Fuite en avant répressive ?

Plusieurs personnalités de l’opposition, accusées de complot contre le régime du président Lansana Conté, ont été placées en garde à vue. Les avocats parlent d’une machination policière.

Publié le 13 avril 2004 Lecture : 6 minutes.

Les adversaires du régime dénoncent une « manoeuvre d’intimidation contre l’Union des forces républicaines (UFR, opposition) de l’ancien Premier ministre Sidya Touré ». Certains membres du gouvernement jurent que « les poursuites engagées reposent sur des éléments sérieux ». L’arrestation de responsables de l’UFR, fin mars, alimente polémiques et fantasmes à Conakry.
L’affaire remonte à novembre 2003. Ibrahima Camara, 39 ans, surnommé « Capi », allusion à sa carrière passée de footballeur professionnel en France, résidant dans l’Hexagone depuis une vingtaine d’années, se rend au port de Conakry pour réceptionner des caisses, déclarées contenir des « effets personnels ». Ce ne serait qu’une formalité, si « Capi » n’était pas le responsable de la jeunesse de l’UFR dans la région parisienne. Visiblement alertée sur l’arrivée du « colis », la douane ouvre les caisses, et découvre 38 000 dépliants déclinant le programme politique de l’UFR et appelant à voter Sidya Touré à la présidentielle du 21 décembre suivant. Les gabelous confisquent le matériel pour « fausse déclaration ».
Le 23 mars 2004, à la veille de reprendre l’avion pour Paris, « Capi » est convoqué par l’officier de douane Léonard Bangoura. Il est entendu, puis conduit, le même jour, devant Bakary « Termite » Mara, directeur du bureau guinéen de l’Organisation internationale de police criminelle (Interpol), qui l’interroge à son tour. Il décide bientôt de le garder dans les locaux de la Direction de la police judiciaire (DPJ), contigus à Interpol, au motif que l’ex-footballeur serait impliqué dans un « complot » ourdi depuis la France par les militants de l’UFR. Certains de ceux-ci ne tarderont d’ailleurs pas à le rejoindre derrière les verrous.
Le 24 mars, l’ancien maire de Matam (une commune de la capitale), Rougui Barry, 51 ans, membre du bureau exécutif de l’UFR, est empêchée d’embarquer dans l’avion à destination de Paris, où elle réside depuis le rejet de sa candidature à sa propre succession, aux municipales de juin 2000. Motif ? La police des frontières lui indique qu’elle ne peut pas sortir du territoire, à quelques mois des municipales de juin 2004. Cinq jours plus tard, le 29 mars, un groupe de quatorze policiers se présente à son domicile, dans le quartier Coléah-Lanséboundji de Matam. Ils lui présentent une convocation pour « atteinte à la sécurité nationale » et, devant sa réticence à obtempérer, l’embarquent manu militari. Elle est placée en garde à vue à la DPJ à Conakry.
Le même jour, Baïdy Aribot, chargé d’études de la direction des changes à la Banque centrale de la République de Guinée (BCRG), est également mis aux arrêts. Quoique n’étant pas membre de l’UFR, ce cadre de 41 ans entretient sans s’en cacher des rapports cordiaux avec Sidya Touré. Pour Baïdy, l’affaire vire rapidement au drame familial. Son épouse Fatou n’est autre que la nièce du colonel Mamadouba Camara, alias Toto, chef d’état-major adjoint de l’armée de terre. Celui-ci est arrêté à son tour le lendemain.
Les quatre détenus ont quelque chose en commun : ils ont eu une discussion le 20 février, lors d’un dîner au manoir Villeray, en banlieue parisienne, avec un Français du nom de Christian Lestavel. Cet homme d’affaires installé à Chartres, dans le sud-ouest de Paris, a tenté sans succès, au début des années 1990, de monter en Guinée une société de jeu de courses de type Pari mutuel urbain (PMU).
Pour susciter des aveux, la police fait visionner à « Capi » une cassette vidéo du fameux dîner, filmé en caméra cachée, avant de lui faire écouter une cassette audio enregistrée à l’aide d’un dictaphone. Selon des sources proches de l’affaire, on y entendrait Lestavel promettre un investissement de 2,5 millions d’euros dans un premier temps, et proposer d’aider, au besoin, à renverser, à terme, le président Lansana Conté, « pour rendre la Guinée vivable pour les hommes et pour les investissements ». La proposition aurait, de bonne source, délié les langues et fait virer la discussion à la question de la mise hors jeu du chef de l’État.
Les avocats de la défense concluent aujourd’hui à un piège, tendu par Lestavel, « un indicateur à la solde du gouvernement guinéen chargé de tirer les vers du nez » de leurs clients. Les faits semblent leur donner raison. C’est, en effet, « l’homme d’affaires français » qui a invité Baïdy, « pour affaires », en France (où celui-ci a séjourné du 20 février au 9 mars). C’est lui encore qui a insisté pour que le colonel Camara – de passage à Paris sur la route des États-Unis pour un check-up – participe au fameux dîner. Lestavel a également fondé, début mars, une société immobilière dans laquelle il s’est associé avec Rougui, « Capi » et Baïdy. Et c’est en venant à Conakry pour « préparer » les deux premiers chantiers de la société – un hôpital militaire et une cité touristique – que Rougui a été arrêtée.
Après des jours de garde à vue à la DPJ, les détenus sont déférés devant le juge d’instruction Barry du tribunal de première instance de Conakry, qui les inculpe pour « tentative d’attentat et complot contre l’autorité de l’État ». Placés sous mandat de dépôt le 1er avril, « Capi » (poursuivi en outre pour faux et usage de faux et fausse déclaration en douane) et Baïdy sont transférés, le même jour, à la Sûreté, la prison de haute sécurité de Conakry.
Dans l’après-midi du 5 avril, Rougui les rejoint, mais est détenue dans l’infirmerie de l’établissement.
Selon des sources proches du dossier, le chef de l’État Lansana Conté suit de près l’affaire, qu’il traite directement avec son ministre de la Sécurité Moussa Sampil. Les missions diplomatiques en poste à Conakry se déclarent « préoccupées ». L’opinion, sceptique, voit d’un mauvais oeil l’arrestation de Rougui Barry. Surtout après avoir appris qu’elle est tombée en syncope, le lendemain de son incarcération, et a refusé de s’alimenter les jours qui ont suivi.
Véritable icône dans le pays, cette descendante de l’aristocratie peule de Mamou, mariée à Mamady Kaba – directeur adjoint de la douane à Conakry, issu de la notabilité malinké de Kankan -, est pour le moins originale. Femme d’affaires, patronne du groupe privé Rougui Barry & Brothers (RBB, qui est d’ailleurs devenu son surnom), maire de la commune de Matam de février 1991 à juin 2000, elle parle en anglais à ses cinq enfants, habite une belle et vaste demeure à Conakry et conduit de longues limousines américaines qui ont du mal à se frayer un passage sur les chaussées étroites de la capitale guinéenne. Écartée des municipales de juin 2000 par le pouvoir de Conté, elle a décidé d’adhérer à l’UFR, et de s’installer à Saint-Denis, dans la banlieue parisienne, où elle a ouvert les bureaux de RBB International, spécialisé dans le négoce de produits comme la noix de cajou et le café.
Son arrestation et celle de ses codétenus sont vécues comme une attaque contre le leader de l’UFR lui-même. Premier ministre de Lansana Conté de juillet 1996 à mars 1999, Sidya Touré est en rupture avec le chef de l’État depuis janvier 2000, où il est passé à l’opposition en prenant la tête de l’UFR. Ses rapports avec le pouvoir n’ont pas été sans heurts au cours de ces quatre dernières années. Il a ainsi été interrogé à trois reprises à la Sûreté urbaine, début mai 2003, par une équipe de cinq commissaires de police sur des troubles à l’ordre public qu’aurait entraînés un de ses meetings dans la capitale. Six mois auparavant, il avait été entendu dans une mystérieuse affaire d’espionnage impliquant un citoyen ivoirien du nom de Michel Déon, lequel aurait tenté, avec des appuis internes, de déstabiliser le pouvoir guinéen.
Le leader de l’UFR va-t-il, cette fois encore, être inquiété ? Une seule certitude : le nom de Sidya Touré n’a jusqu’ici été cité par aucun des prévenus, dans aucun des procèsverbaux d’interrogatoire de police, ni devant le juge d’instruction. Mais l’affaire, comme chacun s’en doute désormais, n’est pas que judiciaire. Une médiation ainsi que des négociations seraient engagées depuis le 7 avril pour un dénouement politique. Vont-elles aboutir ?

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