambule le médecin, avant de relater son travail de recherche. « Je suis parti de zéro. Il n’y avait pas d’études sur le clitoris. La communauté scientifique avait totalement occulté le sexe féminin. En revanche, on savait tout sur la verge depuis deux siècles, note amèrement le docteur Foldès. Et finalement, le clitoris n’est pas si différent de la verge. »
Cet organe féminin, source de plaisir, mesure une dizaine de centimètres de longueur. Lors de l’excision, c’est la partie externe qui est sectionnée. L’opération consiste à inciser la cicatrice de manière à découvrir, sous le bassin, le reste du clitoris, qui est lui toujours innervé. L’acte chirurgical dure un peu moins d’une heure et se fait sous anesthésie générale « afin de ne pas réveiller le souvenir de l’excision ou de l’infibulation chez la patiente », précise le médecin.
Le docteur Foldès a dans un premier temps pratiqué l’opération en Afrique. Les menaces de plus en plus violentes dont il a fait l’objet l’ont poussé à quitter le continent. C’est donc en France qu’il répare gratuitement, chaque semaine, les sexes d’une dizaine de femmes. La plupart sont des Africaines résidant dans l’Hexagone, mais de plus en plus de patientes viennent directement de Côte d’Ivoire, du Mali, du Niger, du Sénégal, du Burkina ou encore d’Afrique de l’Est. Elles ne restent qu’une journée à l’hôpital puis reviennent ensuite consulter le médecin qui vérifie que la convalescence se déroule au mieux. « Normalement, au bout de deux semaines, la cicatrisation est achevée. Le clitoris prend son aspect normal environ un mois et demi après l’intervention. En revanche, les sensations mettent plus de temps, c’est-à-dire plusieurs mois, à renaître », explique le chirurgien.
À présent, le docteur Foldès envisage de mobiliser les médecins africains : « Il me semblait dans un premier temps important de mettre au point cette technique, à l’abri des pressions, avant de passer la main. Aujourd’hui, non seulement le savoir-faire est transmissible mais en plus la technique est peu coûteuse ». Seul, le chirurgien français ne parvient plus à faire face aux demandes de plus en plus nombreuses et pressées. « Les revendications émergent de façon brutale, comme si maintenant qu’elles ont conscience que leur situation n’est pas irrémédiable, les femmes exigeaient d’être libérées du poids de l’excision dans l’immédiat, sans attendre », observe le docteur Foldès.

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