L’autre guerre civile

Les États-Unis pèsent de tout leur poids pour contraindre le gouvernement et la rébellion sudiste à faire la paix. Et pour circonscrire le nouvel incendie qui ravage l’ouest du pays.

Publié le 13 avril 2004 Lecture : 3 minutes.

Le 7 avril, les États-Unis ont lancé au gouvernement soudanais et à la rébellion conduite par John Garang un ultimatum : les négociations en cours au Kenya en vue de la conclusion d’un accord global de partage du pouvoir et des recettes pétrolières doivent impérativement aboutir au plus tôt. La normalisation des relations soudano-américaines est à ce prix. Après deux décennies d’un atroce conflit fratricide, la paix se profile donc à l’horizon, dans le Sud. Reste à éteindre l’incendie qui, depuis un an, ravage la région du Darfour, dans l’Ouest, près de la frontière tchadienne.
Le 25 mars, l’organisation non gouvernementale International Crisis Group (ICG) y a consacré un rapport alarmant(1). Le 1er avril, Daniel Augstburger, le responsable des secours d’urgence des Nations unies, a déclaré, à Genève, avoir été le témoin de « viols collectifs, de pillages systématiques, de la destruction de villages et de l’application d’une politique qui force ces populations à fuir ». Le 2 avril, Human Rights Watch a dénoncé à son tour(2) le massacre de milliers de civils appartenant aux ethnies four, zaghawa et massalit.
Les combats opposant les deux rébellions du Darfour, le Mouvement pour la justice et l’égalité (MJE) et le Mouvement de libération du Soudan (MLS), à l’armée régulière, ainsi que les attaques des cavaliers arabes « Janjawids », alliés au gouvernement, auraient fait environ 3 000 morts, provoqué le déplacement de 670 000 personnes au Soudan même, et l’exil au Tchad de 135 000 autres.
Le rapport d’ICG permet de mieux comprendre les origines de ce conflit et ses rapports avec la situation politique d’ensemble au Soudan. « Le conflit en cours, y lit-on, est le point culminant de deux décennies de politiques inappropriées mises en oeuvre par les gouvernements centraux successifs. » La politisation et la militarisation des différents groupes ethniques ont exacerbé les tensions dans une région frappée, depuis les années 1970, par la désertification, synonyme de raréfaction des terres fertiles et des ressources en eau. Ce contexte économique très difficile a logiquement envenimé les relations entre les agriculteurs et les éleveurs. Une trentaine de grandes tribus vivent dans le Darfour. Elles se répartissent entre deux grands blocs : les « Arabes » et les « Noirs ». Contrairement aux Noirs du Sud-Soudan, très majoritairement chrétiens et animistes, ceux de l’Ouest partagent avec les Arabes la confession musulmane.
Le rapport d’ICG rappelle que le Darfour a déjà été le théâtre de deux conflits meurtriers : d’abord en 1987-1989, entre les nomades arabes et les Fours sédentaires ; puis en 1996-1998, entre les milices arabes et les Massalits. Dans les deux cas, les autorités administratives mises en place par le gouvernement de Khartoum n’ont pas ménagé leur soutien aux tribus arabes, allant jusqu’à leur livrer des armes. Ce qui a eu pour effet de transformer une simple rivalité pour l’accès aux ressources naturelles en guerre ouverte entre « Noirs » et « Arabes ».
Les deux rébellions en cours au Darfour recrutent essentiellement au sein des groupes four, massalit et zaghawa. La plate-forme politique du MLS ressemble à s’y méprendre à celle de la rébellion sudiste : elle dénonce la marginalisation économique et politique de leur région et exige une stricte séparation de la religion et de l’État. C’est sur ce dernier point qu’elle se différencie le plus nettement du MJE, que dirige l’islamiste Khalil Ibrahim, un ancien ministre d’État proche du Congrès populaire, le parti d’Hassan el-Tourabi. Figure de proue de l’islamisme soudanais, ce dernier est incarcéré à Khartoum depuis le 31 mars et accusé d’incitation à « la sédition et à la haine contre l’État ».
Contrairement aux autorités soudanaises, l’ICG est convaincue qu’une simple « solution humanitaire » ne suffira pas à éteindre l’incendie au Darfour. Farouchement hostile à un règlement politique, le gouvernement d’Omar el-Béchir s’est longtemps opposé à la mise en place d’une médiation internationale. Mais cette position est difficilement tenable. Dans un communiqué publié le 7 avril, le président George W. Bush lui a demandé de mettre fin aux « atrocités commises par des milices locales » et d’autoriser l’accès des organisations humanitaires à la région.
Le 8 avril, gouvernement et rebelles qui s’affrontent dans le Darfour ont signé un accord de cessez-le-feu pour une durée de quarante-cinq jours renouvelables et se sont engagés à se retrouver à N’Djamena pour de nouvelles négociations sur les questions politiques. À suivre.

1. Darfur Rising : Sudan’s New Crisis, International Crisis Group, 25 mars 2004.
2. Darfur in Flames : Atrocities in Western Sudan, Human Rights Watch, 2 avril 2004.

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