Paris honore Bourguiba

Le père de l’indépendance tunisienne est demeuré jusqu’à la fin de sa vie un admirateur de la France. Sur les bords de la Seine, une esplanade porte désormais son nom.

Publié le 13 avril 2004 Lecture : 3 minutes.

Paris, 6 avril 2004. À 16 heures, l’espace vert qui agrémente le quai d’Orsay, entre le pont de l’Alma et celui des Invalides, dans le 7e arrondissement, est noir de monde. Surpris, des passants interrogent des policiers en faction. Voyant Bertrand Delanoë à la tribune, certains en tirent des conclusions erronées. Non, il ne s’agit pas d’une cérémonie en l’honneur de la reine Élisabeth II, présente ce jour-là dans la capitale pour le centième anniversaire de l’« Entente cordiale » entre la France et l’Angleterre. C’est d’une autre « entente cordiale » qu’il s’agit : celle qui lia le père de l’indépendance de la Tunisie à la France.
Delanoë prend la parole, et la foule grossit encore. Le maire évoque la mémoire d’Habib Bouguiba, disparu le 6 avril 2000 à l’âge de 97 ans.
Quelque cinq cents personnes composent l’assistance. Parmi elles, de nombreux Tunisiens, fiers de l’hommage solennel rendu par Paris à l’un de ses plus fervents admirateurs… Il y a des militants de la première heure, vieux combattants bourguibistes courbés par le poids des ans… Des avocats, des médecins et des architectes… Des stars du cinéma, de la haute couture ou du football… Des écrivains et des journalistes… Des amis venus de tous les horizons, des jeunes aussi, beaucoup de jeunes, des « néobourguibistes » qui, bien sûr, n’ont pas connu le « Combattant suprême »…
Les membres de la (grande) famille Bourguiba sont également présents. Habib Jr (77 ans), bien sûr, le fils unique de l’ancien président, entouré de sa femme, de ses trois enfants et de ses petits-enfants… Mais aussi des proches de Mathilde Lorrain, la première épouse de Bourguiba, et de Wassila Ben Ammar, la seconde… Et d’innombrables nièces, neveux et cousins, membres de la troisième ou de la quatrième génération de ses descendants. Ils se nomment Bouzgarrou, Dakhlaoui, Laouiti, Sassi ou Zouiten…
Plusieurs anciens chefs du gouvernement et anciens ministres ont fait le déplacement. Des diplomates aussi, comme Leïla Chahid, la représentante de la Palestine en France, Hassan Abouyoub, l’ambassadeur du Maroc, ou Mohamed Goualmi, celui d’Algérie. Pierre Mauroy, l’ancien Premier ministre français, est là, mais pas Valéry Giscard d’Estaing, pourtant invité.
Beaucoup sont venus spécialement de Tunisie pour l’occasion. « Bourguiba est mon grand oncle. Pour rien au monde je n’aurais manqué cette célébration », confie Sihem, manifestement émue. Médecin à la retraite, Mohamed Rafi’ Bourguiba est le doyen de la famille. À 87 ans, il a tenu à accompagner Leïla, son épouse, et Yasmine, sa fille, qu’Habib Bourguiba aimait beaucoup : « Tu vas faire tourner la tête des garçons », lui disait-il…
Deux « évocations sonores » des discours de Bourguiba émeuvent l’assistance. La voix du Combattant suprême évoque son « rêve de jeunesse » (l’indépendance de la Tunisie), sa lutte « sans haine et sans faiblesse, sans rémission et sans soumission » contre le colonialisme, son amitié pour la France, son combat contre le sous-développement… Une jeune femme pleure : « Je n’avais pas entendu sa voix depuis dix-sept ans, elle me manque. » Une autre brandit une pancarte. « Je n’ai pas oublié les funérailles confisquées de Bourguiba », dit-elle [celles-ci n’avaient pas été retransmises par la radio et la télévision tunisiennes, le 8 avril 2000].
Avant de découvrir la plaque de l’esplanade Habib-Bourguiba, Bertrand Delanoë donne la parole à Moncer Rouissi, l’ambassadeur de Tunisie en France. Au nom du président Zine el-Abidine Ben Ali, successeur d’Habib Bourguiba, celui-ci rend un hommage appuyé au « père de l’indépendance et fondateur de l’État tunisien moderne ». « Au moment où le dialogue des civilisations est en débat, où la question se pose de la compatibilité entre l’islam, la démocratie et les droits de l’homme, l’héritage de Bourguiba prend un relief particulier et mérite d’être reconsidéré », ajoute le diplomate.
Bertrand Delanoë lui succède pour retracer l’itinéraire de cet « homme d’État exceptionnel qui appartient à la mémoire collective de notre cité », qui, « en contournant les haines et les blessures irréversibles, en écartant les logiques de vengeance, a ouvert à son pays la porte de l’avenir, tout en préservant ses liens avec la France. Pionnier et visionnaire, Bourguiba s’est dressé contre les faussaires de la religion et les tenants de l’obscurantisme » (voir ci-après). Habib Bourguiba Jr ne peut retenir ses larmes, lui qui a tenu à associer à cette commémoration tous les anciens fidèles et collaborateurs de son père, fussent-ils devenus par la suite des opposants. Plus de sept cents invités ont été conviés par la Mairie de Paris. L’un d’eux se souvient que Bourguiba ne savait ni gémir ni pleurer. « À voir ce que cet homme des Lumières fut sur terre et ce qu’il laisse, seul le silence est grand ; tout le reste est faiblesse », conclut-il, paraphrasant « La mort du loup » d’Alfred de Vigny. Un poème que Bourguiba connaissait par coeur…

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