Par le trou de la serrure

Quand une jeune Maghrébine raconte ses aventures sexuelles en se cachant derrière un pseudonyme, cela donne un best-seller.

Publié le 13 avril 2004 Lecture : 3 minutes.

La littérature érotique est un genre difficile. Mais elle a un avantage indéniable : le premier auteur venu, même dénué de la moindre once de talent, peut espérer vendre des milliers d’exemplaires. L’Amande, de Nedjma, n’échappe pas à la règle. Sorti le 4 mars aux éditions Plon, le roman a atteint en un mois la quatrième place dans le classement des ventes de livres en France, selon l’hebdomadaire Livres Hebdo. Rien d’étonnant : tous les ingrédients ont été savamment réunis pour que la sauce prenne. Un peu d’exotisme, d’abord. Le livre aurait été écrit par une Africaine du Nord – vraisemblablement marocaine. Ou plutôt, si l’on en croit la quatrième de couverture, « une jeune femme arabe » âgée « d’une quarantaine d’années », résolument opposée au port du voile… mais qui se cache quand même derrière un pseudonyme. Une pincée de mystère autour de l’auteur, qui est apparue en flou sur les plateaux de télévision français dans Tout le monde en parle et Merci pour l’info, cela ne peut pas faire de mal. Passons sur le danger de fatwa ou, pis, de « lynchage » – selon son éditeur Olivier Orban – encouru par la téméraire romancière qui publie son ouvrage dans un pays réputé extrêmement peu respectueux de la liberté d’expression, la France. Attention, il y a de la censure dans l’air !
Mais l’ingrédient principal de cette miraculeuse sauce marketing, cela va de soi, c’est le sexe. La couverture du livre met en appétit : une porte s’ouvre sur les sulfureux mystères de l’Orient, un trou de serrure prometteur aguiche le lecteur voyeur… Qui regrettera sans doute ses 18 euros, car pour 13 euros de moins, il aurait pu s’acheter l’excellent Vénus Erotica, d’Anaïs Nin, paru au Livre de poche, ou bien encore l’incomparable et anonyme Correspondance d’une bourgeoise avertie pour témoigner de l’évolution amoureuse de son siècle (Le Pré aux Clercs). Et, dans ces livres, il aurait pu trouver autre chose que les clichés alignés les uns à la suite des autres par Nedjma.
Avec un clitoris qui « pointe le bout du nez, dégagé, telle une langue de feu », un « membre dépassant en force et en taille ceux que j’avais vus auparavant » et des bourses « petites et dures, ramassées en une contraction de plaisir évidente », le tout dans une atmosphère qui sent « le Chanel N° 5 et l’orgasme féminin », difficile d’éprouver le moindre plaisir – sensuel ou littéraire – à la lecture de L’Amande. Transgression ? Subversion ? Allons donc, pas de quoi faire rougir une adolescente. Et on ne s’appesantira ni sur l’intrigue, insignifiante, ni sur les personnages, superficiels, ni sur les références culturelles, prétentieuses et sans saveur.
Pour résumer, la narratrice Badra bent Salah ben Hassan el-Fergani raconte sa découverte du plaisir sexuel et de l’amour dans un pays où règnent en maîtres les tabous entourant les plaisirs du corps, où les femmes sont condamnées au silence, où la parole leur est « confisquée par leurs pères, frères, époux ». Certes, les auteurs africains qui osent aborder le thème de la sexualité ne sont pas légion, certes il existe des sociétés terriblement machistes, certes jouir de son corps n’est pas toujours bien vu, mais le courroux, la colère, la révolte ne suffisent pas pour écrire de bons livres. Un brin d’humanité, un peu de respect pour ses personnages, beaucoup de franchise peuvent se révéler utiles.
« À travers ces lignes où se mêlent sperme et prière, j’ai tenté d’abattre les cloisons qui séparent aujourd’hui le céleste du terrestre, le corps de l’âme, le mystique de l’érotisme », a cru bon de préciser Nedjma en prologue : l’échec est à la hauteur des prétentions. Peut-être parce qu’au départ le calcul l’a emporté sur la spontanéité. Si le roman n’est ni fait ni à faire, la recette éditoriale a fonctionné et les droits de cession auraient déjà rapporté plus de 500 000 euros. C’est beaucoup pour un « récit intime » dont seule la dernière phrase mérite d’être sauvée : « Devant les péchés d’une femme, les anges sont des hommes comme les autres. »

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