[Série] Angelica Pesarini, de mères en filles (5/5)

« Afro-Italiens : génération consciente » (5/5). Angelica Pesarini, sociologue issue d’une famille italo-somalo-érythréenne, nourrit une réflexion passionnante sur les effets mutilants du pouvoir masculin et colonial dans la relation entre les mères noires et leurs filles métisses.

Angelica Pesarini © Niccolo Rastrelli

Angelica Pesarini © Niccolo Rastrelli

Publié le 13 mars 2021 Lecture : 3 minutes.

Chez Angelica Pesarini, la filiation, familiale ou historique, est le fil rouge qui guide sa réflexion et qui est au cœur de ses travaux de recherche. Sans doute les origines de cette sociologue, née à Rome et élevée à Reggio d’Émilie au sein d’une famille italo-somalo-érythréenne, n’y sont-elles pas étrangères.

Chercheuse à la New York University de Florence, où elle propose un cours intitulé Black Italia, Angelica Pesarini reconnaît volontiers avoir eu une enfance heureuse. Ado, elle s’imagine artiste. Elle se prend de passion pour le théâtre et la scène, se plonge dans la grande bibliothèque familiale, découvre Toni Morrison et James Baldwin. Elle décroche son bac, étudie l’anthropologie à la prestigieuse université de la Sapienza, à Rome, puis s’envole pour l’Angleterre. C’est là-bas qu’elle trouvera sa voie.

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À Londres, elle obtient un master en « Genre et globalisation », une révélation ! C’est décidé, Angelica Pesarini se consacrera à la recherche. Suit un doctorat à l’Université de Leeds, dédié à la quête identitaire des femmes nées d’union mixtes dans les anciennes colonies italiennes. « Cela n’a pas été un simple doctorat, mais un voyage à la découverte de moi-même », explique-t-elle.

Refus de l’adjectif « métis »

La voici partie en Érythrée, à la rencontre d’une partie de sa famille qu’elle ne connaissait pas, elle qui n’avait que « quelques souvenirs de [sa] mère et de [sa] grand-mère faisant la cérémonie du café, cuisinant l’injera ou le zigni, portant certains vêtements ou célébrant des fêtes particulières ». Là-bas, elle retrouve quelques mots de tigrinya, la langue que parlent ses parents mais qu’ils ne lui ont pas transmise, et s’émerveille de la facilité avec lesquelles des expressions lui reviennent.

Métis, comme mulâtre, sont des termes qui renvoient à la domination blanche »

Et alors que « l’historiographie hégémonique » s’est jusque-là focalisée sur les hommes blancs qui ont eu des enfants de femmes d’Afrique de l’Est, Angelica Pesarini décide de faire un pas de côté et de s’intéresser aux effets mutilants du pouvoir masculin et colonial dans la relation entre les mères noires et leurs filles métisses.

« Métis » est d’ailleurs un adjectif qu’elle n’utilise qu’avec parcimonie, refusant de se l’appliquer à elle-même (elle préfère se définir comme une femme noire) au motif qu’il renvoie à l’Italie fasciste. « Métis, comme mulâtre, sont des termes qui renvoient à la domination blanche, qui classifie, hiérarchise, attribue ou retire la pureté, mais aussi au monde animal et à ses croisements », insiste-t-elle, en comparant le corps à un espace politique sur lequel s’exercent les relations de pouvoir.

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Pour convaincre son interlocuteur, Angelica Pesarini remonte le temps, raconte l’histoire de ces femmes contraintes de céder leurs filles à des missions religieuses, des filles élevées loin d’elles et dans une autre langue. Elle explique que c’était une stratégie mûrement réfléchie, par laquelle on pensait rapprocher les enfants de l’italianité des pères (l’époque voulait que le « sang italien » se transmette par voie patrilinéaire). Ajoute que tout change en 1940, quand la loi interdit les unions mixtes pour limiter le risque d’atteinte à « la pureté de la race ». Le fait qu’aujourd’hui encore, en Italie, la citoyenneté s’acquiert par le sang est d’ailleurs à ses yeux une réminiscence d’autrefois, « un reliquat colonial et fasciste ».

Militantisme

« J’ai été enfanté dans la violence et je le serais même si mes parents s’étaient beaucoup aimés, comme dans un beau roman-photo, poursuit-elle en citant « Timira, le roman métis » d’Antar Mohamed et Wu Ming 2, paru en 2012. L’amour au temps des colonies était pétri de férocité. Un couteau aiguisé menace et tue même si tu l’enduis de miel. »

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Des thématiques que l’on retrouve dans son essai (« Mères noires, filles blanches. Formes de subalternité féminines en Afrique orientale italienne », publié en 2014), mais aussi dans une nouvelle (« On n’entrevoit aucun espoir ») parue en 2019 dans un recueil intitulé « Future », qui rassemble les textes de onze autrices italiennes afro-descendantes. Au travers de la correspondance imaginaire d’un Italien avec les dirigeants de l’institution religieuse à laquelle sa fille, métisse, a été confiée, Angelica Pesarini raconte le traitement réservé aux enfants que les colons – fascistes – ont eu avec des Érythréennes dans les années 1930.

Ses écrits comme ses recherches, Angelica Pesarini veille à les proposer en accès libre et à les partager largement. « La connaissance donne un pouvoir très fort, explique-t-elle. La partager, c’est une forme de militantisme. »

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