« Blanc autour » : l’histoire des premières écolières africaines-américaines
Dans la bande dessinée « Blanc autour », Wilfrid Lupano et Stéphane Fert racontent avec force et poésie l’histoire d’une des premières écoles pour jeunes filles noires aux États-Unis.
Nous sommes en 1832, à Canterbury, dans le Nord des États-Unis. Loin de se laisser intimider par la population locale qui s’offusque qu’elle ait accepté Sarah, une jeune Noire, au sein de son école pour filles, l’institutrice Prudence Crandall, 30 ans, décide de ne plus accueillir que des élèves de couleur. Ce choix radical et le véritable déferlement de haine qu’il suscite dans cette petite ville du Connecticut restera un important épisode du mouvement de lutte contre la ségrégation scolaire, déclarée inconstitutionnelle plus d’un siècle plus tard, en 1954.
Wilfrid Lupano, créateur de la série à succès Les Vieux fourneaux, a découvert ce pan d’histoire américaine par hasard, au cours de recherches sur l’abolitionniste William Lloyd Garrison, un des plus importants soutiens de l’école. Si le courage de Prudence Crandall avait déjà été commémoré dans quelques livres et articles, ce scénariste engagé, qui a refusé en 2019 la médaille de Chevalier des arts et des lettres du gouvernement français, fustigeant sa politique et notamment l’accueil « indigne » des migrants, souhaitait raconter l’histoire autrement. Sortir du courant narratif du « white savior », qui tend à montrer que les Noirs ont obtenu des droits grâce aux Blancs. « Le focus était mis sur l’institutrice, il manquait quelque chose sur les jeunes filles. J’ai donc essayé de les imaginer, de les incarner », confie-t-il.
Patriarcat et mémoire
Pour tracer les contours de ces gamines déterminées, nées pour la plupart au sein de familles abolitionnistes influentes, Wilfrid Lupano a fait appel à Stéphane Fert, un « vieil ami » de sa ville de Pau, dans le Sud-Ouest de la France, avec lequel il avait déjà signé un album jeunesse sur la liberté d’expression, Quand le cirque est venu. Sous le coup des émotions et des coups de sang des protagonistes, la palette de ce coloriste varie sans cesse et les différences s’effacent, au point qu’on ne distingue parfois plus les Noirs des « Blancs autour ».
Il y a une convergence des luttes qui se cristallise dans cette école
Plongées dans un environnement hostile, dans lequel « le monde entier » leur dit « non », les héroïnes de Canterbury sont parcourues par des questionnements toujours très actuels : « De très vieux hommes blancs sont en train de débattre entre eux, quelque part, pour savoir si nous, jeunes filles noires, nous avons le droit d’étudier dans cette école », s’indigne Maggie, alors que se déroule le premier procès de leur institutrice, au cours duquel ses avocats défendront pour la première fois le droit à la citoyenneté des Africains-Américains.
Et quand le nom de Nat Turner, le leader d’une sanglante révolte d’esclaves qui a traumatisé l’Amérique blanche un an auparavant, surgit en classe, les réflexions de Sarah font écho aux débats les plus récents sur la mémoire de l’esclavage et de la colonisation : « Je veux bien apprendre Alexandre le Grand, Christophe Colomb […]. Mais j’ai besoin de comprendre la différence entre un ignoble massacre et une conquête historique. Parce que je ne la vois pas mademoiselle. Je ne la vois pas. »
Femmes, noires et instruites
Même si l’esclavage a déjà été aboli dans le Connecticut, il ne fait pas bon y être Noir, encore moins un Noir instruit comme Nat Turner, sans parler d’être une femme. « Il y a une convergence des luttes qui se cristallise dans cette école », soutient le scénariste, également cofondateur de Ink Link, association de professionnels de la BD qui illustre des causes sociales, environnementales et humanitaires.
La jeune Miriam l’a bien saisi : « Des femmes noires instruites auront des enfants instruits qui auront des enfants plus instruits encore. » Voilà la menace que ces simples écolières représentent aux yeux de la population blanche. « Ils ne veulent pas que ça commence. Et ça commence ici », renchérissent ses camarades.
Ni les attaques racistes ni l’incendie de leur école par une foule en colère n’entameront leur détermination. Nombre d’entre elles deviendront à leur tour des figures de la lutte pour l’éducation des Africains-Américains et pour la justice sociale. Sarah Harris Fayerweather et Mary Elizabeth Miles seront même des piliers du chemin de fer clandestin (« Underground Railroad ») emprunté par les esclaves en fuite.
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